Damnés de la DGH, sisyphes roulant un caillou encore lesté par les contraintes du « choc des savoirs », les professeurs de lettres classiques ne sont pas épargnés. La publication du projet de programmes de LCA achève de vider de toute substance des disciplines déjà bien minées.
Cultures de l’Antiquité : plus de projets, moins d’Antiquité
Ces 37 pages (un record de longueur, 19 pages avaient suffi en 2016) apportent peu d’éléments nouveaux. À part un appauvrissement et une dilution des repères historiques (où sont passées les guerres puniques ou la figure de César par exemple ?), un jeu de chaises musicales un peu vain (pourquoi basculer l’art oratoire en 4è ?) et des choix étonnants (« lire des histoires d’amour » en 5è, puis « penser les passions en 3è », ça ne fait pas un peu beaucoup ?), ils permettront aux professeurs de continuer à transmettre les éléments d’histoire et de civilisation essentiels. Signalons néanmoins une nouveauté bien dans l’air du temps : soucieux de répondre à la commande du ministère sur le développement des compétences psychosociales, les auteurs mettent l’accent sur les « compétences cognitives émotionnelles et sociales ». Et de prescrire chaque année du cycle une séquence intitulée « Héritages, dialogue et écarts » en lien avec l’un des parcours transversaux (EVARS, EMI, développement durable, parcours santé etc…). On pourra ainsi, en 5è, réécrire la fin des mythes antiques pour « aborder la problématique du consentement » dans le cadre de l’EVARS, « réaliser un audio guide » ou « monter une pièce de théâtre latine » (en toute simplicité) dans le cadre de la PEAC. Il ne sera pas dit que les LCA n’ont pas su s’adapter à notre monde moderne et à ses merveilles ! Résolument à la pointe, elles n’hésiteront pas à « se saisir des nouvelles technologies notamment l’intelligence artificielle » ; les outils numériques tels les lemmatiseurs (rien à voir avec les petits rongeurs des steppes) sont vivement recommandés. Elles ne rechigneront pas non plus à s’inscrire dans le calendrier d’une actualité trépidante en « s’appuyant notamment sur les manifestations internationales, nationales ou locales » ou « le calendrier des journées ou semaines de commémoration ou de sensibilisation ou des salons (de l’agriculture, de l’orientation…) ». Réaliser un tableau vivant de l’enlèvement des Sabines le jour de la journée des droits des femmes ou de Cincinnatus retournant à sa charrue au cœur de salon de l’agriculture, voilà qui aurait de l’allure !
On entend déjà les esprits chagrins. À force de faire des liens, de mettre systématiquement l’accent sur l’interdisciplinarité et le développement des compétences transversales, aura-t-on encore le temps d’apprendre et de pratiquer le latin et le grec ? Foin de ces considérations ! L’heure n’est plus aux exercices désuets tels que le thème ou la version (horresco referens), mais aux réalisations d’interviews, courts-métrages, portfolios, arbres à mots, bandes dessinées voire « note d’intention pour une mise en scène théâtrale ». Dans les œuvres suggérées à la lecture, les références à des mangas, BD, films et romans contemporains sont d’ailleurs aussi nombreux que les extraits de classiques. Il est vrai et le préambule le précise bien, que l’enseignement des LCA « n’a pas pour finalité la formation de spécialistes » – de ce côté-là, on est à l’abri. Était-il bien nécessaire néanmoins de l’instrumentaliser à ce point voire de pousser la servilité jusqu’à préciser qu’il contribuait à « l’acquisition du socle commun » alors même que ce dernier ne daigne même pas mentionner les langues anciennes ni dans sa partie intitulée « être curieux de la pluralité des langages (…) ni dans sa partie V consacrée aux disciplines dont les « langues vivantes et régionales » ?
Langues : nos chères disparues
L’absence des langues anciennes dans le socle commun acte peut-être tout simplement la triste réalité : il n’est plus guère question d’apprendre les langues anciennes pendant les heures – de plus en plus réduites – qui leur sont dédiées.
