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Bla Bla Bla…, Laïcité ?

Lettre ouverte au Président de la République

et à la Ministre de l’Education nationale

Vous avez dit « Laïcité », Monsieur le Président de la République ?
Vous avez dit « Laïcité », Madame la Ministre de l’Education nationale ?
Mais où en sommes-nous par rapport à la laïcité ?
Le 21 janvier 2015, lors de vos vœux au monde éducatif, vous êtes revenu, Monsieur Le Président, sur les incidents qui se sont produits dans plusieurs établissements pendant les hommages aux victimes des attentats, des élèves perturbant les minutes de silence, certains affichant même leur soutien aux auteurs des crimes.

Dès le lendemain, vous avez annoncé, Madame la Ministre, que vous souhaiteriez renforcer la présence des rites républicains à l’école. Le premier d’entre eux serait de chanter La Marseillaise en classe ou de reconnaître les symboles républicains, comme le drapeau ou Marianne. « Il y a des choses comme ça qui me paraissent ne pas devoir être prises à la légère, nous devons aussi apprendre aux élèves le respect de la force de la loi, de l’autorité », avez-vous dit. Pourquoi pas ? Mais avant tout cela…

POURQUOI NE PAS COMMENCER PAR APPLIQUER LA LOI DU 15 MARS 2004 SUR LA LAÏCITÉ SANS EXCEPTION DANS L’ENSEMBLE DES ECOLES DE LA RÉPUBLIQUE ?

Onze ans après la loi du 15 mars 2004, nous assistons au triste constat que cette loi est détournée par de hauts fonctionnaires de la République.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a débouté en 2008 des plaignants qui voulaient s’appuyer sur l’article 9 « convention européenne des droits de l’homme » pour remettre en cause l’application de la loi de 2004 dans nos établissements scolaires. Elle tranche de manière claire et définitive en faveur de la loi de 2004. Il n’y a donc aucun débat juridique à avoir. Par ailleurs, la loi du 15 mars 2004 n’interdit pas le voile islamique. La loi interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ouvertement une appartenance religieuse ». La circulaire du 18 mai 2004 est encore plus claire ; il s’agit bien d’interdire tout signe ou toute tenue qui permet de voir “immédiatement” l’appartenance religieuse, de même que « toute tentative de contournement de la loi ». Doit-on rappeler que le professeur ne doit pas savoir si un élève a ou n’a pas de religion ni quelle religion il a, s’il en a une ? Si l’enseignant apprend la religion d’un élève parce que celui-ci l’affiche par un signe ostentatoire, le professeur risque de ne plus pouvoir délivrer un enseignement complet car il peut être gêné ou freiné par cette provocation. Exposer voire imposer sa religion dans le cadre scolaire, c’est un acte qui porte atteinte à la liberté d’expression et peut gêner l’enseignement du professeur, jusqu’à faire obstacle à la transmission. N’a-t-on pas assisté au collège Villon de Mulhouse à une provocation d’élève refusant à un enseignant d’histoire de l’art de regarder une présentation faite par celui-ci au lendemain des attentats de Charlie Hebdo ?

Pourquoi ces dérives ? A qui profitent de telles « mesures dérogatoires » ? Aux élèves ? Aux chefs d’établissements ? Aux « bonnes statistiques » ?

Voici quelques exemples de la région strasbourgeoise.

Au lycée Jean Rostand de Strasbourg se poursuit ce qui a été mis en place par le précédent chef d’établissement : un local est mis à disposition des filles de confession musulmane dans l’enceinte de l’établissement. L’actuel proviseur parle de « tolérance sous contrôle et d’une gestion des équilibres » avant de rajouter : « si j’appliquais la loi de 2004 à la lettre, nous serions confrontés à des tensions ». Ces jeunes filles voulant des miroirs en pied afin de pouvoir ajuster leur voile, le chef d’établissement a accepté de rajouter quatre miroirs supplémentaires sans demander l’accord du CA (aujourd’hui une cinquantaine de filles utilisent ce local). On peut se poser la question de savoir sur quel budget a été imputé l’achat de ces miroirs. Sans parler du temps de travail de l’agent qui les a posés.

Rappelons qu’en 2004, Thomas Milcent (appelé aussi « Docteur Abdallah ») a exhorté les jeunes filles à résister face à la loi contre les signes religieux à l’école. Le chef d’établissement de l’époque décida avec l’accord du recteur de leur octroyer un local pour se changer. Plusieurs d’entre elles n’ayant pas respecté les règles internes mises en place par la direction furent expulsées. Elles firent appel de la procédure disciplinaire ; tous les dossiers furent rejetés par la Cour d’Appel de Nancy. En acceptant la salle, le recteur et le chef d’établissement ont ouvert la porte à un contournement de la loi. Certaines lycéennes ou étudiantes se sont engouffrées dans cette brèche, en ne respectant pas les règles d’utilisation de ce local. Aujourd’hui, des élèves de confession musulmane avouent qu’elles demandent à s’inscrire dans cet établissement pour bénéficier de l’usage de ce local. Ces inscriptions maintiennent ou augmentent le nombre d’inscrits et contrairement à d’autres établissements, celui-ci ne subit ainsi pas de fermetures de sections…

Monsieur le Président, Madame le Ministre, quand on légifère, il ne doit pas y avoir de mais…

Alors, pourquoi ce mais ?
2004… 2015. Onze ans après, nous continuons à accepter que cette loi soit enfreinte. Car si un mais est possible, pourquoi alors ne pas accepter qu’il y ait un mais aussi pour tous les autres, quelle que soit la communauté : qu’en est-il des brunes, des blondes, des orthodoxes, juifs ou bouddhistes, des fumeurs, des non-fumeurs, des homosexuels, des Noirs, des rappeurs…?

