Former des enseignants au plus vite. En quatre jours. C’est l’appel un peu fou qui a été lancé en France, suite à la pénurie de professeurs au sein de l’Éducation nationale. Pour en parler, André Bercoff reçoit Maxime Reppert, secrétaire général du SNALC – Syndicat National des Collèges et des Lycées, et René Chiche, professeur agrégé de philosophie et vice-président du syndicat Action et démocratie CFE-CGC
Maxime Reppert, secrétaire national aux conditions de travail et climat scolaire du SNALC, répond aux questions sur Sud Radio le 6 septembre 2022
André Bercoff
« Écoutez, vous n’avez aucune formation, vous ne connaissez pas grand chose, mais nous avons besoin de vacataires. On va vous former en 4 jours, c’est formidable ! » Maxime Reppert, qu’est-ce qui se passe ?
Maxime Reppert
C’est du bricolage, ni plus ni moins ! L’objectif était de mettre, quoi qu’il arrive, des adultes face aux élèves à la rentrée, en méprisant totalement l’accompagnement des collègues contractuels qui étaient recrutés.
Je suis désolé 4 jours pour être enseignant, c’est du grand n’importe quoi ! J’en ai parlé avec une collègue ce matin quand j’ai lu que pour servir des hamburgers au McDo, il fallait 5 jours de formation. S’occuper des enfants, cela nécessite moins de formation que de servir des hamburgers.
André Bercoff
Ça c’est vrai, vous savez, le hamburger, c’est difficile à réaliser ! Comment en est-on arrivé à cette espèce de pénurie, de grand vide ?
Maxime Reppert
C’est un problème qui n’est pas nouveau ! Les syndicats ont alerté depuis des années le ministère, y compris d’ailleurs durant la crise COVID sur le manque d’anticipation et de perte d’attractivité constante du métier. En l’espace de 20 ans, pour vous donner un ordre d’idée, on est passé de 50 000 candidats au CAPES dans les années 2000, à 20 000 20 ans plus tard, c’est-à-dire une diminution de 60% des candidats se présentant au concours ! Alors il est vrai qu’on est passé d’un recrutement de bac plus 3 à bac plus 5, mais comment voulez-vous rendre le métier attractif, quand on voit les conditions dans lesquelles nous évoluons ?
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André Bercoff
Maxime Reppert, secrétaire national aux conditions de travail pour le SNALC, Maxime Reppert au fond, vous avez entendu aussi ce qu’a dit René Chiche. Quels sont les critères ? Crise de vocation disait Macron, et quelles sont les filières qui peinent à recruter ? Est-ce qu’il y a quelque part les plateaux de la balance qui sont plus lourds que d’autres ?
Maxime Reppert
Il y a une crise de vocation mais cette crise de vocation, elle est avant tout liée au peu d’attractivité que représente le métier.
André Bercoff
Concrètement, pourquoi ? Avant, il y avait les Hussards noirs de la République, pourquoi on n’a plus envie d’être prof ?
Maxime Reppert
Il y a une perte de sens, une perte de sens au niveau du métier. Et c’est-à-dire qu’à plusieurs reprises, parce que j’enseigne également, je suis professeur d’histoire-géographie à plusieurs reprises, j’entends dans les collèges et lycées que nous ne sommes plus dans l’Éducation nationale, mais nous sommes dans la garderie nationale ! Toutes les réformes qui ont touché notre système éducatif français ces dernières années ont eu pour objectif – c’est du moins comme ça que nous étions nombreux à le ressentir – de niveler par le bas.
C’est-à-dire que l’objectif a été quelque part de minorer l’importance des diplômes que sont le brevet et le bac, avec toujours plus de volonté d’afficher des taux de réussite extrêmement élevés. Donc il y a 2 cas de figure, soit les réformes ont vocation à tirer les élèves vers le haut, soit elles ont vocation à tirer élèves vers le bas et dans ce cas de figure on a une vitrine avec des chiffres magnifiques pour dire tout se passe bien. Sauf que dans la réalité, il y a ce problème lié aux réformes, il y a bien sûr la question de la rémunération, puisque je précise qu’aujourd’hui, un enseignant bac plus 5 qui commence son métier touche 1,2 fois le SMIC, donc ça c’est la première chose. La 2e, elle est liée aux conditions de travail qui sont parfois extrêmement ahurissantes. Je vais simplement vous donner un exemple pour que vous puissiez voir à quel point ce qui se passe dans l’Éducation nationale peut être des fois déconnecté de ce que l’on trouve dans d’autres fonctions publiques, ou alors dans le privé. Je vous donne un exemple.
