Jean-Rémi GIRARD
QUAND LE POLITIQUE
BROUILLE L’ÉCOUTE
Le SNALC est un syndicat réaliste. Il n’attend pas, surtout dans la période que nous vivons, que l’on prenne des décisions qui satisfassent 100 % des gens 100 % du temps. Mais ce qu’il attend, c’est qu’on améliore le processus qui mène à la prise de décision. Et actuellement, un élément central fait défaut : l’écoute.
Prenons la crise sanitaire : il aura fallu se battre pour simplement avoir des points réguliers avec le ministère sur la situation. Points qui en viennent à intéresser autant le ministère que les syndicats, d’ailleurs. Était-ce si inconcevable que des organisations représentatives, élues par les personnels, aient des choses intéressantes à dire et à faire remonter ?
Ce souci, on le retrouve partout. On n’a pas été écouté en novembre sur la situation dans nos établissements. Il a fallu en passer par la grève et par les vidéos filmées par les lycéens sur leurs portables, montrant les couloirs, les halls, les cantines. Et là seulement, ça a bougé (un peu, et uniquement en lycée).
Mais au-delà de la seule gestion de la crise sanitaire, ce problème d’écoute est général. Rendez-vous compte : un Grenelle avec 10 ateliers, un colloque, une conférence, 17 groupes de travail, et tout ça pour quel bilan ? Au mieux de la méfiance, au pire de la colère et de la résignation, et une grève plutôt suivie le 26 janvier dernier. Il faut dire que ce processus pesant a révélé à chaque étape à quel point on ne souhaitait pas nous écouter. Par exemple, au départ, un syndicat représentatif ne pouvait pas participer à tous les ateliers du Grenelle. Il fallait prioriser les ateliers auxquels on voulait aller (moi j’appelle ça quémander) et le ministère tranchait. Et même s’ils ont fini par changer leur fusil d’épaule (il faut dire qu’on n’a pas été poli), cela montre bien quelle valeur on accorde à la notion de représentativité. Un Grenelle sans syndicats (ou juste avec ceux qu’on veut ?), ça a de la gueule, c’est sûr…
Dans le même temps, des dizaines de réunions ont lieu avec les syndicats dans le cadre de l’agenda social, qui montrent que la parole et les attentes des personnels n’ont pas grand-chose à voir avec ce qui se passe au Grenelle. On peut y voir que certains dossiers ultra importants n’avancent pas du tout pour le moment, comme par exemple celui des AESH, lui préférant la fusion – diable ! – des corps d’inspection.
Je crois que la participation plus importante qu’attendue le 26 révèle que la profession est de plus en plus choquée par la façon dont nous sommes déconsidérés. Nous sommes dans un ministère où, pour parler boutique, on fait venir un rugbyman et intervenir une championne de tennis. J’ai énormément de respect pour Amélie Mauresmo, mais lorsque l’on travaille à faire évoluer Roland Garros, on ne vient jamais me demander ce que j’en pense dans un atelier. Alors comment se fait-il que n’importe qui, une fois encore, puisse émettre des jugements sur nos métiers, nous donner des conseils et tracer notre avenir ? Oui, le fonctionnement de ce Grenelle est choquant, et le fonctionnement de ce ministère est choquant. Non seulement on essaye d’y choisir ses interlocuteurs, mais au final, on fait passer le message que la notion-même de représentativité, c’est du vent.
Tout cela laisse une impression de « vieille politique ». Un problème, une commission (qu’on arrange un peu), un rapport, des décisions déjà prises. C’est très méprisant, et je crois que cela révèle que ce qui est fossilisé (mammouthifié ?) au ministère, ce n’est clairement pas le SNALC. C’est plutôt cette façon de traiter la politique comme une liste de choses à faire, que l’on exécute de façon imperturbable en plein milieu d’une crise (ne pas oublier de réformer l’éducation prioritaire cette semaine ; penser à décentraliser les personnels de santé le mois prochain). Une vision dans laquelle la question essentielle n’est pas de savoir si le système éducatif ira mieux, mais de savoir si l’on a le temps ou non d’aller faire une campagne électorale.
le 29 janvier 2021