L’académie de Versailles recrute en partie ses enseignants via de courts entretiens oraux. Jean-Rémi Girard, président du SNALC, juge cette pratique scandaleuse. Selon lui, on ne devient pas professeur en une demi-heure.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, répond aux questions d’Eugénie Boilait pour le FIGARO le 1er juin 2022
FIGAROVOX.- L’académie de Versailles recrute des enseignants contractuels en leur faisant passer des entretiens d’une demi-heure. Que vous inspire cette pratique ?
Jean-Rémi GIRARD. -Le fonctionnement du recrutement des contractuels est scandaleux. Il faut rappeler qu’il s’agit de personnes qui vont enseigner devant des élèves pendant une, voire plusieurs années. Se dire que l’on peut devenir prof en une demi-heure, c’est quelque chose qui nous paraît hallucinant. Je ne me vois pas devenir vétérinaire ou pilote de chasse en une demi-heure, seulement parce que j’ai un chat ou parce que j’aime bien voyager en avion. Cette pratique est choquante.
Par ailleurs, elle n’est pas nouvelle, elle est dorénavant structurelle. Ce qui est véritablement choquant, c’est de s’en vanter, de dire que c’est formidable. La vérité est que l’on met sur la place publique la crise des recrutements, la difficulté à avoir des professeurs formés et que, par conséquent, on se résout à prendre des personnes précaires dont on a assez peu de garanties. Le fait de se vanter et d’utiliser un langage marketing pour faire moderne et pour imiter le monde de l’entreprise, c’est orwellien.
FIGAROVOX. – Pourquoi l’Éducation nationale a-t-elle recours à ce type d’entretiens ?
Jean-Rémi GIRARD. –Elle n’arrive pas à avoir suffisamment de titulaires. Les places aux concours ne trouvent pas toutes preneurs. C’est un problème structurel, qui s’est très clairement aggravé cette année. Pendant longtemps, cela ne concernait que certaines disciplines du second degré, maintenant le problème concerne aussi l’école primaire.
D’autre part, on peut aussi penser que, budgétairement, ce n’est pas inintéressant d’avoir des professeurs moins bien payés, qui sont plus fragiles et qui ont moins de droits. Il y a l’idée que les contractuels, c’est plus « pratique » : c’est plus souple et ça coûte moins cher.
De surcroît, cela mène très vite à créer une sorte de concurrence malsaine entre les professeurs qui ont quand même passé cinq années d’études, plus un concours, plus une année de stage et d’autres, qui se retrouvent là, d’une semaine sur l’autre. Certains commencent 48 heures après avoir été recrutés.
FIGAROVOX. -Comment expliquez-vous la pénurie d’enseignants ?
Jean-Rémi GIRARD. –Le métier d’enseignant, aujourd’hui, n’est plus un métier attractif. C’est un métier qui bénéficie d’une image assez dégradée, qui est mal payé pour le niveau d’études et par rapport aux autres pays comparables à la France. Il faut signaler qu’un enseignant est un fonctionnaire de catégorie A, qui a Bac+5, quasiment ce que l’on peut faire de plus haut, et il est payé en moyenne 1000 euros de moins qu’un autre fonctionnaire de catégorie A de l’État. Il est alors facile d’imaginer qu’une discipline comme les mathématiques souffre d’une crise de recrutement : avec un Bac+5 en mathématiques, on ne va pas s’embêter à aller faire une année de stage payée 1,1 SMIC dans des conditions difficiles alors que l’on peut trouver un emploi payé le double, voire le triple, et dans lequel on ne risque pas de se prendre une chaise dans la figure.
Quant aux conditions, elles sont difficiles pour différentes raisons. Les enseignants travaillent de plus en plus. L’une des enquêtes statistiques du ministère montre que le temps moyen de travail des enseignants a augmenté : on est entre 40 et 45 heures de travail effectif par semaine. Par ailleurs, la taille des classes a augmenté, les élèves sont de plus en plus difficiles et les familles sont aussi de plus en plus difficiles à gérer… Associez à cela, tout ce qu’on a pu voir au moment du « pas de vague » : les enseignants constituent une catégorie professionnelle qui se sent assez peu soutenue par sa hiérarchie. Il y a donc un cocktail détonant pour faire que le métier n’attire plus.
Nous constatons aujourd’hui que nos collègues ne conseillent pas à leurs propres enfants de devenir enseignant.
FIGAROVOX. -Ce nouveau système de recrutement est-il le signe d’une baisse de niveau des enseignants ? Met-il en péril les concours de l’enseignement ?
Jean-Rémi GIRARD. – Le risque est que l’on s’attaque frontalement à l’existence même du concours. Le concours n’est pas parfait mais il offre des garanties: en termes de maîtrise disciplinaire, de protection et de formation. On peut tout de même penser que c’est mieux d’avoir une formation et un concours avec des oraux. Les oraux permettent de vérifier un certain niveau disciplinaire. Les professeurs vont ensuite enseigner la littérature en classe de terminale ou les nombres complexes et les intégrales.
Il faut aussi rappeler que c’est un métier où l’on travaille avec des élèves: cela peut offrir des conditions compliquées, c’est de l’humain qui travaille avec de l’humain. On ne peut pas mettre n’importe qui devant des enfants.
Par ailleurs, beaucoup de contractuels arrêtent assez rapidement. Certains viennent car ils ont une image d’Épinal du métier d’enseignant, mais ils se rendent vite compte de la réalité du terrain: ce n’est pas plus reposant que leur ancien métier d’ingénieur. Certains trouvent même que leur expérience dans l’Éducation nationale est plus difficile que leur expérience en entreprise.
FIGAROVOX. -Au-delà du cas des enseignants, faut-il y voir une dévalorisation de la fonction publique ?
Jean-Rémi GIRARD. – C’est le signe d’une dévalorisation générale de certaines fonctions pourtant essentielles à la société : la fonction d’éducation, la fonction de soin. Aucune société ne tient sans une éducation nationale et sans un système de santé. Ces métiers ont été attaqués, dévalorisés, avec un pouvoir d’achat qui baisse toujours.
On se retrouve aujourd’hui avec des crises dans des domaines qui devraient être les domaines les plus valorisés par l’État. On se rend bien compte que, pour des raisons court-termistes de budget, ces métiers, qui demandent beaucoup de monde, ne sont pas valorisés. Cela coûterait trop cher.