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France Bleu : éducation aux médias

« Montrer les stratégies argumentatives, montrer quand est-ce qu’on fait appel à la raison, quand est-ce qu’on fait appel aux émotions par exemple, ça aide les élèves à se positionner eux-mêmes par rapport aux discours qu’ils reçoivent »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC
Comment intéresser les jeunes à l’information, pour qu’ils soient en mesure de faire le tri dans un monde où les sources sont si nombreuses ? C’était le thème de l’émission de ce lundi 18 mars présentée par Wendy Bouchard, alors que débute la 35me semaine de la presse à l’école.
 
Jean-Rémi GIRARD, président national du SNALC , réagit sur France Bleu le lundi 18 mars 2024.
Avec la participation de Anne Oger, rédactrice-en-chef de France Bleu Bourgogne ; Serge Barbet, directeur du CLEMI (Centre pour L’Education aux Médias) ; Thomas Pontillon journaliste à la cellule Vrai ou Faux de franceinfo ; Delphine Garnault, directrice de France Bleu Mayenne ; Sofie Martin, directrice de France Bleu Armorique ; et 300 élèves de collèges et lycées.

France Bleu – Wendy Bouchard : Bonjour Jean-Rémi Girard, vous êtes professeur de français avec nous ici à Paris, et président du SNALC. Vous connaissez bien en l’occurrence la principale qui a été menacée qui est dans un état qu’on peut imaginer ?

SNALC – Jean-Rémi Girard : Bonjour. Nous, on connaît l’enseignante d’anglais puisque c’est la représentante syndicale de mon syndicat dans l’établissement. Effectivement, elle a été en contact avec notre président académique, elle a pu nous expliquer un petit peu ce qui s’était passé.  Ensuite, il y a l’enquête qui suit son cours et donc on n’interfère pas là-dedans. Mais évidemment elle a été extrêmement choquée, comme l’ensemble des personnels et des élèves du collège.

C’est quand même quelque chose qui aurait pu beaucoup plus mal tourner, et c’est là où on voit que certaines procédures de sécurisation, certains protocoles ont un intérêt. En l’espèce le sang-froid dont ont fait preuve une fois de plus les membres de la communauté éducative et qui vient d’être relevé de nouveau dans ces échanges. C’est là où [on s’aperçoit qu’] il faut absolument que tous les dispositifs soient fonctionnels ; c’est-à-dire que la chef d’établissement a pu donner l’alerte, appuyer sur le fameux bouton, et c’est pour ça que notre collègue a pu se confiner avec ses élèves.

Il faut savoir que ces dispositifs d’alerte, ils n’existent pas, ils ne marchent pas dans toutes les écoles, tous les collèges et tous les lycées de France. Certains en sont dépourvus…

France Bleu – Wendy Bouchard :  est-ce qu’on a le la liste ?

SNALC – Jean-Rémi Girard : c’est énorme dans les écoles primaires. Les chiffres sont bien moindres dans les collèges et les lycées mais effectivement, il y a eu une enquête du ministère qui a partagé les résultats et il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas. Il y a aussi énormément de systèmes de sécurité qui ne sont pas en état de marche, c’est-à-dire qu’on a des clôtures mais pas à certains endroits, on a une porte qui est censée s’ouvrir et se fermer sur un badge mais elle est cassée depuis un an et elle n’a pas été réparée… du coup, elle est ouverte.

C’est pour ça que nous au SNALC, on demande des diagnostics sécurité établissement par établissement. Gabriel Attal avait dit comme étant un objectif à atteindre, qu’il fallait 100 % de dispositifs qui permettent de signaler non seulement qu’il y a un danger mais aussi quel type de danger : est-ce que c’est un incendie ? est-ce que c’est une intrusion ? est-ce qu’il faut sortir ? est-ce qu’il faut rester ?… On a quelques secondes parfois pour prendre la décision.

