Le figaro TV – Victoire Sikora
(…) Parmi les solutions évoquées, l’internat, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela fait débat. On va en parler avec Jean-Rémi Girard, président du syndicat national des lycées et collèges. Merci d’être avec nous pour évoquer ce sujet. Comment se caractérise la violence chez les jeunes ? Quelles sont les armes dont disposent les établissements scolaires ? Je pense aux collèges et lycées qui sont en première ligne.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Elle est plutôt en augmentation, le nombre d’incidents dans les établissements scolaires, écoles, collèges et lycées est en hausse. Ce n’est pas forcément de l’ultra-violence, mais il y a quand même beaucoup d’agressions verbales, mais aussi d’agressions physiques envers d’autres élèves, mais parfois envers le corps professoral, les personnels de l’Éducation nationale.
Au niveau du SNALC, on pense que c’est déjà important d’utiliser les procédures de l’établissement, en collège et en lycée, c’est le conseil de discipline. La question des exclusions temporaires ou, dans certains cas, des exclusions définitives. Les deux difficultés qu’on a, c’est, d’une part, qu’il y a des élèves qui sont, effectivement, j’allais dire, fondamentalement compliqués à gérer dans le cadre scolaire et que, finalement, on se passe d’établissement en établissement, d’exclusion en exclusion.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Sans forcément régler le problème.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ce sont les poly-exclus. D’autre part, autant on a souvent des capacités d’action vis-à-vis des élèves, autant on en a beaucoup moins vis-à-vis de certaines familles. Les relations avec les parents, c’est absolument essentiel pour arriver à gérer certaines choses.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
C’est là où ça coince. On le voit avec ce qui s’est passé à Viry-Châtillon. Parfois cela dépasse le cadre purement géographique de l’établissement scolaire. Là, c’était à proximité de l’établissement scolaire du jeune Chems-Eddine. Donc on comprend bien que l’établissement ne peut pas à lui seul gérer toutes les problématiques de violences qui gravitent autour des élèves. L’internat comme solution à la violence des mineurs, est-ce que vous y croyez ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
L’internat en soi, ce qui existe dans l’Éducation nationale, n’est pas une solution à la violence des mineurs. C’est une solution d’hébergement, avant tout conçue pour des formations qui sont éloignées des élèves.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
C’est lorsqu’il y a un éloignement géographique.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, c’est quand même l’objectif premier de l’internat. Cela peut avoir des vertus éducatives ; il y a souvent des projets éducatifs dans les internats. On peut imaginer des structures, plutôt au niveau de la justice, etc., pour des mineurs qui sont condamnés, qui sont passés devant les tribunaux. Je dirais que ça, c’est autre chose.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Ce sont plutôt des maisons de redressement.
SNALC – Jean-Rémi Girard
J’ai l’impression que quand on a ce discours sur l’internat, on mélange deux choses. On a cette vision un peu fantasmée…
Le Figaro TV – Victoire Sikora
C’est un imaginaire collectif autour de l’internat ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
L’internat autoritaire, le pensionnat, il y avait même eu des émissions de télé-réalité autour de ce genre de choses. L’autorité, l’huile de foie de morue. Tout cet imaginaire-là, et ce que sont les internats dans l’Éducation nationale.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Mais qui ont quand même un cadre assez défini, avec des horaires fixes, avec des élèves qu’on côtoie au quotidien, avec lesquels on vit, donc il faut mettre en place du savoir-vivre. Il y a des valeurs intéressantes parmi celles prônées par l’internat et qui pourraient correspondre à ces jeunes.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Au SNALC, nous sommes d’accord avec le développement de la politique de l’internat, parce que nous pensons que c’est quelque chose qui peut apporter beaucoup à certains jeunes. Il peut y avoir des cas, mais là, on est dans le cas par cas, on n’est pas dans une politique nationale. Il peut y avoir des cas où c’est plutôt bénéfique pour un jeune, pour un élève, d’être un peu éloigné de son milieu et d’être encadré. Néanmoins, si vous mettez tous les jeunes violents dans le même internat, cela va déstabiliser l’établissement.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
(…) On parlait d’éloigner les jeunes de cercles compliqués, d’un entourage qui leur serait néfaste. Il y a aussi des familles qui démissionnent, qui n’ont plus les armes pour répondre à une violence grandissante en interne, dans leur propre famille.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Certaines, oui. On le croise, on le voit régulièrement dans des réunions parents-professeurs où certains parents sont eux-mêmes assez démunis, dépourvus face à leur enfant. Il y a une chose très intéressante dans ce que dit Gabriel Attal, c’est qu’on a ce grand discours sur le retour de l’autorité de l’école et on comprend que, réglementairement, légalement, il faut l’autorisation de la famille pour mettre un enfant en internat. On ne peut pas séquestrer un enfant.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