Nous avons 1 000 000 de personnels à-peu-près. En 2019, vous aviez 87 médecins de prévention pour 1 000 000 de personnels. Dans le corps des vétérinaires des armées, vous avez 70 officiers plus les vétérinaires conventionnés pour s’occuper des bêtes dans l’armée.
Proportionnellement, vous avez bien plus de médecins pour les bêtes que vous n’avez de médecins pour les personnels de l’Éducation nationale, premier mépris ! Deuxième mépris, toujours en lien avec cette question de la santé des personnels, vous n’avez qu’une seule visite médicale obligatoire au cours de votre carrière au moment de votre entrée dans le métier. Vous savez comme moi, que dans le privé, dans d’autres administrations, vous avez une visite médicale régulière. Dans l’Éducation nationale, nous n’avons pas ça. Une seule visite médicale obligatoire, après plus rien. Donc on ne prend pas soin, on ne prend pas soin des personnels, On ne les reconnaît pas et en fait, on est en train d’assister à un naufrage du service public, plus spécifiquement de l’école, mais je vous rassure, l’école n’est pas le seul service public impacté. On assiste vraiment à ce naufrage où l’on fait fonctionner l’Éducation nationale comme une entreprise, ce qu’elle n’est pas ! C’est avant tout un service public et nous devons , un enseignement de qualité à l’ensemble des Français. Les enfants ont droit à de la dignité !
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André Bercoff
Puisque cette situation existe depuis des décennies, vous l’avez dit tous les 2, est-ce que au fond, ce n’est parce qu’il y a une bureaucratie à l’Éducation nationale qui préfère rester sur ses privilèges et surtout, on ne bouge rien, on ne fait rien et on fait des choses à la marge ? Ou bien ce sont en même temps les politiques qui visent à ne pas faire trop de bruit et pas de vagues ? Est-ce l’alliance d’une résignation et d’une espèce de cynisme résigné ? Ou non.
Maxime Reppert
C’est simple, la situation actuelle, elle n’est pas liée à un ministre, elle n’est pas liée à un président. Cette politique, cette politique éducative qui affaiblit de plus en plus le système éducatif français, elle existe depuis des dizaines d’années, depuis au minimum 30 ans.
Donc ce n’est pas quelque chose de nouveau en soi, simplement on se rend compte qu’à chaque rentrée, ça devient de plus en plus visible, donc il faudrait reconsidérer l’école, son rôle, son fonctionnement, qui ne doit pas être celui d’une entreprise avec des rendements, parce que les enfants ne sont pas des marchandises. D’un autre côté, il faudrait revaloriser le métier d’enseignant. Alors bien sûr, on a parlé d’argent tout à l’heure, j’ai évoqué les chiffres, l’argent ne fait pas tout. Mais c’est quand même une reconnaissance économique légitime et qui, quelque part, est attaché à l’image du métier. Ce n’est un secret pour personne, vous écoutez n’importe quel média, vous regardez n’importe quel reportage, il est dit que la paye des enseignants n’est pas mirobolante. Il y a ce souci là, mais au-delà de ça, qu’est ce que nous voulons pour nos enfants ? Je pense que c’est vraiment la question que nous sommes en droit de nous poser et pourquoi la situation empire-t-elle? Les politiques, quels qu’ils soient, qui ont mené cette politique éducative n’ont pas cherché, je pense, à se poser cette question et à essayer d’oeuvrer pour le bien-être et des personnels et des élèves, parce que le système fonctionne comme une vitrine. J’ai très souvent coutume de dire que tous les dispositifs qui existent au niveau de l’Éducation nationale n’ont pas vocation à être performants mais simplement vocation à exister. Et c’est quelque part ce qui se passe, on le veut, on parlait de la pénurie des profs. On peut aussi parler des défaillances dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap avec les ESH par exemple.