France Bleu – Wendy Bouchard :  C’est une nouvelle réalité, un nouvel incident en tout cas, qui engendre le climat d’anxiété qu’on peut comprendre, l’inquiétude, le désarroi. Qu’est-ce qu’on peut aujourd’hui avancer de supplémentaires en termes de protection ? Peut-être des agents de protection plus systématiques en dehors de ce que vous venez de nous dire ?

SNALC – Jean-Rémi Girard : En fait, il y a le côté matériel évidemment dont je viens de parler. Il y a le côté suivi des personnes, suivi psychologique, du fait que l’éducation nationale, c’est aussi un employeur.

Aborder la protection fonctionnelle, dont on entend de plus en plus parler et c’est tant mieux, parce que de plus en plus de collègues connaissent maintenant son existence. Nous, on demande une automaticité, de sorte qu’on n’ait pas à faire des démarches incroyablement complexes.

Et il y a la question – j’allais presque dire de fond quand il s’agit d’élèves – qui est : qu’est-ce qu’on fait en termes de prévention ? Qu’est-ce qu’on fait en termes de gestion de ces élèves qui ne sont pas si nombreux que ça, mais il faut quand même se dire qu’un seul élève qui est en voie de radicalisation  ou qui a des problèmes psychiques graves et qui peut parfois agir d’une manière complètement incontrôlée, nous on n’a pas accès à la plupart des informations en tant que personnels de l’éducation nationale. Il y a le secret médical, il y a les fameux fichés S… , ce ne sont pas du tout des choses auxquelles les enseignants, ni même d’ailleurs la plupart du temps les chefs d’établissements, ont accès. [WB : ni les élus, les maires qui dénoncent la même chose que vous]. Il ne s’agit pas exactement de transmettre n’importe quelle information à n’importe qui, mais il y a eu plusieurs cas quand même dans l’actualité relativement récente – je pense à Agnès Lassalle par exemple – où, si on a un élève dont on sait d’une manière ou d’une autre qu’il est potentiellement dangereux, qu’il y a des choses objectives, il faut qu’on ait au moins une information minimale pour qu’on puisse réagir. Parfois, c’est le réflexe qu’on va avoir la seconde où on va prendre la décision : s’il nous manque une info, on ne va peut-être pas prendre la bonne décision.

France Bleu – Wendy Bouchard :  Bien sûr, Jean-Rémi Girard, vous restez avec nous parce que vous êtes professeur et vous êtes, en dehors de cet incident, amené aussi à échanger avec vos élèves sur la Semaine de la Presse à l’école.

France Bleu – Wendy Bouchard

Il y a des choses qui tournent, et notre rôle, notre travail, c’est d’essayer de débusquer tout ça et d’expliquer pourquoi c’est faux et de remettre du contexte. On est tous un Thomas Pontillon dans son téléphone. N’hésitez pas à poser des questions à Thomas: comment on vérifie, comment on passe à côté des fake news et comment on ne se fait pas prendre au piège.

Vous Jean-Rémi Gérard, au quotidien avec vos élèves, comme vous êtes prof de français, comment on inculque justement ce côté « bon citoyen », mais aussi bon appréciateur de l’information ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

C’est une question extrêmement compliquée parce que, d’un côté, on est là évidemment pour éduquer, pour tirer vers le haut – et nous, ce qu’on dit, c’est surtout pour développer l’esprit critique qui nous paraît être le concept fondamental. Mais en même temps, on n’est pas là pour faire de la moraline, c’est-à-dire on ne va pas non plus dire aux élèves « ça c’est bien, ça ce n’est pas bien ».

On est aussi des fonctionnaires, donc tenus par certaines règles. On ne peut pas faire de propagande politique par exemple, pour en dire la plus évidente.

