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EPS: plaidoyer pour une éducation « du » physique

Article publié dans la QUINZAINE UNIVERSITAIRE – #1417 – MAI 2018




Dans nos deux précédents articles, nous avons démontré combien une éducation « par » le physique a progressivement concurrencé l’éducation « du » physique. C’est une dérive préjucidiable à l’identité et au rôle de notre discipline, à la formation de la jeunesse, à la société. Elle n’est cependant pas une fatalité et il est temps que l’EPS soit recentrée sur sa spécificité.


L’ABANDON INSTITUTIONNEL DU DÉVELOPPEMENT DU POTENTIEL PHYSIQUE

En 1967, l’EPS visait le « développement de toutes les aptitudes physiques » ainsi que « le développement organique et foncier ».

En 1985, elle a eu pour « finalité de développer les capacités motrices ». Il faut noter ici le subtil glissement, point d’origine de cet abandon : le passage des aptitudes aux capacités, et celui du physique au moteur, diluant la formation du physique dans des dimensions plus floues et plus larges.

En 1996, le champ du physique s’est encore réduit puisque les programmes l’ont restreint au « développement des capacités nécessaires aux conduites motrices » visées par les apprentissages. L’objectif de développement s’est alors limité à ce qui était utile.

En 2008, le développement du physique est ensuite devenu un objectif méthodologique : les élèves « s’approprient les conditions d’entretien et de développement de leurs ressources ».

Enfin, depuis 2015, une dernière étape est franchie. Dorénavant, « les élèves mobilisent leurs ressources pour transformer leur motricité », traduisant un renversement du paradigme. Alors que l’activité motrice permettait le développement des ressources physiques, aujourd’hui c’est la sollicitation de ces ressources qui permet de modifier la motricité ! Quel recul ! Il ne convient plus de doter les élèves d’un potentiel physique mais de les amener à pratiquer avec le potentiel dont ils disposent. Est-ce bien suffisant ?

La pratique d’une activité sportive ne nécessite-t-elle pas quelques pré requis physiques? Or, que faisons-nous lorsque, pour obtenir des rotations complètes, nous pallions les insuffisances physiques par des plans inclinés, lorsque nous plaçons des tremplins pour faciliter des élévations à mi-taille en saut en hauteur, lorsque nous réduisons nos barèmes pour minimiser des échecs ? Jusqu’où irons-nous dans l’étayage et l’artifice, permettant certes la protection de l’estime de soi, sans pallier ces carences ? Faute d’augmenter les moyens des élèves, nous abaissons nos exigences. Les élèves et la société ont-ils à y gagner ?

LA CHUTE DU POTENTIEL PHYSIQUE ET L’ACCROISSEMENT DE LA SÉDENTARITÉ


Analyste de l’EPS et visionnaire éclairé, J.-M. PRÉVOST affirmait il y a 25 ans : « Nous croyons que le problème de l’avenir du muscle se pose sérieusement…1».

En effet, pour le Pr F. CARRÉ « la majorité des enfants et des adolescents aujourd’hui a de moins bonnes capacités cardio-respiratoires que leurs parents et leurs grands-parents au même âge, parce qu’ils sont beaucoup moins actifs. On est face à la première génération qui risque de vivre moins longtemps en bonne santé que la précédente 2 ».

De nombreuses études démontrent en effet une chute sans précédent des capacités physiques de la jeunesse et une augmentation de la sédentarité, phénomènes en corrélation :
– En 40 ans, les jeunes de 9 à 16 ans ont perdu 25 % de leur capacité cardio-vasculaire 3.
– En france, seul 1 enfant sur 2 bouge au moins 1h au cours de sa journée 2.
– Concernant les 6-17 ans, seuls 30 % des garçons et 20 % des filles atteignent les recommandations de l’OMS en matière d’activité physique 4.
– A 15 ans, seulement 15 % des garçons et 5 % des filles exercent une activité physique modérée à intense quotidienne en France, la classant parmi les moins bons pays européens 5.
– L’EPS en milieu scolaire est la seule pratique d’activité physique pour la moitié des adolescents 6.
– La sédentarité est considérée comme le 4ème facteur de risque de décès par l’OMS 7.

