Professeure menacée et insultée pour avoir montré un tableau.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, est l’invité, de Marie Portolano sur Télémation le mardi 12 décembre 2023.
Télé matin – Thomas Sotto
Une nouvelle fois, une prof se retrouve menacée et insultée à cause de ses cours. Cette fois, cela s’est passé dans les Yvelines. Décidément, nos collèges semblent bien malades. On en parle avec notre invité. C’est Jean-Rémi Girard, professeur de français et président du SNALC, autrement dit le syndicat national des lycées, collèges, écoles du supérieur. Bonjour et bienvenue à vous.
Télé matin – Marie Portolano
Bonjour Jean-Rémi Girard, merci beaucoup d’être avec nous. La semaine dernière, une professeure de français a été menacée pour avoir montré à sa classe de 6e un tableau de la mythologie où figurent 5 corps de femmes nues. Cette œuvre, la voici. Des élèves s’offusquent, tournent les yeux, des parents se plaignent, assurant que les convictions religieuses de leurs enfants ont été offensées. Qu’est-ce que cela vous évoque déjà ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Cela m’évoque Samuel Paty. Très clairement, on est dans quelque chose dont le point de départ ressemble très fortement à ce qui s’est passé pour Samuel Paty. C’est-à-dire une remise en cause d’un cours qui est tout à fait normal, qui est parfaitement dans le programme, et voilà l’invocation de convictions religieuses pour refuser la pédagogie de l’enseignant et les rumeurs qui commencent à circuler.
Télé matin – Marie Portolano
Depuis vendredi, l’équipe pédagogique du collège concerné exerce son droit de retrait. Gabriel Attal s’est rendu dans le collège et a réaffirmé sa ligne : zéro impunité, zéro complicité. Pourquoi, selon vous, est-il aujourd’hui si difficile d’appliquer ces règles au quotidien, ces règles de laïcité ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Parce que l’école n’est pas la seule autorité dans le pays à laquelle sont confrontés nos enfants et nos élèves ; c’est-à-dire que nous sommes une source d’autorité parmi beaucoup d’autres. Il y a évidemment la famille, il y a ce que nos élèves peuvent consommer sur les réseaux sociaux également. Parfois, ils sont confrontés à des autorités religieuses, et la parole d’un enseignant n’est pas forcément perçue par les élèves comme étant une parole respectable ou à respecter, surtout lorsqu’il y a un conflit avec la famille ou avec une autre source d’autorité.
Télé matin – Marie Portolano
Mais alors justement, pensez-vous qu’aujourd’hui en France, les règles de la laïcité sont assez claires ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Les règles de la laïcité sont assez claires, et justement, c’est le rôle de l’école de les expliquer, ce que nous faisons. Nous avons des cours d’enseignement moral et civique, et il y a une charte de la laïcité qui les explique de manière tout à fait compréhensible aux différents âges auxquels on doit les présenter. Là, c’est plutôt l’influence religieuse qui a décidé de ne pas respecter les règles de base de la laïcité, et une fois encore, ce sont de jeunes enfants, en classe de sixième : ce n’est pas eux qui ont décidé cela un jour en se levant.
Télé matin – Marie Portolano
Vous êtes également professeur de français depuis vingt ans. Montrer des caricatures aujourd’hui dans un cadre scolaire, est-ce devenu trop compliqué ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ce n’est pas encore devenu trop compliqué, heureusement. Moi, j’ai montré un tableau hier à mes élèves.
Télé matin – Marie Portolano
L’auriez-vous montré, par exemple, ce tableau à vos élèves ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, j’aurais tout à fait pu montrer ce tableau. Ça ne pose aucun souci. Il est en plus dans le programme. On utilise la mythologie grecque et romaine en sixième, c’est extrêmement bien d’ailleurs. Les élèves apprécient généralement beaucoup cela.
Télé matin – Marie Portolano
Cela fait partie du programme ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Cela fait complètement partie du programme. Et effectivement, l’art aussi. Lorsque vous vous baladez dans certains parcs parisiens, vous avez des statues nues également. Donc, il n’y a absolument rien de choquant dans ce tableau, et encore moins au niveau du collège.
Télé matin – Marie Portolano
Alors, quel est le problème aujourd’hui ? Est-ce que ce sont les élèves ? Ce sont les parents ? Quel est le problème concret ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Non, le problème ce ne sont pas les élèves, parce que les élèves sont des éponges qui, à un moment donné, recueillent des influences.
Télé matin – Marie Portolano
Oui, là visiblement ce sont eux qui ont accusé la professeure de racisme. Finalement, ils ont fait marche arrière, ils ont présenté leurs excuses.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, alors les excuses sont un peu légères quand même.
Télé matin – Marie Portolano
Les élèves ont colporté, ont raconté à leurs parents de fausses informations.
