La nouvelle a de quoi inquiéter : dans l’académie de Dijon, des enseignants pourraient se voir confier des cours de Lettres après un simple entretien avec un inspecteur, sans formation disciplinaire spécifique ni concours de recrutement. Une attestation de validation de compétences suffirait. L’information a été rapportée notamment par Télérama et Mediapart¹.
Ce dispositif, qui serait expérimenté à la rentrée 2026, consiste à « reconnaître » des compétences en Lettres à des collègues titulaires d’un autre CAPES ou à des contractuels, afin de répondre à la pénurie croissante de professeurs. Il s’inscrit dans une logique déjà à l’œuvre dans plusieurs académies depuis les « job dating », qui avaient suscité un large émoi. Mais il franchit un cap supplémentaire : faire enseigner une discipline sans qu’elle soit réellement maîtrisée.
Pour le SNALC, ce type de décision est à la fois irresponsable, méprisant pour les enseignants, et dangereux pour les élèves. Enseigner les Lettres ne s’improvise pas. Cela suppose des connaissances approfondies en langue, en littérature, en stylistique, en histoire littéraire. Ce n’est pas une compétence générique que l’on valide sur la base d’un entretien.
En réalité, ce type de mesure participe d’une vision purement gestionnaire du métier : on « gère des flux », on « mutualise des ressources », on affecte les professeurs comme des variables d’ajustement. C’est la version RH du « prof interchangeable », dont le ministère tente d’imposer l’image. Mais c’est aussi le reflet d’une perte de considération structurelle pour l’expertise disciplinaire des enseignants. Pour le SNALC, c’est une ligne rouge.
Le professeur n’est pas un simple exécutant. Il est un spécialiste d’un champ disciplinaire. Il est recruté par concours national sur un programme exigeant. Il est formé pour transmettre un savoir rigoureux, pas pour remplir des heures dans un emploi du temps. Remettre en cause cela, c’est continuer à dévaloriser le métier, et à accroître la désaffection pour les concours enseignants — une désaffection que le ministère feint de découvrir chaque année².
Rappelons que des professeurs de Lettres titulaires de l’agrégation ou du CAPES, avec un barème important, peinent encore à obtenir des postes en lycée. Et dans le même temps, on ouvrirait l’accès à cette discipline à des personnels non formés ? Ce n’est pas un remède à la pénurie, c’est un aveu d’échec. Et une attaque frontale contre le cœur du métier d’enseignant.
Le SNALC n’accepte pas ce glissement vers une école low cost, où la polyvalence forcée remplace l’exigence disciplinaire, et où l’on sacrifie l’ambition intellectuelle des enseignements sur l’autel d’un pilotage RH abscons.
Nous demandons un moratoire immédiat sur ce type d’expérimentation et réaffirmons que seule une politique de recrutement ambitieuse, fondée sur des concours attractifs, une vraie formation et une revalorisation salariale, permettra de sortir de la crise actuelle.
Le SNALC continuera à défendre un modèle d’École où le professeur est un expert respecté, et où l’enseignement repose sur la maîtrise rigoureuse des savoirs³.
(1) Sources presse :
– Télérama, « Un CAPES de lettres, pour quoi faire ? », 27 mai 2025
– Mediapart, « Face à la pénurie en Lettres, l’académie de Dijon invente les profs interchangeables », 27 mai 2025
(2) SNALC, Communiqué de presse du 18 février 2025 : « Enseigner : un métier toujours moins attractif »
(3) SNALC, Article « Remettre le professeur au centre du village », juillet 2024
Article paru dans la revue du SNALC Quinzaine universitaire n°1502 du 6 juin 2025