D’autres études démontrent l’importance excessive prise parallèlement par les activités d’écrans qui accentuent cette sédentarité :
– Un élève de CM2 sur 3 a une télévision ou un ordinateur dans sa chambre 8.
– La durée moyenne passée devant un écran par les enfants et les adolescents dès 3 ans est d’environ 3 heures par jour, chez les garçons comme chez les filles 9.
– Les 13-18 ans passent ainsi en moyenne 4h30 par jour devant un écran et près de 6 heures pendant le weekend 9.
– La consommation excessive d’écrans nuit au développement psycho social 2, entraîne des troubles neurocognitifs 10 et peut conduire à l’addiction et à la dépression 11.


UNE POSSIBLE ET NÉCESSAIRE ÉDUCATION « DU » PHYSIQUE


Alors que ces constats inquiétants devraient sensibiliser le législateur, nous constatons qu’au lieu de lutter contre leurs effets généralisés et délétères, l’EPS en partie y contribue.

En effet, l’abandon dans les programmes du développement du potentiel physique, initié il y 40 ans, entre aujourd’hui tristement en coïncidence avec la chute des capacités physiques de la jeunesse.

Parallèlement, l’accroissement de la connaissance, des temps réflexifs, que nous avons dénoncés, associés à une volonté institutionnelle qui valorise l’usage des tablettes et plus largement des TICE en EPS, concourent à la réduction des temps d’activité physique et à l’immobilité, tout en renforçant les activités d’écrans par ailleurs pléthoriques.

Des spécialistes comme M. GERBEAUX, S. BERTHOIN, M. PRADET, professeur à l’INSEP, ou encore S. MORTH, IA-IPR, démontrent que le développement du potentiel physique est possible en EPS, mais que l’érosion de cet objectif associée à des représentations erronées ou partielles, ont généré un sentiment « d’impuissance acquise 12 » au sein de la profession.

Or, « Les élèves, de la sixième à la terminale, sont dans une période dite critique (J.-M. LE CHEVALIER, 1989)… il est absolument nécessaire d’intervenir afin qu’ils puissent bénéficier du potentiel qu’ils sont en droit d’attendre. Les qualités de puissance (force et vitesse) peuvent aisément être développées par les courses courtes et les concours et les qualités d’endurance (puissance et capacité) par les courses de demi-fond ou de durée 13». M. PRADET confirme que « nos possibilités d’action sur le développement de la performance motrice nous semblent bien réelles ! » en EPS.

Il faudrait « accorder une place plus importante ou tout du moins plus permanente à la recherche du développement des « qualités physiques » de l’enfant et à l’établissement d’un plus haut niveau de sa condition physique 12».


MAXIMALISONS LES TEMPS DE PRATIQUE PHYSIQUE EN EPS


Faute de plus d’heures d’EPS, soyons pragmatiques et osons revendiquer qu’un enseignement de qualité passe d’abord par la maximalisation du temps de pratique des élèves avant de répondre à un formalisme scolastique praxéophage, contre-productif sinon délétère.

Limitons les temps d’observation, de verbalisation, de conception, d’évaluation et de régulation, d’auto-management, et de coaching… Musclons le corps avant de muscler le cortex.

Laissons ces exercices formels à d’autres disciplines ou aux STAPS.

Limitons l’usage des tablettes, et autres fiches, cahiers et outils, dès lors que l’on peut s’en dispenser et qu’ils réduisent l’activité motrice.

Favorisons avant tout l’engagement physique et le goût de la pratique en valorisant l’investissement individuel et en privilégiant l’activité et l’effort ludiques, sources de persévérance, plutôt que l’activité et l’effort ascétiques.


