Déjà exclue pour avoir menacé un professeur, une élève récidive. Personne ne connaissait son passé…
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, réagit chez Apolline de Malherbe sur RMC le 14 décembre 2023.
RMC – Apolline de Malherbe
Une élève qui souffre de troubles psychiatriques a déjà été exclue pour avoir menacé un professeur et avoir amené une arme à l’école. Elle a pu recommencer hier. Une professeure d’anglais a été menacée de mort en plein collège, en plein cours, à Rennes. Personne ne savait qu’elle avait déjà été exclue d’un autre collège, pratiquement pour les mêmes problèmes.
Bonjour Jean-Rémi Girard, vous êtes le président du Syndicat National des Lycées et Collèges, des Écoles et du Supérieur, le SNALC. Et ce drame a de nouveau été frôlé, en tout cas le drame hier à Rennes. Deux mois, jour pour jour, après l’attentat d’Arras, une élève a menacé de tuer sa professeure avec un couteau. Il n’y a heureusement pas eu de blessés, la professeure a réussi à s’enfuir. Et l’élève, considérée comme déséquilibrée, a été prise en charge dans un hôpital psychiatrique cette nuit. Mais ce que l’on découvre, c’est que cette élève avait déjà été exclue d’un autre collège de Rennes, pour les mêmes faits, pour avoir menacé un professeur et déjà avoir apporté une arme blanche. Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucune communication entre les différents collèges au sein d’une académie ? On n’alerte pas les professeurs en leur disant : “Voilà, cette élève a particulièrement besoin d’attention, soyez vigilants” ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Il y a parfois de l’information très informelle, mais d’un point de vue administratif, la plupart du temps, un élève arrive dans notre classe, et nous n’avons pas du tout ce type d’information sur lui. On ne sait pas pourquoi il a été exclu de son établissement précédent. Il n’y a pas forcément d’ailleurs de communication entre le chef d’établissement de l’ancien établissement et le chef d’établissement d’un nouvel établissement. De toute façon, cela passe par l’académie : c’est l’académie qui détermine où va un élève qui a été exclu. Donc, généralement, moi-même, je vois un élève arriver dans ma classe en cours d’année, et on ne sait même pas parfois si c’est parce qu’il a été exclu, s’il a déménagé, on n’a souvent aucune information.
RMC – Apolline de Malherbe
Aucune information, vous dites, sauf de manière informelle. Cela signifie que si les professeurs se connaissent par ailleurs dans la vie, éventuellement ils vont se parler, ils vont échanger, mais il n’y a rien, il n’y a pas une transmission de données de manière formelle ou officielle. Je ne sais pas, on imagine que pour un enfant qui passe d’un pédiatre à un autre, il y a une transmission d’informations sur les questions médicales. Donc là, on se dit que vous êtes démunis, vous ne savez pas.
SNALC – Jean-Rémi Girard
On ne sait pas, effectivement, il y a parfois des questions médicales, mais généralement dans ces cas-là, on nous signale qu’il y a un secret médical qui va avec les questions médicales, et ce sont des choses qui peuvent changer notre comportement. Mais moi, je parle dans un sens positif : nous sommes des professionnels ; ce n’est pas parce qu’on nous dit qu’un élève a été exclu pour telle raison qu’on va d’un seul coup le considérer différemment ou ne pas enseigner normalement.
RMC – Apolline de Malherbe
C’est ce que je trouve fou dans cette histoire, c’est qu’au fond, c’est un mépris de votre professionnalisme, c’est même un manque de confiance dans votre capacité, justement, à appréhender les élèves.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, et cela peut arriver sur des choses extrêmement graves, puisqu’un élève qui a des troubles psychiatriques soulève déjà une question quant à la nature de ces troubles : est-ce que cela le place dans un collège ordinaire ou pas ?
RMC – Apolline de Malherbe
C’est évidemment la question que j’allais vous poser.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ça peut changer une réaction qu’on va avoir dans une situation donnée. Cela peut changer, dans les cas les plus graves, comme on peut le voir, cela peut être une décision qui va du côté de la vie ou du côté de la mort, dans un cas extrême.
RMC – Apolline de Malherbe
C’est vital. Hier, heureusement, la professeure a réussi, elle s’est enfuie en courant, mais l’élève munie de son couteau lui a couru après, elle a heureusement été neutralisée. Il y a eu cette tragique situation de la mort d’Agnès Lassalle, on s’en souvient bien, en 2022, qui était cette professeure d’espagnol à Saint-Jean-de-Luz. Un élève avait dit avoir entendu une petite voix… Là encore, totalement démunis.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, et là, ça pose la question du suivi psychologique et psychiatrique des élèves, de la question de la santé mentale de la jeunesse. Nous, dans l’Éducation nationale, sur le plan médical, nous sommes incroyablement démunis. Nous n’avons quasiment bientôt plus de médecins scolaires. Plus personne ne devient médecin dans l’Éducation nationale, ni pour les élèves, ni d’ailleurs dans la médecine du travail. Nous avons très peu de psychologues, et dans les collèges et les lycées, leurs missions sont concentrées sur les questions d’orientation scolaire. Donc, il peut arriver que s’il n’y a pas eu un suivi fait de la part des parents, s’il n’y a pas eu tout un processus médical extérieur à l’Éducation nationale, effectivement, un élève qui devrait avoir un encadrement spécifique dans des structures…
RMC – Apolline de Malherbe
…peut-être être même scolarisé dans un établissement spécialisé ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
…soit dans ce qu’on appelle un ITEP, soit parfois même dans un hôpital de jour, pour les cas les plus graves. Effectivement, on voit qu’on dit de cette jeune fille qu’elle est un danger pour elle-même, qu’elle a besoin d’un encadrement psychiatrique extrêmement important.
RMC – Apolline de Malherbe
Elle est aussi victime de cette situation ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Bien sûr. Et que faisait-elle dans une classe de sixième ? Et que faisait-elle dans une première classe, puis dans une seconde classe, dans deux collèges différents ?
RMC – Apolline de Malherbe
Deux fois de suite, elle a mis en danger à la fois sa vie, comme vous le disiez, mais aussi celle des professeurs ou des autres élèves, sans que rien ne soit fait. Est-ce que cela veut dire, Jean-Rémi Girard, qu’au moment où on se parle, il pourrait potentiellement y avoir des situations comme ça dans d’autres collèges ? Est-ce que vous appelez à un sursaut des académies, qu’elles vous donnent, qu’elles vous fassent confiance en vous fournissant les informations nécessaires ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Bien sûr, nous au SNALC, on demande aux académies, lorsqu’il y a une exclusion, de nous transmettre les informations qui nous sont utiles pour agir rapidement et, le cas échéant, pour nous protéger en adoptant les bonnes réactions. Et puis, on demande un sursaut au niveau de l’État concernant la santé dans l’Éducation nationale. A un moment, il va falloir attirer des personnels médicaux dans l’Éducation nationale. On ne peut pas être le premier employeur de France, on ne peut pas scolariser plus de 12 millions d’élèves et avoir un taux d’encadrement par la médecine scolaire absolument, mais absolument, ubuesque.
RMC – Apolline de Malherbe
Ubuesque, et avec évidemment un problème de valorisation de tous ces métiers de psychologues, de psychanalystes, d’accompagnants dans les écoles. Merci, Jean-Rémi Girard, d’être venu réagir ce matin. Je rappelle donc que vous êtes le président du SNALC, le syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur.