Il est des rumeurs qui participent à un étonnant « renversement de toutes les valeurs » – d’ailleurs fort peu nietzschéen par nature[1]. Elles conquièrent d’autant plus facilement les esprits qu’elles sont portées par des modes criardes dont l’éclat masque hélas bien souvent les oripeaux de l’obscurantisme.
Ainsi en va-t-il pour La Marseillaise. D’aucuns la vouent au dégoût du jour. Ils évoquent ses relents racistes. La raison ? L’évocation d’un « sang impur » dans le couplet. Rien qu’à l’écouter, ils voient rouge. Ce terme serait dirigé à l’encontre des étrangers et offrirait par conséquent la preuve de la xénophobie des révolutionnaires. Pas de veine pour ces révoltés de la dernière heure ! C’est exactement l’inverse.
Avec le SNALC, osons donc un brin de généalogie de la… morale.
La Révolution met fin à l’Ancien Régime qui instituait une différence de classe, basée sur la naissance, entre les nobles et les gens du peuple. Les aristocrates justifiaient de leurs privilèges par leur sang pur, au contraire de celui des roturiers, qualifié d’impur. Barrière biologique infranchissable qui reléguait le peuple à l’asservissement perpétuel en lui ôtant toute possibilité de sortir de sa condition.[2]
Dans la nuit du 4 au 5 août 1789, la Révolution sonne le glas des privilèges. Puis, le 26 août, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, s’inspirant du droit naturel (jusnaturalisme), instaure l’égalité principielle de tous les êtres humains : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » (Art.1)
Mais certains nobles n’entendent pas se résoudre à ce nouvel ordre socio-politique et partent chercher des appuis hors de France. Ils émigrent vers les monarchies d’Europe dans le but de les rallier à la contre-révolution, espérant reprendre le pouvoir par la force.
Or, ce sont précisément ces nobles que désigne La Marseillaise. Eux qui prétendent que leur sang est plus pur que celui des roturiers dévoilent leur impureté morale par leur trahison de la France. Les paroles : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » ne renvoient donc nullement à un sang étranger. En effet, l’hymne national prend à rebours la prétention des nobles en affirmant que leur sang est impur car il est celui de traîtres.
Autre preuve à décharge : rappelons que la Révolution a fait citoyens d’honneur Anacharsis Cloots et Thomas Paine, « étrangers » qui soutiennent la France révolutionnaire…
Voilà pourquoi le SNALC se tient aux côtés de tous les professeurs, et notamment de nos collègues professeurs des écoles qui ont pour tâche d’enseigner aux élèves, dès le CP, le premier couplet de La Marseillaise.
Insistons donc auprès de nos élèves sur le sens profond de ce passage. Nous leur éviterons ainsi de se joindre aux moralisateurs ignorants qui détournent leurs regards effarouchés de l’Histoire. Car au travers du « sang impur » résonne la grandeur de l’homme asservi qui se dresse contre ses tyrans. Une leçon d’émancipation.
[1] Le « renversement de toutes les valeurs » est une expression inventée par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900). Elle est employée ici, par ironie, a contrario du sens original que lui donnait l’auteur.
[2] Voir à ce sujet l’explication éclairante de l’historien Pierre Serna, « La petite histoire de La Marseillaise », sur le site du gouvernement : https://www.gouvernement.fr/actualite/la-petite-histoire-de-la-marseillaise