Finalement, l’ensemble des disciplines qui sont enseignées à l’école primaire, au collège et au lycée contribuent à ça. Moi, par exemple, qui suis professeur de français, je ne vais pas forcément être la personne à laquelle on va parler de ce qui s’est passé dans l’actualité la veille. En revanche, là, on a travaillé en première sur la question de l’art de la parole, de la rhétorique. On travaille des discours, et pour décortiquer les discours, décortiquer les textes, on travaille sur du discours politique. On a ainsi travaillé sur le discours de Simone Veil sur l’IVG par exemple. Montrer les stratégies argumentatives, montrer quand est-ce qu’on fait appel à la raison, quand est-ce qu’on fait appel aux émotions par exemple, ça aide les élèves à se positionner eux-mêmes par rapport aux discours qu’ils reçoivent – et Dieu sait qu’on est abreuvés de discours, et quand je dis « discours », ce n’est pas uniquement de la parole.

Vous parliez des images : la publicité, par exemple, c’est un discours. Voir la rhétorique dans la publicité, c’est aussi quelque chose d’extrêmement important.

France Bleu – Wendy Bouchard

C’est intéressant Serge Barbet ce que dit Jean-Rémi Girard parce qu’évidemment en fonction des disciplines qu’on exerce quand on arrive, on a vocation à répondre plus ou moins aux questions des élèves, qu’on soit prof de  géo ou d’histoire, de sciences ou de français

[…]

« Au SNALC, il nous semble que si l’on veut travailler l’éducation aux médias et à l’information, il faut aussi utiliser les ressources dont on dispose déjà et faire en sorte que ces gens [les professeurs documentalistes] qui sont extrêmement compétents puissent apporter leur expertise à l’ensemble des élèves de nos établissements. »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

Serge Barbet (CLEMI) : […] On parlait de l’oralité. Aujourd’hui il y a une épreuve d’oral au bac. Et donc, c’est extrêmement important pour la vie ensuite de pouvoir s’exprimer clairement. Et donc là, on est vraiment sur les compétences de notre époque aujourd’hui. C’est pour ça que l’éducation, la médiation et l’information, c’est hyper important.

France Bleu – Wendy Bouchard

Bien sûr. Jean-Rémi Girard ?

SNALC – Jean-Rémi Girard

Oui, c’est évidemment important, cette question de l’oral, de la prise de parole orale.

Il faut rappeler que c’est quelque chose avec quoi l’éducation nationale peut avoir un peu de difficulté. On n’est pas forcément dans des conditions qui permettent aux élèves d’avoir le temps de s’exprimer. J’étais ce matin devant mes élèves. Là, il y en avait en voyage, mais habituellement, ils sont 35. Si, à un moment, je veux les faire réciter, si je veux leur faire faire un exposé tout de suite, il faut compter 3 heures de cours pour que tout le monde puisse juste faire un exposé de cinq minutes.

Là aussi, il y a des technologies. Je sais que beaucoup de collègues de langue vivante utilisent des outils où les élèves s’enregistrent, etc. Mais à un moment, il faut quand même prendre la parole en public. En tant que professeur de français, ce que je constate – et je ne sais pas si c’est une régression parce que je n’ai pas d’études là-dessus – c’est qu’il y a beaucoup d’élèves qui ont énormément de mal à pouvoir parler devant leurs camarades, devant un public. – Ça s’apprend. – Effectivement, c’est quelque chose qui s’apprend, mais qu’on a beaucoup de difficultés à apprendre.

Je voudrais dire un mot là-dessus d’une catégorie de professeurs dont on parle assez peu. Ce sont les professeurs documentalistes, qui sont les spécialistes, en fait, dans les collèges et les lycées des médias et de l’information. Eux, ils ont une formation, ils ont un diplôme qui va avec cette question des médias et de l’information. Ce ne sont pas des bibliothécaires. Ce sont vraiment des gens qui ont des compétences là-dessus, qui ont énormément de mal à avoir des heures de cours, à pouvoir prendre des groupes d’élèves pour pouvoir travailler ces questions-là.

Au SNALC, il nous semble que si l’on veut travailler l’éducation aux médias et à l’information, il faut aussi utiliser les ressources dont on dispose déjà et faire en sorte que ces gens qui sont extrêmement compétents puissent apporter leur expertise à l’ensemble des élèves de nos établissements.

