Les événements médiatiques de ces dernières semaines – agression de Combs-la-Ville, anniversaire de la mort de notre collègue Samuel Paty mettent en lumière un aspect de notre métier, souvent méconnu ou sous-estimé du grand public : les conflits et leurs conséquences.
Dossier du mois de la revue du SNALC Quinzaine universitaire n°1458 du 15 novembre 2021
Dossier rédigé par Maxime REPPERT, secrétaire national du SNALC chargé des conditions de travail. Avec la collaboration de Sébastien VIEILLE, secrétaire national chargé de la pédagogie, Christophe GRUSON et Véronique MOUHOT, SNALC premier degré.
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UNE DIGNITÉ ET UNE SÉRÉNITÉ SOUVENT MISES À MAL ?
Quand on parle de situations conflictuelles – par ailleurs souvent camouflées sous le tapis du « pas-de vagues » – on pense généralement à la question de la gestion de classe (ce qui implique aussi la notion d’autorité). Mais cela ne se limite pas à ce seul point. Il ne faut pas oublier les conflits qui peuvent avoir lieu avec les parents, les pairs ou la hiérarchie, comme dans le premier degré par exemple
Enfin, parler des conflits, c’est aussi parler des risques psychosociaux encourus par les personnels.
Le SNALC rappelle qu’il a contribué à mettre en lumière ces situations problématiques et propose des conseils et outils concrets pour préserver et protéger les collègues, à l’image par exemple de la protection juridique pénale offerte à ses adhérents via son partenariat avec la GMF.
Quoi qu’il en soit, ce dossier n’a pas vocation à être exhaustif ni à généraliser mais simplement à faire prendre conscience des aspects et difficultés qui mettent à mal une dignité et sérénité que nous cherchons tous, légitimement, au quotidien dans nos métiers.
AGRESSION DE COMBS-LA-VILLE : UNE GESTION «MÉDIATISÉE» DES CONFLITS
Le 8 octobre dernier, une enseignante de 66 ans du lycée professionnel Jacques-Prévert à Combs-la-Ville (Seine et Marne) a été violemment projetée à terre par un élève qui tentait de sortir de sa salle de classe en plein cours. La scène, filmée par un camarade, est devenue virale.
Quelques jours après, l’auteur de cet acte, un élève de terminale âgé de 18 ans, est passé en comparution devant le tribunal judiciaire de Melun qui l’a condamné, notamment, à 5 mois de sursis probatoire pendant deux ans et 140 heures de travaux d’intérêt général.
Le SNALC tient à saluer la façon dont cette agression a été gérée par la hiérarchie, que ce soit par les services du rectorat ou par le chef d’établissement. En effet, la protection fonctionnelle a été rapidement accordée à la collègue agressée et une plainte a été déposée (par la victime mais aussi par le chef d’établissement). Toutefois, au-delà de ce constat, nous apportons deux bémols :
Cette gestion rapide et efficace relevée ici est loin d’être systématique dans des affaires analogues que nous suivons (sans parler des témoignages qui nous sont remontés). Chose que nous regrettons vivement. Ce premier point en soulève un autre : la prise en charge rapide de la hiérarchie dans ce dossier n’est-elle pas liée à la grande portée médiatique de cette agression et au contexte de l’anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty ?
Moins d’un an après ce drame, l’émotion est vive. Comment ne pas penser à toute cette violence qui peut s’abattre, n’importe quand, sur l’un d’entre nous ?
Oui, l’agression de Combs-la- Ville est spectaculaire et ne constitue pas, fort heureusement, la majorité des incidents de notre quotidien. Pour autant, elle n’est pas un acte isolé. Il suffit de taper sur un célèbre moteur de recherche « agression enseignant » pour se rendre compte que la vie d’un professeur (et plus largement de tous les personnels) est loin d’être un long fleuve tranquille. Il existe de fortes perturbations. Entre le « Pas de vague » et le « Prof Bashing », nul doute que nous naviguons de plus en plus en eaux troubles. Le SNALC n’abandonnera pas le navire EN pour autant.
GESTION DE CLASSE : UNE QUESTION INDIVIDUELLE ET PROFESSIONNELLE
Que ce soit en début de carrière, lorsque la pédagogie est encore en construction, ou au regard des événements récents, la question de la gestion de classe est prégnante dans notre métier. Mais existe-t-il une recette ?
Ce thème est traité en formation continue ou durant les années INSPE. Mais souvent, cela se résume à ce que le jargon nomme « une analyse de la pratique ». On fait un tour de table et un formateur juge puis donne des trucs et astuces.
Certains ont leur intérêt. L’on peut citer, par exemple, le fait de ne pas prendre de front un élève meneur devant ses camarades. Le prendre seul à la fin de la classe évite souvent l’escalade.
Mais à l’exception de quelques outils de bon sens, la gestion de classe est une question de personnalité. Tenter de plaquer des méthodes utilisées par d’autres mène souvent à l’échec. Sans entrer dans le clés en mains, le SNALC vous rappelle la Loi : l’article L 912-1 du Code de l’éducation prévoit que les enseignants sont responsables de l’ensemble des activités scolaires des élèves.
Il a cela d’intéressant qu’il nous pose comme maîtres dans nos salles de classe.
