Retour sur les annonces du président Macron à Marseille, Jean-Rémi Girard explique la position du SNALC.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, répond aux questions sur SQOOL TV Le grand JT de l’éducation le 27 juin 2023.
Virginie Guilhaume
Emmanuel Macron a donc parlé, a donc évidemment repris la parole. Je dis “évidemment” parce que c’est assez quotidien. D’ailleurs, je crois que vous venez de sortir un communiqué au SNALC à ce sujet, le titre est assez évocateur, cher Jean-Rémi.
Jean-Rémi Girard
Nous aimerions que le président de la République arrête de faire une sorte de stand-up sur l’école, où il prend un micro à la main et balance soudainement des annonces dont personne n’a jamais entendu parler. Nous avons l’impression parfois que même le ministère de l’Éducation nationale lui-même essaie de comprendre ce qu’il a bien voulu dire, ce qui parasite complètement ce qui se passe et aggrave sans aucun doute la crise actuelle à l’école. On a de plus en plus de mal à recruter des enseignants, c’est de plus en plus compliqué, et on annonce qu’il va falloir garder les élèves jusqu’à 18 h au collège, réduire les vacances d’été, et ainsi de suite, sans réflexion de fond, sans même parfois de logique entre les différentes annonces. D’un côté, on dit que les élèves sont trop fatigués, et de l’autre côté, il faut les garder jusqu’à 18 h.
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Virginie Guilhaume
Effectivement, nous ne sommes pas les seuls à bien comprendre ce qui se passe. D’ailleurs, même Emmanuel Macron lui-même, lors de son allocution, avait l’air finalement de dire : “Je me suis rendu compte que finalement les temps d’absence des professeurs, des enseignants de moins de 2 semaines n’étaient pas comptabilisés”, comme s’il n’était pas au courant. Et finalement, donc, il est revenu sur sa position, comme s’il acceptait aussi de se tromper par moments. Est-ce que c’est un sentiment que vous avez, Jean-Rémi Girard ?
Jean-Rémi Girard
Qu’il se trompe, c’est un sentiment qu’on a. Clairement, c’est tant mieux s’il l’accepte. Emmanuel Macron n’est pas un spécialiste de l’éducation. Ce n’est pas parce qu’on lui demande, il est président de la République, il n’est pas ministre de l’Éducation nationale, même si parfois on confond un peu car il fait toutes les annonces sur l’éducation, ce qui n’est pas très sain d’ailleurs. Le ministre de l’Éducation nationale est derrière du coup, ce n’est pas lui qui porte finalement la politique éducative qui est menée au ministère de l’Éducation nationale. D’après notre analyse, il fait essentiellement de la politique et de la communication avec l’école qui est un moyen pour lui de communiquer. Finalement, ce qu’il dit ou ce qu’il annonce est souvent complètement déconnecté de la politique réelle qui est menée au ministère de l’Éducation nationale. On en parlait sur les très petites sections, c’est-à-dire la scolarisation en maternelle des moins de 3 ans. Le taux de scolarisation en très petite section a diminué très fortement depuis 2017, depuis qu’il est au pouvoir. Et là, il vient nous dire qu’il va falloir que les enfants à partir de 2 ans puissent aller à l’école. Ça fait 6 ans qu’il fait le contraire et on pourrait multiplier ce type d’exemple. C’est pour ça que c’est épuisant pour les personnels de l’Éducation nationale. À un moment, nous avons un temps de travail qui augmente, les statistiques du ministère le montrent, c’est de plus en plus compliqué, on a le moral de plus en plus dans les chaussettes et on a toutes ces annonces qui déboulent.
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Virginie Guilhaume
On a tous cette réaction de se dire, mais enfin, c’est sa politique qui a mené à ça mais aussi avec les autres politiciens qui ont porté les réformes qui ont été faites avant. On ne va quand même pas tout expliquer, évidemment.
Jean-Rémi Girard
Il y a eu une histoire de l’Éducation nationale avant Emmanuel Macron, on est d’accord.
Tout le monde est responsable.
Virginie Guilhaume
On se pose la question de savoir s’il y aura suffisamment de professeurs à la rentrée 2023. Et encore plus s’il y aura des professeurs pour pouvoir faire ces fameuses heures supplémentaires qui sont demandées.