SNALC – Jean-Rémi Girard
C’est ça, mais de ce point de vue-là, si les élèves sont aussi là-dedans, c’est peut-être parce qu’on les a mis aussi dans cette situation, à dire que ce n’est pas normal qu’on vous montre ça à l’école ou dans la religion, ce n’est pas bien s’il y a ça. On le sait, l’islamisme, la version extrême, cherche à attaquer l’école française ; elle l’a déjà écrit : enseigner la musique, c’est mal, faire du sport, c’est mal, etc. Donc ce sont malheureusement des choses que l’on croise assez régulièrement. Nous, au SNALC, d’ailleurs, on a eu à gérer une situation très similaire dans les Yvelines ; la professeure a finalement changé d’académie pour sa propre sécurité.
Télé matin – Marie Portolano
Alors, qu’est-ce qu’il faut faire concrètement ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Il faut déjà ne rien laisser passer. C’est pour ça que c’était très important que le ministre se rende sur place. Ça, c’est une vraie différence par rapport à ce qui s’est passé avec Samuel Paty, où le soutien de l’institution, il faut quand même le chercher pour arriver à trouver un début de quoi que ce soit. Là, le ministre a été très clair : les procédures disciplinaires classiques d’un établissement vont être engagées, et il faut surtout faire ce que la collègue a fait, c’est-à-dire porter plainte, demander la protection fonctionnelle. Parce que là, on va pouvoir chercher si ça a fuité encore plus loin, c’est-à-dire si son nom circule sur des réseaux sociaux. C’est là où ça devient dangereux, et ça peut être une semaine, deux semaines, trois semaines plus tard. D’où le droit de retrait : c’est un danger grave et imminent, d’où le droit de retrait. On a quand même suffisamment, malheureusement, d’expérience en la matière pour savoir que le danger est grave et imminent.
Télé matin – Marie Portolano
Justement, qu’est-ce qui a été fait pour les profs depuis Samuel Paty ? Il y a eu des commémorations, il y a eu des hommages, mais qu’est-ce qui a été fait concrètement pour les professeurs aujourd’hui ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Depuis Samuel Paty, pas grand chose.
Télé matin – Marie Portolano
Rien ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Depuis Samuel Paty, pas grand-chose. La seule chose que nous, en tant que syndicat au SNALC, on a pu constater, c’est qu’il a été un peu plus facile d’obtenir la protection fonctionnelle, c’est-à-dire que l’État s’engage à vous protéger. Ce n’est toujours pas automatique, c’est ce que nous demandons, que ce soit automatique, mais cela commence à être un peu plus facilité et aussi à être un peu plus connu par les collègues. Depuis, malheureusement, l’autre assassinat qui a eu lieu de Dominique Bernard, le 13 octobre il y a deux mois, on a travaillé là-dessus avec le ministre, sur les mesures au sein des établissements, pour que tout le monde ait une alarme intrusion en état de marche, ce type de choses… Ça n’aurait rien changé dans la situation de la collègue, ici on est d’accord, mais ce sont quand même des mesures qui paraissent évidentes, qu’on puisse savoir si quelqu’un s’est introduit dans un établissement. On attend de voir le résultat, ça ne dépend pas que de l’Éducation nationale, ça dépend des collectivités locales aussi, mais de manière générale, il faut absolument qu’à chaque fois qu’il y ait une situation de ce type, on soit dans le soutien envers les personnels et qu’on leur apporte aussi les moyens humains de gérer l’établissement. Ce n’est pas le premier incident qui a eu lieu dans ce collège depuis la rentrée, il y a eu un nombre complètement délirant de faits établissements qui sont déjà remontés.
Télé matin – Marie Portolano
Surtout depuis l’entrée en 6e de nouveaux élèves, est-ce que vous ressentez une agressivité croissante, vous qui êtes professeur ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ce n’est pas forcément toujours de l’agressivité, heureusement, mais souvent on se rend compte que pour certains élèves, cela ne les intéresse pas trop ce qu’on dit, ou ils ne se sentent pas forcément inclus ni très concernés. Ce n’est pas juste dans le sens où à l’école, parfois on est fatigué, parfois on n’aime pas telle matière, ce sont des choses qui peuvent arriver. C’est vraiment cet aspect où beaucoup de collègues se disent que dans certaines classes, avec certains élèves, et il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, globalement, oui, effectivement, ça peut être compliqué d’enseigner certaines choses. On prend un peu des pincettes, on marche un peu sur des œufs, on essaie de faire attention.
Télé matin – Marie Portolano
De l’autocensure ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Je n’appellerais pas cela de l’autocensure. Ensuite, dans les établissements très difficiles, parfois on va quand même faire attention à sa propre sécurité, parce qu’on se retrouve avec les pneus crevés sur le parking, et le parking ne ferme pas d’ailleurs, etc. Mais il y a de la vigilance, c’est-à-dire que si j’étudie, par exemple, un texte de Voltaire, et que je vois qu’un ou qu’une élève a une réaction un peu particulière alors qu’on va parler religion à un moment, je prends vraiment le temps d’expliquer, et si jamais je vois qu’à un moment ça ne passait pas, ce qui m’est encore arrivé, là à un moment je peux commencer à faire un signalement.
Télé matin – Marie Portolano
Merci beaucoup, Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées, collèges, écoles du supérieur. Vous êtes également professeur de français. Merci d’être venu.