En outre, il permet une chose souvent niée là où le pas de vague règne en maître : l’exclusion de cours.
Ceux qui prétendent qu’exclure est illégal pour un professeur ne savent pas lire. Ils confondent cette punition avec la sanction décidée par le chef d’établissement seul ou suite au conseil de discipline. En tant que professeurs, nous pouvons, face à « un comportement inadapté au bon déroulement du cours » faire sortir un élève. Nous donnons juste un travail et le faisons accompagner en vie scolaire
Vous êtes dans un établissement où l’on pratique le retour à l’envoyeur ? Mentionnez l’article L 912-1 et refusez de reprendre l’élève. Ajoutez que vous verrez le chef d’établissement pour parler commission éducative.
Au final, la gestion de classe implique que le professeur est l’autorité. Il fait autorité par son statut de transmetteur du savoir. C’est cela que notre institution tend à oublier, à nous faire oublier et à ne plus dire aux élèves. C’est cela qui peut pacifier le climat scolaire.-
LES SITUATIONS CONFLICTUELLES DANS LE PREMIER DEGRÉ
Dans le premier degré, conflits et remise en question de l’autorité du professeur sont monnaie courante. Contrairement à ce qui se passe dans le second degré, la gestion de classe rencontre rarement des débordements de violence de la part des élèves envers les professeurs. Les conflits trouvent principalement leur origine dans le relationnel de plus en plus tendu avec les parents d’élèves, la hiérarchie et entre pairs.
LES PARENTS D’ÉLÈVES
Certains parents peinent à imposer une autorité à la maison et à accepter celle de l’enseignant. La moindre punition peut être remise en question ou contestée, et ce dès l’entrée en maternelle. Au lieu de soutenir la décision du maître, beaucoup de parents s’opposent, altérant ainsi l’autorité du professeur. De plus, l’école est aujourd’hui considérée comme un « service » public au sens propre – un dû – pour lequel on exige une réponse à toutes les attentes, à tous les maux, même extérieurs.
L’INSPECTEUR
Les motifs de relations de plus en tendues entre IEN et PE sont nombreux : remise en question de la liberté pédagogique, infantilisation dans les échanges, comptes-rendus de rendez-vous de carrière blessants, absence de soutien en cas de remise en question ou d’agressions, manque d’empathie dans les demandes d’autorisation d’absence, etc.
CONFLITS INTERNES
Comme les écoles primaires regroupent le plus souvent 4 ou 5 PE qui, 6 à 8 heures par jour, se partagent élèves, locaux et matériel, les situations conflictuelles entre collègues sont de plus en plus récurrentes. Le directeur d’école peut déclencher une réunion pour tenter de dialoguer et apaiser les tensions. Mais parfois le conflit peut se situer entre un directeur (trop autoritaire ou à contrario trop laxiste) et les adjoints. L’IEN sera alors sollicité, si tant est qu’il veuille bien s’y intéresser.
Que les conflits soient internes ou externes, l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 spécifie que l’institution a le devoir de protection des professeurs dont elle a la charge. Pour autant, de nombreuses situations montrent que des maillons, hiérarchiques ou pas, faillissent à leur devoir. Contactez le SNALC si l’institution n’accorde pas le regard et le traitement que votre situation mérite.
CONFLITS ET RISQUES PSYCHOSOCIAUX : ATTENTION DANGER !
Aborder la question des conflits (avec élèves, familles, hiérarchie et parfois avec ses pairs), c’est également parler des risques psychosociaux. Mais avant d’aller plus loin, il convient de donner une définition (1) de ces derniers.
Les risques psychosociaux (RPS) correspondent à des situations de travail où sont présents, combinés ou non : « du stress (…) des violences internes (…) : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes ; des violences externes (…) (insultes, menaces, agressions…). Ce sont des risques qui peuvent être induits par l’activité elle-même ou générés par l’organisation et les relations de travail. »
Ces RPS se développent malheureusement fortement en l’absence de médecine préventive, de valorisation du métier et de protection des personnels face aux pressions. En outre, les (rares) outils mis à leur disposition sont trop souvent ignorés. Le mal-être éprouvé peut conduire au burnout voire au développement de tendances suicidaires.
Pour le SNALC, il devient de plus en plus important de savoir se protéger : au niveau de sa sphère privée (prise de distance avec le travail, aménagement d’un temps dédié au travail/consultation messagerie professionnelle.), vis-à-vis des élèves et familles (pressions, agressions…), vis-à-vis de la hiérarchie.
Le SNALC est là pour vous épauler, que ce soit à travers ses équipes, à travers ses écrits ou à travers ses dispositifs (comme mobi-SNALC). Des solutions existent, des habitudes sécurisantes peuvent être prises N’hésitez pas à consulter les conseils de notre memorandum sur la souffrance des personnels ! (2).
Le meilleur moyen pour gérer les conflits et les risques psychosociaux est de ne pas être seul et de connaître et affirmer ses droits. Le SNALC peut vous y aider.
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(1) Extrait du site de l’Institut national de recherche et de sécurité
https://www.inrs.fr/risques/ psychosociaux/ce-qu-il-faut-retenir.html
(2) https://snalc.fr/souffrance-au-travail-memorandum/ p.53