Introduire l’IA et les écrans dans les classes n’a rien d’anodin. Ces outils sont à la fois porteurs d’une nouvelle façon d’envisager l’acte d’enseigner et vecteurs d’un nouveau paradigme relatif au fonctionnement des écoles.
IA et écrans viennent saper l’organisation ordinaire d’une classe. Cette dernière est chamboulée par la promesse de la pédagogie différenciée qui serait permise grâce à l’IA – la pédagogie différenciée étant souvent le prétexte pour imposer l’IA à l’école. Il suffira de mettre chaque élève devant son écran et son algorithme pour qu’il progresse à son rythme. Ce schéma remet en cause le projet anthropologique de l’école puisque les outils numériques atomisent ce qu’une classe a de collectif et qui est fondamentalement structurant dans la vie d’un enfant : l’appartenance à un groupe, à une société en miniature, avec ses règles collectives. Comment créerons-nous du sens commun avec des élèves alignés les uns à côté des autres, scotchés à leur programme individualisé ? Quels individus fabriquera-t-on ?
Les outils numériques viennent par ailleurs dénaturer voire nous déposséder de notre rôle de professeurs. De savants transmetteurs en classe, nous deviendrons de simples accompagnants, voire des gestionnaires d’écrans déqualifiés, dont l’objectif sera de bien placer chaque élève devant son algorithme et de s’assurer que tout le monde arrive à se connecter. C’est bien à cela que nous risquerons de servir, une fois que l’Education nationale, sous couvert de progrès, aura acheté du « clé en main » aux Edtech, des apprentissages à leur évaluation et à leur remédiation, en passant par la mise en œuvre de ces apprentissages. De telles compétences n’exigeront plus une personne bien qualifiée et bien rémunérée. Au mieux, nous pourrions être prolétarisés, au pire, pourquoi pas remplacés.
Machines, écrans et algorithmes sont bien plus efficaces que les humains, étant donné qu’aujourd’hui, l’efficacité a remplacé dans les classes progrès et accomplissement. Une machine n’est jamais absente et ne fait jamais grève. Si l’investissement de départ pour l’acquérir est onéreux, à terme, elle est rentable. Finis aussi les problèmes de recrutements que le SNALC dénonce depuis longtemps. En plus, les copies seront toujours corrigées à temps et les méthodes pédagogiques standardisées, ce qui permettra de toujours plus comparer et mettre en concurrence classes, établissements et académies.
À nous professeurs, on dit pourtant que ce sera formidable d’utiliser l’IA dans notre travail quotidien puisque nous serons ainsi « libérés » de certaines tâches comme la correction des copies. C’est la promesse annoncée par Mme Borne qui a lancé un appel à projet pour nous doter d’une telle IA à l’horizon de la rentrée 2026. Mais ce que la ministre a oublié, c’est que chaque geste de notre profession est partie prenante de notre métier. Corriger une copie est un acte intrinsèquement humain. Si la correction est devenue un exercice aliénant, c’est en raison du nombre d’élèves par classe. C’est aussi à cause des gloubi-boulgas incompréhensibles et indigestes que nous devons évaluer en masse, faute d’une maîtrise correcte de la langue française de nos élèves. La préparation des cours et la remédiation font aussi partie de notre travail de base. Sommes-nous devenus crétins au point d’avoir besoin d’être assistés pour préparer des exercices et élaborer une progression ? C’est devenu pénible en raison des nombreux dispositifs et projets imposés, des multiples missions hors enseignement auxquelles nous sommes désormais assignés. Nous n’avons pas besoin de gains de temps pour redonner de l’appétence à notre métier. L’automatisation des taches n’est pour le SNALC pas la solution. Elle n’est qu’une dépossession de notre expertise et de nos compétences, transférées à des machines. En plus, que de temps il nous faudra passer à repérer biais et hallucinations dans nos cours et exercices promptés, surtout lorsque l’on sait que les concepteurs de l’IA s’avouent parfois incapables de comprendre les choix opérés par les outils qu’ils ont pourtant mis au point.
Il y a encore une chose que l’IA ne possède pour l’instant pas et qui donne tout son sens à notre métier. Ce sont les qualités humaines. L’empathie, le jugement critique, la distanciation, bref, ces choses indispensables qui font notre humanité font encore défaut dans les algorithmes. C’est pourquoi le SNALC martèle dans les instances institutionnelles l’essence humaine de l’enseignement et le besoin élémentaire de professeurs bien qualifiés et bien formés. Ces derniers sont les seuls capables de réagir avec finesse et subtilité aux besoins de ses élèves. L’IA est inepte par exemple pour tenir de compte du contexte d’une classe, de l’élève et de son histoire.