“Les valeurs et la loi, en France,
permettent de blasphémer”
Vendredi 16 octobre, en fin d’après-midi, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie a été décapité à Conflans-Saint-Honorine, après avoir enseigné à ses élèves la liberté d’expression et montré des caricatures de Mahomet. Sébastien Krebs recevait, lundi sur Europe 1, Jean-Rémi Girard, président du SNALC, au lendemain de l’hommage national rendu au professeur.
À retrouver sur le site d’Europe 1. Interview diffusée le 19 octobre 2020 dans Les interviews d’actualité, chronique de l’émission EUROPE MATIN – 5H-7H
Citation:
|
Jean-Rémi Girard, vous étiez place de la République hier pour le rassemblement en hommage à Samuel Paty, comme en 2015 pour Charlie Hebdo. Que s’est-il passé depuis 2015 ? Rien n’a changé ?
Il y avait eu une prise de conscience assez forte à l’époque. On sait que nos élèves n’ont pas tous le même avis. Mais depuis 2015, énormément de nos collègues ont fait comme Samuel Paty, notre collègue assassiné : ils ont travaillé sur la liberté d’expression, sur la laïcité, la liberté de la presse, et parfois à partir de carricatures de Charlie Hebdo. Ce que faisait Samuel Paty, il n’était pas seul à le faire et nous avons tous beaucoup œuvré pour expliquer et faire comprendre qu’on avait parfaitement le droit d’être d’accord ou non, choqué ou pas, mais qu’il y avait des lois, celles de la République en France. Et que ces lois permettaient de blasphémer. D’autres enseignants avouent renoncer à évoquer ces sujets pour ne pas avoir d’ennui, « pas de vague »… notamment ne pas parler du Coran alors que c’est au programme? Ça arrive aussi. Il ne s’agit pas forcément de ne pas aborder le sujet mais de l’aborder d’une certaine manière, en faisant attention à la façon dont on le présente. C’est loin d’être le cas dans tous les établissements de France. Ça arrive plutôt en histoire, en SVT… ça existe souvent quand les sujets sont liés à la religion ou à la sexualité, pas que depuis cette année. Que faire pour l’avenir ? Renforcer la sécurité dans les établissements scolaires : policiers devant les grilles ? Comment ? Le SNALC veut bien qu’on protège les établissements scolaires. Mais là, le problème qui a eu lieu n’est pas spécialement lié à la sécurité des établissements scolaires. Il y a beaucoup de choses à faire contre le terrorisme islamiste et notamment sur les réseaux sociaux : c’est quand même à partir de là que tout a démarré. Tout le monde était au courant de ces vidéos, y compris l’institution, qui avait incité notre collègue à porter plainte. Il n’est certes pas possible de protéger tout le monde tout le temps : mais un collègue qui est dans cette situation-là, on aurait dû lui donner une protection spécifique. Une enquête interne à l’EN établira s’il y a des responsabilités. On ne pourra pas changer ce qui s’est passé mais on travaille à ce que cela ne se reproduise plus. Les réseaux sociaux sont le point de départ : ça arrive souvent que des enseignants se fassent pointer du doigt nommément sur les réseaux ? « Nommément », c’est relativement rare. Mais ça arrive qu’on remette en cause des enseignants, qu’on filme quand on déclenche un chahut dans la classe. Ces pratiques sont de plus en plus courantes, on n’a aucun moyen d’action par rapport à ça : parfois, nous enseignants, ne savons même pas qu’une vidéo existe. C’est là qu’il faut qu’il y ait un lien efficace avec les services de renseignement, pour lutter contre ce type d’information, fausse la plupart du temps, qui circule à toute vitesse. Très souvent, les parents ajoutent de la tension à un problème lorsqu’ils viennent soutenir leurs enfants ? Ce sont « des » parents, pas tous. Nous avons beaucoup de très bonnes relations avec beaucoup de parents. Mais contrairement aux élèves avec lesquels on peut mieux gérer la situation en interne, avec les parents, on a aucun levier, sinon le dialogue. Et quand un parent refuse ce dialogue ou s’est enferré, ou est manipulé comme c’était le cas ici avec un individu tout à fait extérieur à l’école qui a joué un sale rôle, on est démuni. On éduque les enfants, pas les adultes. Est-ce que vous vous sentez soutenu par la hiérarchie ? les cas remontent quand ils se produisent ? Sur la laïcité, chaque agent peut faire remonter directement par un formulaire en ligne les atteintes à la laïcité, en plus du système par voie hiérarchique. Et si le ministère a mis en place ce dispositif de remontée directe, c’est qu’il s’est rendu compte que parfois tout ne remontait pas. Beaucoup de chefs d’établissement se retrouvent parfois entre le marteau et l’enclume : on leur dit que la remontée est importante mais ils doivent aussi faire attention à ce que leur établissement ne soit pas stigmatisé du fait de trop nombreuses remontées. |
———————–
Consulter la rubrique Laïcité
Consulter la rubrique Médias