La partie consacrée à la langue intitulée significativement « comprendre le fonctionnement de la langue » (et non plus « étude de la langue ») représente à peine 10 % de l’ensemble du programme contre plus de 40 % auparavant. Les termes « morphologie » et « syntaxe » ont d’ailleurs disparu au profit d’une formule absconse : il faut « faire découvrir et comprendre aux élèves le fonctionnement d’une langue à flexion (…) et celui de la phrase simple et de la phrase complexe ». Exit donc le tableau précis des notions à acquérir progressivement au collège. L’ambition affichée de lire des textes authentiques serait-elle illusoire ? Sans aucun doute à moins de considérer que connaître quelques conjonctions de coordination, 3 déclinaisons, 3 temps et savoir vaguement identifier ablatif absolu et proposition infinitive suffit.
Ce n’est pas non plus au lexique que les élèves pourraient se raccrocher : quand les programmes de 2009 prescrivaient l’apprentissage minimal de 800 mots au collège, l’actuel projet se garde bien de préciser et se contente d’un vague « connaître les mots fréquents ». Les laborieux repérages sur des textes illisibles saturés de notes ou de couleurs ont de beaux jours devant eux… Les férus de grammaire pourront cependant « au fil des rencontre (…) faire observer et reconnaître » – apprendre serait sans doute trop demander – d’autres phénomènes grammaticaux comme en latin le participe présent, le gérondif, les pronoms… en somme tout ce qui permet de comprendre un texte. Piètre consolation tant l’étude rigoureuse est définitivement remplacée par une aimable promenade touristique. Pas question d’apprendre ou de mémoriser, mais « d’observer, de repérer et de mobiliser ».
À défaut de vraiment se confronter à l’exercice exigeant de traduction, et à grands renforts de « textes à trous », il sera toujours possible de « circuler dans l’œuvre autour d’un enjeu ou thème ». Bref, l’objectif de faire des élèves des « lecteurs autonomes capables d’entrer sans appréhension dans un texte étranger » ne sera pas tenu. En grec en 3è, il faudra encore se contenter d’apprendre l’alphabet, faire un peu d’étymologie et lire des œuvres traduites.
Enfin, d’un point de vue pratique, un tel flou laisse augurer de la difficulté qu’auront les éditeurs à proposer un manuel de référence utilisable. Les professeurs devront encore créer leurs propres supports « en tenant compte du volume horaire hebdomadaire, du niveau de classe et des besoins des élèves ».
Il est triste de voir cet enseignement millénaire, autrefois plébiscité pour sa rigueur et sa richesse, disparaître au royaume des ombres dans l’indifférence générale ou presque.
Encore une tâche terriblement chronophage doublée d’un manque de cohérence prévisible pour un enseignement qui variera infiniment d’un collège à l’autre.
Bref, ce projet de programme inconsistant est à l’image d’une discipline désormais fantôme : de moins en moins d’heures, de moins en moins d’élèves, de moins en moins de connaissances aussi bien pour les élèves que pour les professeurs comme en témoigne la nouvelle maquette du CAPES (voir ci-contre).
Il est triste de voir cet enseignement millénaire, autrefois plébiscité pour sa rigueur et sa richesse, disparaître au royaume des ombres dans l’indifférence générale ou presque. Les professeurs de lettres classiques commencent à désespérer ; ils n’ont pas mérité d’être ainsi relégués dans les cryptes du Tartare. Il ne faudra pas moins qu’un électrochoc, une libation extraordinaire ou la visite aux Enfers d’un nouvel Hercule pour redonner des couleurs à ces disciplines fondatrices. Le SNALC, syndicat humaniste qui se bat parfois bien seul pour défendre cet enseignement dans les instances ministérielles, ne baissera pas les bras.
Article paru dans la revue du SNALC Quinzaine universitaire n°1503 du 11 juillet 2025.