Jean-Rémi Girard
C’est ça, on constate une paupérisation du métier, alors je ne suis pas en train de vous jouer Les Misérables de Victor Hugo. Mais très clairement, c’est une réalité. Il y a une perte incroyable de pouvoir d’achat de la profession enseignante depuis une trentaine d’années, alors même que le niveau d’études requis a augmenté. Donc on a un métier qui est plus qualifié aujourd’hui qu’il ne l’était il y a 30 ans sur le plan des études, mais qui est beaucoup moins bien payé, avec un pouvoir d’achat en forte baisse et des conditions de travail qui se sont dégradées. Les enquêtes du ministère montrent que le temps de travail réel augmente. Il y a une enquête sur le bien-être, qui aurait dû s’appeler mal-être probablement du coup, qui le montre. C’est catastrophique, surtout pour une profession intellectuelle à bac +5. Ce ne sont pas du tout les niveaux qu’on devrait avoir.
Virginie Guilhaume
Emmanuel Macron le sait, le ministre Pap Ndaye aussi. On parle du chef de l’État, donc en l’occurrence là, si ces annonces sont faites par Emmanuel Macron, notamment à Marseille, quelles sont-elles ? Quel est le but, puisqu’on sait précisément qu’on va manquer d’enseignants ?
Jean-Rémi Girard
Le but est de parler aux Marseillaises et aux Marseillais qui sont là pour l’écouter. En fait, c’est vraiment de la communication politique. Sur le plan de Marseille, il y a un point qui est très utile pour les écoles concernées, c’est que l’État met la main à la poche pour rénover le bâti scolaire des écoles, ce qui n’est pas de la compétence de l’État. C’est les collectivités locales qui sont censées le faire. Sauf que la mairie de Marseille ne l’a pas fait depuis très longtemps. Donc effectivement, c’est pour ça que le maire de Marseille accueille très positivement, sans aucun doute, cette mesure. C’est parce qu’en fait, on lui donne de l’argent. Enfin, on rénove ses écoles, donc forcément, il est plutôt satisfait. Cela ne peut pas être une politique nationale. Il ne va pas arriver demain en Seine-Saint-Denis en disant : “Allez hop, le budget de l’État, c’est parti, on va rénover toutes les écoles du 93”. Ça n’arrivera pas !
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Virginie Guilhaume
On a quand même créé des zones différentes, donc des REP et qui mènent à l’éducation prioritaire.
Jean-Rémi Girard
Ce n’est pas tout à fait la même chose, car l’éducation prioritaire est déjà une politique nationale. Il y a des critères qui sont parfois plus ou moins bien respectés, dans certains cas, on est d’accord, mais globalement, il y a des indicateurs. On dispose d’un excellent service statistique au ministère de l’Éducation nationale qui fonctionne très bien, et là je le dis sans aucune ironie, et donc on dispose d’indicateurs assez précis pour savoir quels établissements rencontrent les difficultés les plus importantes. On est tout à fait d’accord que dans certains endroits, des classes plus réduites peuvent avoir un impact positif et permettre aux enfants d’apprendre. Mais ici, on n’est pas du tout dans ce modèle d’une politique nationale qui donne davantage à ceux qui ont moins. On est vraiment dans une approche du type “Faites votre projet ? On verra s’il nous plaît et si oui, on le finance.” De plus, ce qui pourrait éventuellement être généralisé, ce n’est pas la partie utile, ce n’est pas la partie de la rénovation du bâti scolaire, car cela nécessite beaucoup d’argent et ne relève pas des compétences de l’État. Il s’agit plutôt de la partie où le recrutement se fait par le chef d’établissement ou le directeur, c’est-à-dire une sorte de gestion administrative qui, honnêtement, ne sert pas à grand-chose par rapport à ce que vivent nos élèves aujourd’hui. Les écoles vétustes ne se trouvent pas seulement à Marseille, et il est très bien qu’on rénove les écoles vétustes à Marseille, mais je peux vous citer de nombreuses autres villes où les écoles sont également vétustes et où rien n’est fait.
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Virginie Guilhaume
J’imagine bien que le “stand-up”, comme vous dites, ne va pas cesser et donc les annonces vont continuer, et donc on pourra en discuter, notamment concernant les vacances scolaires qui pourraient peut-être être raccourcies.
Jean-Rémi Girard
Alors qu’on est dans la moyenne européenne ! Il n’y a aucune spécificité française concernant les vacances d’été.