RÉORIENTONS NOS CONCEPTIONS ET RECENTRONS NOS ENSEIGNEMENTS


Aujourd’hui, l’EPS est écartelée entre trois finalités, « développer et mobiliser ses ressources, accéder au patrimoine culturel et savoir gérer sa vie physique et sociale ». Ces finalités comme les types de ressources à développer ne sont pas priorisées. Cela génère des enseignements divers et un manque d’unité. Les constats sont pourtant clairs. Les enjeux sont grands et notre discipline peut y répondre. Redonnons dans nos formations et dans nos projets une place au développement des ressources physiques qui passe en premier lieu simplement par l’activité du physique dans des pratiques variées et complémentaires ou à l’occasion d’exercices plus ciblés (puissance, endurance et adresse 12 ).

Construisons des programmations en considérant davantage le corps et son développement (chaines, ceintures musculaires et filières). En programmant football et gymnastique, par exemple, on agit sur les membres inférieurs et supérieurs et sur des filières énergétiques différentes.

Recentrons aussi les traitements didactiques et la conception des séquences sur la sollicitation des capacités physiques. Par des systèmes d’entréessorties constantes sur un terrain, six à huit élèves peuvent effectuer des exercices ou jouer en continu au badminton tout en activant leur système aérobie…

Une CP5 dès la 6ème, « non plus considérée comme une compétence à part, mais comme un socle capable de bonifier les autres compétences propres 12 » pourrait aussi être envisagée en EPS.


Conclusion :

L’identité de l’EPS, qui «n’est jamais donnée mais toujours construite et à reconstruire 14 » est aujourd’hui questionnée. Sa spécificité est menacée par une recherche permanente de conformité (J.-P. CLÉMENT 15) et de contribution à l’institution scolaire. Le législateur oublie que la légitimité et l’utilité de l’EPS résident avant tout dans sa capacité à agir sur le physique. Là se trouve sa contribution essentielle, spécifique et com plémentaire. Les enjeux actuels invitent à une profonde réflexion sur l’EPS qui devrait déboucher sur des programmes et des projets adaptés, utiles à la société, et qui renforceraient la pertinence de notre discipline.

Cette analyse plaide pour une prise de conscience et la mise en oeuvre urgente d’une éducation recentrée sur l’activité, l’engagement et le développement du physique par « une EPS autrement » que le SNALC entend bien revendiquer et promouvoir.


(1) J.-M. PRÉVOST : L’EPS en France, 1991.
(2) L’observatoire du coeur des français : Fédération française de cardiologie, 2017.
(3) G. TOMKINSON : Research priorities for child and adolescent physical activity and sedentary behavior, 2013.
(4) Rapport ESTEBAN, 2017.
(5) Panorama de la santé, OCDE, 2016.
(6) Inca 2, ANSES, 2007.
(7) OMS, http://www.Who.Int/dietphysicalactivity/pa/fr/, Consultation mars 2016.
(8) Enquête opinion way BJ10469-BM I&E, Observatoire pour la santé visuelle et auditive, 2014.
(9) État des lieux de l’activité physique et de la sédentarité en France, ONAPS, 2017.
(10) B. HARLÉ: Effects on children’s cognitive development of chronic exposure to screens, 2012.
(11) B.-M. PRIMARCK : Association between media use in adolescence and depression in young adulthood, 2009.
(12) M. PRADET : Développement et évaluation des ressources motrices de l’élève à l’école. Un enjeu fondamental pour la justification de l’utilité sociale de l’EPS, et sa spécificité dans le cadre des disciplines scolaires, AEEPS, 2015.
(13) S. MORTH : Les activités athlétiques en éducation physique, 2012.
(14) D. PASCO : Programmes en EPS et identité d’une discipline scolaire, Revue EPS n°283, 2000.
(15) J.-P. CLÉMENT : L’enjeu identitaire, AFRAPS, 1993.