Une question se pose : où s’arrête le curseur sur l’échelle de la tolérance ?
Liberté, égalité, fraternité ? A qui profite cette dérive par rapport à la laïcité ?
Monsieur le Président, Madame la Ministre, vos propos autour des valeurs de la République ne sont pas du BLA BLA BLA.

Au collège François Truffaut, dans la banlieue strasbourgeoise, le principal a fait installer dans les toilettes de l’enceinte de l’établissement un miroir pour une vingtaine de filles de confession musulmane (sur 600 élèves). L’objectif final était ainsi d’éviter que ces filles ne s’orientent vers le privé ou ne suivent les cours par correspondance (CNED).
Pourtant, comme tous les autres chefs d’établissement, ce principal devrait être tenu d’appliquer et de faire appliquer la loi.
Liberté, égalité, fraternité ? A qui profite cette dérive par rapport à la laïcité ? Monsieur le Président, Madame la Ministre, vos propos autour des valeurs de la République ne sont pas du BLA BLA BLA.

Au collège Hans Arp à Strasbourg, plusieurs collégiennes de religion musulmane circulent voilées librement dans l’enceinte de cet établissement sans être interpellées ou inquiétées. Avec le plan Vigipirate et un portail fermé à double tour, les adolescentes sonnent pour qu’on leur ouvre le portillon et après vérification par le personnel de l’accueil, rentrent en toute impunité sans avoir enlevé leur voile.
Liberté, égalité, fraternité ? A qui profite cette dérive par rapport à la laïcité ? Monsieur le Président, Madame la Ministre, vos propos autour des valeurs de la République ne sont pas du BLA BLA BLA.

Aussi je vous demande de la cohérence : une application stricte de la loi qui garantit la laïcité dans l’école républicaine.

Dans l’article « Strasbourg : la question du voile divise un lycée » de C. Beyer du Figaro du 6 février 2015, par la voix de son service de communication, le recteur temporise : « Cette salle n’est pas identifiée comme un problème. Notre volonté première est de scolariser ces jeunes. Certains établissements ont mis en place des facilités matérielles ». Voilà des discours qui contredisent vos discours, Monsieur le Président, Madame la Ministre. « Des mesures dérogatoires », « des facilités matérielles »… L’apprentissage de la laïcité serait-il finalement négociable par un chef d’établissement ou un recteur ? La Fontaine nous a pourtant enseigné que chétive pécore s’enflant ainsi connut plus tragique destin.

Liberté, égalité, fraternité ? Et la laïcité ? Ces chefs d’établissements et hauts fonctionnaires, représentants de l’Etat, par peur de situations de conflits, « ne veulent pas de vagues »… Mais la digue lâchera. Car tout recul concernant la laïcité permettra aux provocations d’avancer. « Monsieur le Président, Madame le Ministre, quand on légifère, il ne doit pas y avoir de mais… »

Finalement, qu’en est-il des autres régions ? Piètre consolation, il semble que l’académie de Strasbourg ne soit pas seule à accommoder les valeurs de la République à une sauce qui lui convienne… cela permet assurément à certains de ses fonctionnaires de se sentir moins seuls dans leur non-respect de la loi.

Que faut-il qu’il arrive encore comme attentats odieux pour qu’enfin le taureau du bon sens soit repris par les cornes ? OUI aux mesures proposées par vous, Madame la Ministre ! OUI à l’exposition de la charte de la laïcité dans tous les établissements. Mais avant tout, commençons par faire respecter strictement la loi sur la laïcité… Le respect passera par l’exemplarité. Après les événements dramatiques du 7 janvier dernier, nous nous devons de remettre le respect de la laïcité et des valeurs républicaines au centre de notre Education nationale et devons cesser de renoncer à nos propres valeurs. Ce n’est pas à l’école de s’adapter aux cultures, aux différences mais bien l’inverse. Il faut appliquer la laïcité et sa charte à la lettre ! Nous sommes plus d’un million de personnels salariés du ministère de l’Education nationale. Ce ministère porte les valeurs de la République. Nous lui devons le respect de ces valeurs.

Si quelques fonctionnaires se sentent le droit de détourner la loi et de violer la charte de la laïcité, de pourfendre ainsi les valeurs de la République, je leur demande d’avoir le courage de s’expliquer ouvertement sur ces « mesures dérogatoires » qui, après vos discours post-attentats, ressemblent encore plus à des camouflets.


Jean-Pierre Gavrilovic
Président du SNALC de l’Académie de Strasbourg