Les « Rôles Sociaux » : Du Grand Cinéma !
Les derniers programmes d’EPS du collège, du LGT et du LP fixent comme seuls repères de pratique des lignes très générales : les Attendus de fin de lycée (AFL ou AFCycle pour les collèges). Ces Attendus sont des objectifs larges qui concernent des groupes d’activités physiques assemblées en « champs d’apprentissage » (CA) en raison de quelques très discutables similitudes. C’est dire le caractère global et seulement indicatif de ces AFL qui sont pourtant les nouveaux « repères nationaux » sensés garantir l’unité, la cohérence de l’enseignement et des épreuves certificatives…
Prenons l’exemple d’un AFL : « choisir et assumer les rôles qui permettent un fonctionnement collectif solidaire ». Il est à traiter dans les activités du groupe visant à « réaliser une performance maximale mesurable ». Ainsi lors d’une activité athlétique il impose de faire apprendre aux élèves « des rôles d’organisateur, de coach ou d’entraîneur pour performer collectivement » et de permettre un choix aux élèves entre ces rôles.
On pourrait se demander si ces objectifs sont bien adaptés aux lycéens et aux 2h d’enseignement hebdomadaires, avec 35 élèves par classe, dans des contextes souvent peu propices ? S’il n’y aurait pas des objectifs plus prioritaires ? Si c’est ainsi que l’on incite les élèves au mouvement et à la poursuite d’une activité physique ultérieure ? Trop tard. Malgré toutes nos résistances, les programmes sont actés ! Il faut y répondre.
Pour combler cette perte de précision et de spécificité, les programmes délèguent cette fonction aux équipes en affirmant sans scrupule que « les enseignants sont responsables de la déclinaison des AFL par APSA et de la démarche pour les atteindre » (LGT, 2019). Ainsi, reprenant notre exemple, il est demandé aux équipes de construire les contenus d’enseignement, mais aussi les critères d’évaluation et de certification, relatifs aux rôles de coach, d’entraîneur, d’organisateur de rencontres. Cela ne va pas sans poser d’importantes questions :
Comment rendre les élèves organisateurs d’épreuves de performance, comment leur permettre de devenir coach ou entraîneur ? Quels contenus spécifiques doivent-ils s’approprier ? Comment et quand l’enseigner ? Comment caractériser ces différents rôles en niveaux progressifs d’acquisition pour les évaluer objectivement ? Comment organiser ces nouvelles formations aux différents rôles et leurs évaluations pour chaque élève ; tout cela sans nuire aux autres apprentissages ?… Autant de questions à traiter pour décliner en processus didactiques, pédagogiques et évaluatifs ces nouvelles orientations.
L’analyse de premiers référentiels validés et affichés par des sites académiques, éclaire les limites de ce vaste projet institutionnel.
– Tout d’abord, nombre de protocoles ne déclinent que 2 rôles. Ils répondent donc partiellement à l’AFL puisqu’ils privent les élèves (devant obligatoirement en présenter 2) de leur possibilité de choix.
– Par ailleurs certains référentiels plus conformes retiennent des critères d’évaluation de toute évidence irréalistes, impossibles à apprécier. Comment évaluer la pertinence des solutions apportées par 30 élèves-coach aux problèmes de leurs partenaires entraînés, comment d’ailleurs concrètement enseigner cette compétence ? Il faut cesser le simulacre !
– Enfin d’autres se fondent sur l’évaluation de capacités extérieures aux apprentissages spécifiques de ces rôles. Par exemple, pour évaluer le rôle de juge sont définis comme critères en niveau 1 « peu attentif, concentration aléatoire », en niveau 2 « plutôt attentif, attention périodique », en niveau 3 « attentif, concentration régulière » et en niveau 4 « très attentif, concentration permanente ». On s’interroge sur ce qui est là réellement enseigné et appris. Une telle appréciation mesure davantage la manière dont l’élève se prête au (jeu de) rôle, sa persévérance et la qualité de son implication, ce qui pourrait être légitime par ailleurs mais qui ne relève pas de contenus enseignés, précis et appris. La visée hautement constructiviste se transforme en un simple objectif comportemental.
Voilà comment les déclinaisons locales d’AFL vagues, complexes et inadaptés, engendrent soit des réponses conformes mais très irréalistes et infaisables, soit des solutions plus réalisables et plus adaptées aux impératifs du terrain mais réductrices ou détournées. Dans tous les cas elles mettent en échec la commande institutionnelle et confirment la valeur subjective croissante des diplômes à venir.