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Peut-on utiliser un enregistrement clandestin ?

© istockphoto_gpointstudio-1152771191

La dégradation des conditions de travail, et la recrudescence des situations de harcèlement, nous avaient conduits dans un précédent article à nous interroger sur la valeur juridique d’un enregistrement réalisé à l’insu d’un interlocuteur dans le cadre d’un entretien.

Par exemple, face à la difficulté de prouver l’attitude d’un supérieur hiérarchique et d’obtenir des témoignages écrits pour corroborer une situation, certains agents sont tentés de l’enregistrer à son insu afin de démontrer la véracité des agissements litigieux. Le SNALC s’était alors interrogé sur la recevabilité et la valeur probante d’un tel enregistrement.

Avec l’expertise de nos avocats, nous proposons aujourd’hui de compléter notre analyse en nous appuyant sur l’actualité juridique la plus récente. En effet, par deux arrêts particulièrement commentés du 22 décembre 2023 (Pourvois n°20-20.648 Société Abaque Bâtiment Service et n°21-11.330 Société Rexel Développement1), l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence, en acceptant désormais que le juge civil puisse tenir compte, sous condition, d’éléments de preuve obtenus de manière déloyale, et s’aligne ainsi sur la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Si un agent demande à enregistrer un entretien avec un supérieur hiérarchique, celui-ci pourrait lui rétorquer que c’est illégal, évoquant parfois l’article 226-1 du Code pénal. Or, un arrêt du 14 février 2006 (pourvoi n°05-84.3842), s’agissant de l’application de cet article 226-1 du Code pénal, a précisé que les enregistrements clandestins, qui n’interviennent pas dans un contexte de vie privée mais à l’occasion de rapports professionnels, ne sont pas punissables pénalement. La Haute Juridiction a ainsi retenu que « ne constitue pas une atteinte à la vie privée, l’enregistrement d’une conversation téléphonique par l’un des interlocuteurs à l’insu de l’autre, lorsque celle-ci porte sur l’activité professionnelle, peu importe que les propos aient été tenus dans la vie privée ».

On pourra alors opposer la jurisprudence de la Cour de Cassation, mais l’administration objectera désormais que cette jurisprudence a été rendue en matière civile, qu’elle concerne le droit du travail, alors que les personnels de l’Éducation nationale relèvent quant à eux du droit de la fonction publique… Cependant, par la jurisprudence précitée, la Cour de Cassation ne fait que s’aligner sur la Cour européenne de justice (CEDH) pour qui, le droit à la preuve – droit fondamental – est garanti par les dispositions de l’article 6-1 de la CESDH, dont le fondement est parfaitement invocable devant les juridictions administratives.

De surcroît, selon le SNALC, une telle réponse serait hypocrite car les rectorats admettent les enregistrements clandestins comme preuve contre leurs personnels, notamment lorsqu’ils sont réalisés par les élèves. Le Rectorat de Nice a ainsi réalisé, pour les besoins d’une procédure disciplinaire, une transcription d’un enregistrement clandestin d’un professeur réalisé par un élève, afin de permettre un débat contradictoire sur les propos enregistrés. Cette pratique a été validée par la jurisprudence administrative (Tribunal administratif de Nice 1er mars 2023, req. 2003815/2005483/21054553).

Enfin, il convient de rappeler que les juridictions pénales ne posent en principe aucune difficulté à accepter tout mode de preuve émanant d’un particulier, en vertu de l’article 427 du Code de procédure pénale, même si celle-ci a été apportée de manière déloyale. La seule exigence posée par les textes ainsi que par la jurisprudence est que ces enregistrements doivent être en mesure d’être débattus contradictoirement entre les parties.

Par conséquent, le grand changement réside dans le fait que les parties ont toute liberté désormais de produire en justice des enregistrements clandestins et c’est le juge qui, après en avoir pris connaissance, décide de les retenir ou de les écarter. Le SNALC vous invite à retenir deux choses : même si le juge écarte les enregistrements, il aura en tête leur contenu ; et si vous pouvez enregistrer votre supérieur, celui-ci peut faire de même… Alors prudence !


(1) https://www.courdecassation.fr/decision/65855660673fa80008f8d98d

(2) Pourvoi n°05-84.384. https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007069303

(3) Tribunal administratif de Nice 1er mars 2023, req. 2003815/2005483/2105455.


Article paru dans la revue du SNALC, la Quinzaine universitaire n°1489 du 14 mai 2024