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André Bercoff
Êtes-vous d’accord avec cette analyse de René Chiche ?
Maxime Reppert
Non sur les syndicats, non ! Alors il y a un pluralisme syndical. Ce qui est une chance, il ne faut pas le nier, avec des conceptions, des idées, des choses qui peuvent être différentes de l’un à l’autre. Je ne pense pas qu’il faille mettre tout le monde dans le même panier, il faut dire les choses très clairement. Vous avez des collègues qui sont sur le terrain, qui représentent bien les collègues, vous avez des personnes qui nous contactent très régulièrement, qu’elles soient adhérentes ou non adhérentes, nous œuvrons pour justement défendre leurs droits, alors peut-être qu’effectivement, il y a un manque évident au niveau des politiques, une défaillance dans le devoir justement de proposer un enseignement de qualité. Mais je ne pense pas qu’il faille pointer du doigt les syndicats dans leur globalité, je trouve que c’est un petit peu binaire de se limiter à cela.
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André Bercoff
On ne peut pas dire que ce soit du vent. Maintenant c’est difficile à savoir. Qu’est-ce qu’on fait ? C’est très bien, quoi justement ? Par exemple Maxime Reppert, il y a Jean qui enseigne depuis 40 ans près de Dijon, il dit, on apprend de moins en moins, les heures ont diminué depuis 1974, qu’est-ce qui se passe alors ? Vous avez entendu ce parent d’élèves, comment ça se passe ?
Maxime Reppert
Non pas du tout, ce que ce parent d’élève vient d’évoquer, ce n’est ni plus ni moins, que ce que j’évoquais tout à l’heure, à savoir le nivellement par le bas. Quand je parlais de perte de sens, c’est effectivement cela : on rajoute des tâches, des missions, ce qui fait que l’enseignant enseigne de moins en moins. On est vraiment sur une culture de la vitrine, sur une culture du chiffre, donc à un moment donné, il faudra non plus s’attarder sur la forme mais vraiment sur le fond, c’est-à-dire sur la qualité d’enseignement que l’on veut donner aux enfants et qu’on arrête de mentir aux parents en leur faisant miroiter telle ou telle chose. Et je pense notamment à la question de l’inclusion où on a sciemment menti aux parents en leur faisant miroiter des choses merveilleuses pour leurs enfants qui avaient besoin d’aménagement et qui, au final, se sont retrouvés sans rien ou avec trop peu choses !
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André Bercoff
Un mot vous aussi ? René Chiche a donné quelques repères, en tout cas, quelques pistes si vous voulez. Avez-vous une piste qui vous paraît, je ne dis pas urgente, toutes sont urgentes, qui vous paraît aussi essentielle ou importante ?
Maxime Reppert
Écoutez, il y a a minima, 3 problèmes. Premier problème : il y a la question de l’orientation des élèves. Deuxième problème : celui de l’enseignement. Troisième problème, le plus urgent pour moi c’est celui des conditions de travail des enseignants et plus largement des personnels de l’Éducation nationale. Je ne me limite pas aux enseignants, parce qu’une école, c’est également d’autres personnels, il y a d’autres catégories. Il faut redorer l’image du métier. Il faut que les gens aient envie plutôt que de miser à chaque fois sur le feu sacré parce que vous avez des gens qui ont envie. Écoutez-moi bien, il y des collègues qui refusent de se mettre en arrêt lorsqu’ils sont malades, parfois y compris gravement, parce qu’ils ont peur que leurs élèves n’aient aucun enseignant en face d’eux. Et ce sont des collègues qui sacrifient leur santé, parce que le système éducatif fonctionne comme une bulle. Si vous n’avez pas d’enseignants autour de vous, dans votre famille, et cetera ou dans vos amis proches, c’est assez lunaire d’imaginer ce qui peut vraiment se passer. L’Éducation nationale provoque un isolement et un sentiment de culpabilisation extrêmement fort. On joue sur la fibre sensible des personnes, quitte à les négliger.