Public Sénat: cette période de confinement a mis en avant le fait que certains professeurs travaillent plus que d’autres ?
SNALC : Ce que vous êtes en train de dire, c’est vrai pour n’importe quelle autre profession : il y a des gens qu’on a peut-être un peu perdus des radars. Mais le phénomène absolument incroyable, alors que tout le monde a reconnu l’engagement des professeurs pendant cette période, c’est qu’on s’est retrouvé d’un seul coup à taper uniquement sur les profs.
Public Sénat: On retrouve les 5% d’ailleurs dans tous les métiers en France
SNALC : Ces fameux 5% ne sont pas des chiffres officiels, ils n’ont pas été recensés avec tout le travail statistique nécessaire. Ces fameux 4 à 5% intègrent les arrêts maladie pour raison valable. Ainsi que les absences personnelles pour raison valable. Par ailleurs, on parle de “décrocheurs” : c’est un mot qu’au SNALC nous n’utilisons pas pour les enseignants, mais seulement pour les élèves, pour désigner un phénomène pédagogique scolaire, et non pas professionnel : on ne parle pas de “policier décrocheur” ou de “pompier décrocheur”…
S’il y a une infime minorité d’enseignants passés sous le radar, ils avaient aussi peut-être des raisons valables : par exemple, quelqu’un qui n’a pas de connexion internet, c’est logique qu’il ait eu du mal à proposer quoi que ce soit.
Public Sénat: que pensez-vous tout de même de ce procès, de ces critiques et même de ces propos rapportés d’un ministre qui dit : “si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que l’Education nationale, les Français n’auraient rien eu à manger” ?
SNALC : Vu ce qu’on nous a dit au début du confinement, probablement des mêmes médias, reprochant aux enseignants d’en faire trop… si la grande distribution avait fait comme les enseignants, les Français auraient eu une indigestion.
On est là dans une polémique de personnes qui sont mal informées, et qui ont de toute façon un a priori sur notre profession. On ne va pas les faire changer d’avis, semble-t-il, donc arrêtons de nous battre contre des moulins à vent. On rétablit la vérité des chiffres et de l’engagement.
Nous avons réussi à travailler ensemble, avec les parents, sur quelque chose qui n’était pas prévu et pour quoi personne n’était prêt, ni les parents, ni les élèves, ni les enseignants. CE qu’on a fait collectivement a été exceptionnel. Le 1er employeur de France, du jour au lendemain, a demandé à 850 000 professeurs de se mettre en télétravail sur son matériel personnel ! Et les 850 000 personnes – à 2000 près – l’ont fait, sur leur matériel personnel, leur connexion, leur ordinateur. Certains journalistes – qui ne représentent pas toute la profession – devraient nous remercier tous collectivement.
Public Sénat: Partagez-vous les inquiétudes sur la reprise du 22 juin et l’allègement du protocole ? En outre, on va rendre obligatoires l’école et le collège mais pas le lycée ?
SNALC : Sur le protocole allégé que le ministère n’a toujours pas diffusé à 3 jours de la reprise, le SNALC s’est procuré une version provisoire et l’a mise en ligne sur le site www.snalc.fr. La distanciation physique (le fameux 1 mètre latéral) n’est pas possible dans beaucoup de classes. On attend de voir comment s’en sortir, d’autant qu’on a actuellement un décret de loi qui rappelle que la distanciation est obligatoire. C’est typique d’une injonction contradictoire. On a eu à ce sujet un problème de méthode : nous, organisations syndicales représentatives, avons découvert lundi matin le décret mentionnant ce 1 mètre latéral. Or, si le ministère nous avait contactées en amont avec cette information, immédiatement nous aurions signalé tous les problèmes que cela allait poser. Et peut-être qu’on aurait pu sortir autre chose
Sur la question de la non-reprise en lycée, c’est pour des raisons sanitaires : en l’état actuel des connaissances scientifiques, on sait que les lycéens, en termes de propagation du virus, sont des “adultes”, alors que les écoliers et collégiens propagent beaucoup moins. Il faut dire aussi honnêtement que l’année scolaire dans les lycées est finie : tous les conseils de classe ont eu lieu, les élèves ont rendu leurs manuels.
Public Sénat: Dans les villes ou les quartiers particulièrement concernés par le problème du décrochage, le taux de retour à l’école n’est que de 5%. Les inégalités se sont accrues pendant cette période ?
SNALC : Hélas. Il n’y avait pas de “bonne solution” pour cette période de confinement. On a fait ce qu’on a pu faire de “moins mauvais”, avec les problèmes inhérents. La communication de la part du ministre – et d’autres – a été excessive quand on a annoncé qu’on rouvrait les écoles et les collèges avant tout pour les élèves de banlieue. Tout le monde savait, dans la communauté éducative, que c’était les élèves qu’on allait revoir le moins, pour des raisons diverses et souvent valables. Cette réouverture des écoles n’a pas particulièrement profité aux élèves les plus défavorisés et tout enseignant vous dirait que ce n’est pas dans la 2e quinzaine de juin que vous raccrocherez un élève décrocheur. |