Article paru dans Les Echos, mai 2016
Avec la vague d’attentats commis au nom d’une guerre religieuse menée par une minorité d’extrémistes déterminés à conquérir l’occident par la restauration du califat, cette interprétation de laïcité « ferme » est désormais de plus en plus largement partagée, y compris par nos voisins européens qui ont longtemps reproché à la France sa conception exclusive de la laïcité (notamment lors de la loi du 15 mars 2004 sur l’interdiction des signes religieux dans les établissements scolaires).
Dans un contexte d’urgence où la menace terroriste n’a jamais autant pesé sur l’école, le ministère de l’Éducation nationale a annoncé une série de mesures plus ou moins efficaces, destinées à préserver les valeurs de la République – ou ce qu’il en reste – au sein de son École. Or, force est de constater que l’École ne peut être considérée comme un sanctuaire où chacun se déchausserait de son fardeau familial et personnel à l’entrée. Au contraire, perméable à tous les maux qui rongent notre société, elle accueille, avec les élèves, les convictions et préceptes qu’ils véhiculent. Ainsi, la diversité culturelle, religieuse, ethnique qui fait la « richesse » de notre nation se revendique de la même façon à l’Ecole, où l’on affirme son origine ou sa religion, et autant que possible sa différence, comme une marque identitaire. L’unité nationale qui est ébréchée dans la société se traduit par l’impossible « vivre ensemble » qu’affiche pourtant l’Institution scolaire dans ses ambitions. Et cette perméabilité est sans cesse alimentée par l’immédiateté des médias, l’accessibilité à Internet, et les phénomènes bien connus d’ « imam Google » labellisé « plus important recruteur » de jeunes djihadistes (rapport CPDSI, 2014). Les paraboles arrimées aux balcons des cités ghettos ont entretenu un vase clos où l’on vit entre cousins avant de vivre en France, et d’où l’on sort pour se rendre à l’école par obligation comme si l’on venait d’ailleurs. D’une revendication identitaire étrangère, à la victimisation, il n’y a qu’un pas. Et « les groupes activistes pro-religieux à l’œuvre dans les écoles pour tester les valeurs de la République » (Rapport Stati 2003) l’ont bien compris, qui n’ont plus qu’à tendre la main pour aider à faire ce pas. Nous avons tous connu les manifestations identitaires propres à la jeunesse : le rock à une époque, la mini-jupe à une autre… Le port du voile islamique aurait pu être interprété de la même façon. Mais ce serait ignorer les pressions exercées sur les jeunes filles – et les familles – par des prédicateurs aux intentions pas très catholiques.
La crise de l’École publique laïque, dont le démantèlement acharné par nos gouvernements successifs peut légitimement interroger nos concitoyens, a favorisé l’essor des écoles privées et confessionnelles. Et c’est justement sur l’éducation que misent les mouvances extrémistes pour injecter leur conception de l’islam, bien souvent réduit à une propagande idéologique antirépublicaine, antisémite, antioccidentale. Elles ont désormais l’emprise sur un grand nombre d’écoles confessionnelles musulmanes. Leur expansion rapide se fait au détriment de la qualité du recrutement et des enseignements dispensés, dont l’indigence et le double jeu ont récemment été démontrés à la suite d’inspections surprises hâtivement commandées par le ministère. Pourtant, légalement, rien n’interdit ces créations, encouragées par l’état islamique qui incitait au lendemain des attentats de novembre 2015 à rejoindre « les écoles où les programmes sont réellement islamiques » et « tuer les professeurs enseignant la laïcité ».
C’est dans sa propre législation et par sa vision coupable d’angélisme que l’État permet les agissements d’activistes dont le projet de réislamisation des populations trouve aujourd’hui une écoute parmi une communauté qui, au mieux négocie aujourd’hui son insertion dans la République, au pire distille les ingrédients d’une rupture d’une partie de sa jeunesse avec la communauté nationale.