Des professeurs sont en droit de retrait au collège Jacques Cartier d’Issou, dans les Yvelines, depuis vendredi. Ils protestent contre des menaces reçues par une enseignante, suite à l’étude en cours d’un tableau classique contenant une image de femme dénudée.
Maxime REPPERT, vice-président du SNALC, répond aux questions de Philippe David dans Les vraies voix sur SUD RADIO le 11 décembre 2023.
SUD RADIO – Philippe David
Des professeurs ont exercé leur droit de retrait au collège Jacques Cartier, à Issou, dans les Yvelines, depuis vendredi. Ils protestent contre des menaces reçues par une enseignante suite à l’étude en cours d’un tableau classique contenant une image de femme dénudée. Des élèves l’auraient accusée à tort de propos racistes, une accusation qu’elle qualifie de diffamatoire.
Après les événements tragiques impliquant Samuel Paty à Arras, comprenez-vous la crainte des professeurs du collège d’Issou ? Faut-il davantage d’autorité à l’école ? Faut-il sanctionner les parents d’élèves jugés problématiques ? Comme cela a été observé notamment dans la tragédie de Samuel Paty. Issou, la laïcité, permet-elle encore d’enseigner librement en France ? Actuellement, 71% des opinions sur Twitter vont dans le sens contraire.
Notre invité, Maxime Reppert, vice-président national du SNALC, vous adressera la parole dans un instant. Nous allons maintenant recueillir différentes opinions avant de poursuivre la discussion. (…)
Un autre expert du jour, Maxime Reppert, vice-président national du SNALC, abordera la question. Quand on observe ce qui s’est passé à Issou, de tels incidents surviennent parfois, mais ils ne sont généralement pas rendus publics dans les établissements scolaires.
SNALC – Maxime Reppert
Ce qui s’est malheureusement passé dans cet établissement, on le voit ailleurs. On parle d’autocensure dans votre émission. Moi, j’aimerais aussi parler de la déprofessionnalisation du métier d’enseignant à travers le comportement d’élèves et de parents d’élèves, qui remettent parfois systématiquement en cause le travail de l’enseignant, ce qui est inacceptable, ce qui est intolérable. Parce que, je le rappelle sur votre antenne, nous sommes avant tout des professionnels. Ça, il ne faut pas l’oublier. Malheureusement, on se rend compte que le métier d’enseignant et l’image du métier sont de plus en plus dégradées, que les conditions ne sont pas réunies pour leur permettre de faire correctement leur métier et que les parents nous accusent parfois de tous les maux, alors que, je le rappelle, la première cellule d’apprentissage d’un enfant, ce n’est pas l’école, mais la famille.
SUD RADIO – Philippe Bilger
Est-ce que vous n’avez pas l’impression tout de même que, bien sûr, les professeurs conservent leur exigence professionnelle, mais que le problème central d’aujourd’hui est le fait que certains parents ont pris la main sur la mission qui est la vôtre ? Au fond, cette enseignante, en montrant ce tableau du XVIIe siècle, accomplissait sa mission éducative ; mais comment, à votre avis, remédier à cette emprise de plus en plus forte de certaines familles sur le contenu et la morale même de l’enseignement ?
SNALC – Maxime Reppert
Par rapport au problème évoqué dans cette affaire, il faut savoir que les propos diffamatoires proviennent tout d’abord des élèves et qu’ensuite, des parents se sont rendus devant l’établissement pour avoir des explications, mais cela vient bien à la base des élèves. C’est le premier point.
Le deuxième est très simple. Nous sommes dans une situation où l’école devient de plus en plus un espace de consommation. Les élèves consomment, les parents consomment, et derrière, quelque part, il y a une forme de déformation du métier d’enseignant. Et ça, c’est un problème de société majeur, c’est-à-dire qu’à un moment donné, nous ne sommes pas dans un espace de consommation. L’école, c’est bien plus que ça. C’est un espace de vie, mais c’est aussi un lieu où on apprend, où on acquiert des connaissances, des savoir-faire, et surtout, où l’on développe un esprit critique. C’est l’un des fondements de ce que doit être la mission de l’école. (…)
SUD RADIO – Philippe David
Maxime Reppert pour répondre à Madi Seydie et à Tom Connan.