C’est une décision qui doit être conjointe.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ce n’est pas qu’elle est conjointe, c’est une décision de la famille.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Qui peut peut-être être un peu plus suggérée et, entre guillemets, imposée par certaines instances.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Une fois encore, il faut que nous, dans nos établissements, sachions qu’il y a ces solutions d’internat. Je suis dans un lycée d’Île-de-France, je ne suis pas forcément au courant de l’offre en internat dans le département ou dans la région. Et d’autre part, nous serons sur un travail avec des familles elles-mêmes volontaires qui penseront que c’est une bonne idée.Là, on a souvent des difficultés, par exemple, chez les collégiens, ce n’est quand même pas si courant que les parents veuillent ou acceptent que leur enfant de 13-14 ans parte en internat, même si cela pourrait être une solution éducative intéressante pour lui.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Vous le disiez, cela peut déstabiliser des établissements si, du jour au lendemain, des internats deviennent des “maisons de redressement”. C’est ce que souhaitent éviter de nombreux syndicats, c’est le cas notamment du SNES-FSU qui confiait à l’AFP que l’internat devait rester un projet éducatif, c’est ce que vous nous disiez, et non un lieu de redressement. C’est un lieu de socialisation, de réussite scolaire, un vecteur de promotion sociale quand le projet scolaire est réussi, mais cela ne doit pas être un lieu de redressement. On basculerait là-dedans ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Là, on n’est plus sur le même objet. Dans ces cas-là, il faut créer des structures spécialisées avec du personnel spécialisé. On dit qu’on va accueillir des jeunes violents en internat, mais on n’a pas du tout les personnels adaptés pour ça. Il faut des éducateurs spécialisés, des équipes pluriprofessionnelles, des psychologues. Il faut beaucoup plus de personnel.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Visiblement, il y aurait énormément de places disponibles en internat en France.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ça, on va voir avec le ministère, parce que le ministère… Gabriel Attal a sorti des chiffres. On aimerait vérifier ce qu’on appelle des places disponibles, parce que parfois, la notion de place disponible est un peu originale, mais néanmoins, l’objectif de l’internat n’est pas de remplir à 100 %. L’objectif de l’internat, c’est d’offrir une solution aux jeunes.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
On parle de dizaines de milliers de places disponibles, même si…
SNALC – Jean-Rémi Girard
On parle de l’ensemble de la France.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
C’est important quand même.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, mais une fois encore, ce n’est pas forcément un coût pour autant. C’est-à-dire que si on les remplissait à fond, il faudrait peut-être plus d’assistants d’éducation, plus de personnel, il faudrait un personnel plus adapté. Mais on va voir avec le ministère sur cette question des places disponibles en internat, parce qu’il y a peut-être une question aussi d’implantation et de lieu d’implantation des internats. On n’a pas toujours le bâti pour mettre des internats partout.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
À Nice, une expérimentation avec 60 jeunes est menée pendant les vacances, avec pour objectif, je cite, “de les remettre sur le droit chemin”. Là, on est sur un internat spécifique, un internat estival, si on peut dire. Ça s’est fait en accord avec les familles. Est-ce que cette formule spécifique pourrait fonctionner ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
J’ai l’impression que c’est plus de la communication politique qu’un vrai projet de société. Pendant 15 jours, pendant les vacances, vous allez être en internat, une sorte de mini-Service national universel, une sorte de mini-SNU. J’ai vu les images, pourtant, très généralement cadrées de Gabriel Attal, qui travaille beaucoup sa communication. Ça ne donnait pas spécialement envie. Les jeunes étaient extrêmement peu motivés.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
On parle de restauration de l’autorité, c’est bien qu’elle ait été fissurée.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, bien sûr. Au bout de ces 15 jours, vont-ils avoir appris quelque chose et vont-ils changer de comportement ? On peut en douter.
Le Figaro TV – Victoire Sikora
Ce sujet pose beaucoup de questions. Ce sera l’occasion de venir éclaircir ces points, notamment les différentes places en internat en Île-de-France. On aura l’occasion, j’imagine, d’en rediscuter ensemble. Merci, Jean-Rémi Girard, de nous avoir évoqué ce sujet.