France Bleu – Wendy Bouchard

C’est très bien de souligner le rôle des professeurs documentalistes

[…]

France Bleu – Wendy Bouchard à un élève

Il ne faut pas [se contenter d’] une seule source. C’est le conseil qu’on peut vous donner. « Hugo Décrypte », c’est bien, mais pas seulement. C’est-à-dire que vous variez quand même un petit peu les plaisirs et croisez…

SNALC – Jean-Rémi Girard

Nous c’est ce qu’on fait dans le travail syndical aussi, c’est-à-dire qu’on a une veille, parce qu’il peut y avoir des actualités très nombreuses dans le milieu éducatif – heureusement pas forcément uniquement des agressions, mais il y en a malheureusement beaucoup. Et effectivement tout de suite on va essayer de croiser des sources.

Je suis sur un très célèbre réseau social sur internet, parce que c’est là où on capte le plus vite la naissance d’une information, où on a le plus vite des choses qui remontent. Mais immédiatement je vais aller « fiabiliser » ça en allant sur deux, trois sites de médias traditionnels, pour voir un petit peu si c’est repris ou pas.

Maintenant, tout le monde peut effectivement se tromper quand on n’a pas accès à la source primaire. On m’a déjà demandé de réagir à une agression qui s’est révélée ne pas avoir été une agression. Un média tout à fait national, etc., m’a demandé « est-ce que vous pourriez réagir à cette agression ? ». On s’est rendu compte deux heures après que la personne avait menti, qu’elle s’était « auto-agressée » si je puis dire, mais on était déjà parti sur l’insécurité.

[…]

«On n’est pas forcément dans des conditions qui permettent aux élèves d’avoir le temps de s’exprimer. J’étais ce matin devant mes élèves. Là, il y en avait en voyage, mais habituellement, ils sont 35. Si, à un moment, je veux les faire réciter, si je veux leur faire faire un exposé tout de suite, il faut compter 3 heures de cours pour que tout le monde puisse juste faire un exposé de cinq minutes.»
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

Ayman (élève) : Bonjour, je m’appelle Ayman. Je suis élève au collège Pasteur à Neuilly-sur-Seine. Pensez vous que les cours de théâtre devraient être obligatoires au collège ainsi qu’au lycée ?

France Bleu – Wendy Bouchard : C’est une bonne question.

SNALC – Jean-Rémi Girard : Je ne sais pas si j’ai une bonne réponse, mais on a travaillé là-dessus. On fait du théâtre au collège et au lycée dans le cadre évidemment des cours de français. Maintenant, on ne fait peut-être pas autant jouer du théâtre qu’on l’aimerait pour les raisons notamment que j’ai pu donner sur le fait de…

France Bleu – Wendy Bouchard : est-ce que ça devrait être obligatoire ?

SNALC – Jean-Rémi Girard : Monter une pièce, c’est très compliqué à rendre obligatoire. Il y a des professeurs de théâtre. Ça existe. C’est une spécialité qui peut être prise en lycée général : la “spécialité théâtre”. En fait, ce sont des professeurs de lettres qui ont une spécialité, une certification supplémentaire. Il y en a très peu. Ce serait impossible de généraliser demain les cours de théâtre partout. En revanche, c’est possible d’avoir une démarche de monter des clubs de théâtre comme on monte des radios, comme on monte tout un tas d’environnements clubs encadrés par des collègues, mais aussi par des assistants d’éducation. Ça peut se faire.

Maintenant, il y a toujours un réflexe à avoir quand on veut rajouter un cours. Il faut demander du coup, on enlève lequel ?

France Bleu – Wendy Bouchard (à l’élève) : En tout cas, le théâtre, ça vous intéresse ?

Ayman : Oui, si je peux donner mon avis. Oui, ça m’intéresse grandement. J’aimerais pouvoir m’inscrire l’an prochain.

SNALC – Jean-Rémi Girard  : si vous êtes en Ile-de-France, je ne sais pas dans quelle région, dans quel département… moi, je suis au lycée d’Asnières-sur-Seine. On a une spécialité théâtre au lycée Renoir. Donc, vous pouvez toujours présenter votre dossier de seconde générale et technologique.