SNALC – Maxime Reppert
Oui, la culture est quelque chose d’extrêmement important, et notre syndicat défend la culture. Il défend également l’exigence. Il défend aussi le retour à l’autorité de l’enseignant et, quelque part, à une reprofessionnalisation du métier, car ce métier est de plus en plus déprofessionalisé, surchargé, à tel point d’ailleurs qu’on a du mal à trouver maintenant des enseignants. Les recrutements tels qu’ils se font actuellement ne constituent pas une solution satisfaisante à la fois pour les élèves mais aussi pour les parents. J’aimerais simplement vous dire qu’au-delà de cette question de diffamation, il y avait aussi dans cet établissement quelque chose qui a été remonté à plusieurs reprises par l’équipe éducative, c’est le manque de moyens : des professeurs qui ne sont pas remplacés, une CPE qui n’était pas présente. Donc des manques de moyens humains notamment qui empêchent les collègues de faire correctement leur travail.
SUD RADIO – Philippe Bilger
Je suis frappé par la qualité évidente de vos réponses, et bien sûr, cela m’impressionne. Cependant, vous semblez beaucoup plus préoccupé par l’univers intrinsèque de l’enseignant, par les moyens de manière interne, que par les menaces extérieures qui pèsent sur la belle mission d’enseigner. Est-ce que cela ne signifie pas que vous ne sous-estimez pas tout ce qui, de l’extérieur, rend la mission des professeurs de plus en plus difficile, voire impossible dans certains lieux ?
SNALC – Maxime Reppert
Naturellement, il y a de quoi être inquiet. Il y a une forme de banalisation de la violence en milieu scolaire, de la violence commise par des élèves, parfois par des personnes extérieures aux établissements, parfois même par des parents d’élèves. On s’est rendu compte ces dernières années que le sang pouvait couler dans une école, ce qui est absolument intolérable et inacceptable. Donc oui, il y a des dangers. Pour autant, il ne faut pas baisser les bras, il ne faut pas renoncer. C’est pour cela que je disais tout à l’heure que l’autocensure peut être considérée comme un moyen, mais ce n’est surtout pas la solution, car l’autocensure, c’est reculer tout simplement, et il ne faut pas.
SUDRADIO – Tom Connan
(…) le pluralisme est finalement la valeur, la seule valeur finalement derrière laquelle on peut tous se ranger.
SNALC – Maxime Reppert
L’esprit critique, c’est quelque chose de fondamental au sein de l’école. C’est ce qui permet de lutter contre les discriminations, c’est ce qui permet de lutter contre les inégalités, de lutter contre les extrémismes. L’esprit critique, c’est vraiment quelque chose qui est capital dans notre métier, et nous essayons, au-delà des disciplines, de le transmettre justement, d’aider à développer chez nos élèves cette notion de l’esprit critique.
SUD RADIO – Maddie Seydie
(…) Est-ce qu’il n’est pas temps, à un moment donné, de repenser l’école, de repenser l’école dans la cité et de repenser les rapports que les enfants doivent avoir avec leur famille et les familles avec l’école ?
SNALC – Maxime Reppert
Oui, vous avez raison. Il faut, à un moment donné, réaffirmer la mission de l’école, réaffirmer l’autorité des enseignants, et il faut aussi rappeler que l’école n’est pas responsable de tout. Elle a énormément de choses à gérer, des missions à remplir, et elle doit les accomplir avec les moyens adéquats, mais on ne peut pas tout faire, et on n’est pas responsable de tout. Parce que derrière, il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. Par exemple, la question des réseaux sociaux est quelque chose que nous ne maîtrisons pas, cela relève le plus souvent de la sphère privée. Quand on parle de cyberharcèlement et que l’on pointe du doigt la responsabilité de l’école, j’ai envie de vous dire que le cyberharcèlement se développe beaucoup plus dans la sphère privée qu’au niveau de l’école. C’est un exemple parmi d’autres.
SUD RADIO – Philippe David
Maxime Reppert, le ministre de l’éducation, Gabriel Attal, a dit grosso modo que le “pas de vague” était terminé. Est-ce vraiment terminé ?
SNALC – Maxime Reppert
Je ne pense pas que le “pas de vague” sera terminé avec de simples déclarations, car le “pas de vague”, malheureusement, est quelque chose de très puissant dans notre institution. Il suffit de voir d’ailleurs chaque semaine dans les médias des affaires parfois similaires ou à peine différentes de celle évoquée ce jour pour se rendre compte que le “pas de vague” persiste. Il faut lutter contre. J’entends les propos du ministre, et il a raison de vouloir en finir avec cela, mais il faudra du temps, de l’énergie, et à un moment donné, il faudra arrêter de mettre la poussière sous le tapis. (…)