Au milieu de la gabegie générale qui semble régner à tous les étages du ministère de l’Éducation, les soucis actuels subis par les lycées professionnels peuvent paraître anodins. Après tout, les lycéens professionnels ne représentent que 28% du total des lycéens professionnels, et les enfants de CSP+ ne sont sûrement pas assez nombreux dans la filière professionnelle pour espérer sauver cette filière du destin funeste qui semble lui être promis.
Certes, la naissance des bacs professionnels était survenue en 1985 sur un malentendu : le fameux objectif des 80% fixé par Jean Pierre Chevènement n’était pas celui du pourcentage des bacheliers mais des élèves au niveau du Bac ce qui n’est pas du tout la même chose. Le malentendu (savamment orchestré par certains) a connoté de manière négative toute la (courte) carrière de ce nouveau baccalauréat.
Mais le baccalauréat professionnel par son existence n’a en rien contribué à la démonétisation progressive des deux autres filières : celle-ci aurait existé de toute façon.
Depuis 35 ans, un volontarisme réel a existé pour (tenter de) rapprocher au moins en théorie la filière professionnelle des 2 autres. Cette volonté a pu passer par des décisions regrettables comme le « Bac pro » en 3 ans au lieu de 4, ou d’autres plus intelligentes comme les nouveaux programmes de français en 2009 qui avaient permis d’unifier les thèmes d’étude au cours des 3 années et d’homogénéiser le choix des sujets.
Ce volontarisme permettait de gommer, certes lentement, la sensation de relégation que ressentent encore beaucoup d’élèves des lycées professionnels à leur entrée. : Ils pourraient passer un « Bac » eux aussi et éventuellement pour les meilleurs d’entre eux poursuivre leurs études (la vraie définition de la méritocratie).
Mais ce volontarisme n’existe plus depuis la TVP. On assiste depuis 2019 à une réelle régression, assumée en interne à l’Éducation Nationale. Évidemment les discours officiels du ministère depuis 2017 prétendent le contraire. Le ministère a même prétendu que cette rénovation de l’enseignement professionnel était une priorité de son ministère au même titre que les demi-classes en CP…
Moins patiemment que pour construire, on démolit pourtant la spécificité de la filière professionnelle car celle-ci n’est pas assez glorieuse : Pour nos élites et leurs descendances, « dieu merci » comme l’avait proclamé maladroitement un chef d’entreprise du CAC 40 il y a quelques années, leurs propres fils et filles n’ont pas eu besoin de suivre cette filière. L’entregent des parents permet toujours d’éviter cela.
Et donc, par réel mépris social (à une époque on utilisait même le terme mépris de classe), l’enseignement professionnel est déconstruit pièce par pièce, même si la communication officielle du ministère prétend l’exact contraire.
« On » commence par le contenu des enseignements en CAP et Bac professionnel, en diminuant drastiquement les horaires hebdomadaires consacrés aux matières d’enseignement général. « On » change les programmes afin de les rendre de plus en plus abscons et moins intéressants, plus futiles. « On » prétend les alléger pour les accorder avec des dotations horaires devenues faméliques.
En fait comme à chaque fois on assiste à un énorme mensonge : « on » diminue le nombre d’objets d’étude mais dans chaque chapitre par exemple en Histoire-Géographie EMC le même nombre de thèmes reste à traiter .Les professeurs en charge de terminale Bac pro s’arrachent les cheveux à résoudre la quadrature du cercle : comment « finir » le programme sans trop survoler le programme et le rendre alors encore moins intéressant qu’il ne l’est déjà ?
De même en français, il n’y a plus qu’une question essentielle à traiter mais ce thème terriblement flou laisse apparaître une foule de sous thèmes qui rendent comme en première Bac pro ce programme beaucoup plus littéraire qu’il ne l’était auparavant, trop sans doute. (Cf. les œuvres complètes suggérées en terminale dont Les liaisons dangereuses par Choderlos de Laclos…). Et en parallèle l’évocation des philosophes des Lumières a totalement disparu des programmes de Français (du bac pro) alors qu’ils s’avéreraient indispensables notamment pour mieux comprendre la laïcité à la française.
A partir de ce constat, de cette souffrance causée par ce désir impossible de finir le programme, surgit une question cruciale : quel est le but réel de cette politique ?
Est-ce pour nos instances dirigeantes la volonté de prouver par l’absurde que ni les lycéens professionnels ni leurs enseignants ne méritent de subsister au sein de l’Éducation nationale ? Tout simplement parce qu’ils ne seraient pas capables de suivre ou délivrer un enseignement de qualité ?
Une filière à part et donc un destin séparé ? Et donc finalement être administrés par les régions ? Dépendre du ministère du travail comme le promettait récemment un candidat aux présidentielles ? Être privatisé via les centres d’apprentissage (et donc sortir le maximum du statut de fonctionnaires ou assimilé ?)
Impossible de le savoir pour le moment.
Quel que soit le sort qui nous réservé, les enseignants des autres filières ne doivent se faire aucune illusion : ce qui se prépare pour l’enseignement professionnel français sera le sort à terme que subiront les deux autres.
En effet depuis plus de 40 ans, les lycées professionnels ou les SEP, ont expérimenté toutes les expériences plus fumeuses les unes que les autres, avant que la plupart de ces expériences ne se généralisent en collège puis en lycée. Même et surtout si ces expériences se révélaient nuisibles. Tout simplement parce que les Professeurs de lycée professionnel ne représentaient pas un nombre assez imposant pour espérer changer la moindre politique éducative.
Le SNALC alerte que ce qui se passe en ce moment dans les LP, *Sep, publics et privés sous contrat sera immanquablement ce que subira l’ensemble de la sphère éducative, si un coup d’arrêt général n’est pas porté.