Franceinfo – Lucie Chaumette
Jean-Rémi Girard, quel est votre sentiment à la fois sur cette affaire, ces coups qui ont été donnés, cette demande de retirer le voile, et ce que l’on vient d’en dire sur le plateau ? Comment vivez-vous tout cela ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Alors, nous, au SNALC, on pense qu’il faut parler dans les médias à chaque fois qu’un professeur subit une agression physique, quelle que soit la raison. C’est quelque chose d’absolument hallucinant, dans notre République, qu’un professeur soit agressé dans l’enceinte d’un établissement scolaire. On ne va pas réécrire l’histoire. Le point de départ, c’est un voile, pas une casquette. Pour autant, l’élève ne va pas être jugée parce qu’elle a porté un voile, elle va être jugée parce qu’elle a frappé un enseignant, on est bien d’accord !
Ça dit quand même beaucoup de choses sur la situation de l’établissement scolaire, probablement, d’après ce que l’on nous rapporte. Là aussi, je mets un peu de conditionnel. Ce n’est pas forcément un établissement où tout était très simple.
Il arrive dans certains cas, très clairement, que la laïcité soit aussi un peu instrumentalisée par les élèves comme une source de provocation un peu facile, et effectivement, ils testent et retestent les limites de l’application de la loi dans l’enceinte scolaire.
C’est normal que ma collègue soit intervenue, c’est normal qu’elle ait essayé de faire respecter la loi, parce que c’est son rôle et c’est notre devoir à tous. Et effectivement, il y a derrière un vrai souci, c’est-à-dire que si des élèves en viennent à frapper des professeurs, il y a quelque chose qui ne va pas très bien dans l’école de la République.
Franceinfo – Lucie Chaumette
Jean-Rémi Girard aimerait aussi participer à ce débat. On va l’écouter, Jean-Rémi Girard, parce que je sais que vous avez aussi des choses à dire à ce sujet.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, tout à fait. Moi, je suis assez horrifié d’entendre que la loi de 2004 serait liberticide. Ce n’est pas du tout vrai. La loi de 2004 est bien plus protectrice qu’autre chose. Il faut quand même se souvenir de comment on en est arrivé à cette loi.
Il y a eu tout un processus qui a commencé en 1989. Il y a eu des attaques, effectivement, contre la laïcité, contre la République. Il y a eu des tests pour voir comment réagissaient l’école de la République et la République elle-même.
Et une fois appliquée, la loi de 2004 a été testée pendant quelques mois, peut-être une année. Ensuite, elle s’est imposée dans les établissements scolaires.
Je vous assure qu’aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup d’enseignants qui souhaiteraient remettre en cause cette loi, parce qu’au contraire, elle permet à chacun d’avoir sa religion, de préserver sa liberté intérieure.
Il n’y a aucun souci là-dessus, on est d’accord. Mais il s’agit de ne pas se retrouver avec une affirmation religieuse ultra marquée au sein d’un lieu qui n’est pas fait pour cela.
Alors, on est d’accord, la France a une spécificité de la laïcité qui n’est pas celle d’autres pays, il y a des débats à ce sujet. On voit bien que nos jeunes générations, notamment, ne se reconnaissent pas forcément dans cette laïcité qu’on va appeler « à la française », et qu’il est parfois difficile de leur faire comprendre ou de leur expliquer pourquoi nous en sommes là.
On essaie, on a des cours d’enseignement moral et civique pour cela. Mais, encore une fois, non, la loi de 2004 n’est pas liberticide.
Et encore une fois, cette élève, qui est effectivement majeure, qui est en âge de voter, sait parfaitement ce qu’elle fait en portant son voile dans l’établissement scolaire. De ce point de vue, on ne va pas non plus la victimiser à cause de la “méchante” loi de 2004. Elle est au courant des règles, et d’après ce que l’on sait, ce n’était pas la première fois qu’elle les testait.
[…] Il faut vraiment des faits de violence comme ceux qu’on a connus là pour qu’il y ait, que la justice intervienne.
Franceinfo – Lucie Chaumette
Jean-Rémi Gérard.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, effectivement. Alors, on rappelle qu’il y a deux procédures. Il y a une procédure judiciaire, et on est d’accord que la ministre n’a rien à voir avec la procédure judiciaire.
Il va également y avoir une procédure disciplinaire au sein de l’établissement. Là encore, ce n’est pas la ministre qui prend la décision. Néanmoins, elle est ministre de l’Éducation nationale, donc elle a tout à fait le droit d’exprimer son opinion.
Cependant, le conseil de discipline est absolument souverain.
Un petit point tout de même : la loi de 2004 n’est pas anticonstitutionnelle. Aucune juridiction ne l’a remise en cause, y compris la Cour européenne des droits de l’homme. Il faut le préciser. Donc, on ne peut pas continuer à dire que la loi de 2004 pose un problème légal, un problème de constitutionnalité ou un problème au regard des droits de l’homme. Les plus hautes juridictions en France et en Europe n’ont aucun souci avec la loi de 2004.
Sur la partie prévention, éducation et enseignement — car c’est tout de même le rôle premier de l’école —, nous sommes entièrement d’accord qu’il reste beaucoup à faire. Il est aussi important de rappeler que, malgré de belles déclarations d’intention, le président Emmanuel Macron avait, par exemple, annoncé un doublement des horaires d’enseignement moral et civique, une grande mesure. Mais ce doublement n’a jamais eu lieu.
À un moment donné, si les politiques pensent que c’est important, il ne suffit pas de faire des discours. Il faut mettre en œuvre les mesures que l’on a annoncées et communiquées à l’ensemble de la société, notamment par les médias. Beaucoup de gens pensent aujourd’hui que l’horaire d’enseignement moral et civique a été doublé, puisque le président de la République l’a dit.
En réalité, non, rien n’a changé concernant l’horaire consacré, non seulement à la laïcité, mais aussi à la lutte contre les discriminations, ou à la connaissance de nos institutions, y compris le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme.
Question : “La jeune fille a mis le voile à l’extérieur de l’établissement et non à l’intérieur.”
Franceinfo – Lucie Chaumette
Jean-Rémi Girard, quelles sont les remontées que vous avez du terrain ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
C’est une problématique qui s’est posée après la loi de 2004 : le fait de remettre le signe religieux avant de quitter l’établissement.
C’est ce qui s’est passé ici. On a même eu des chefs d’établissement qui, contrairement à ce que préconise la loi de 2004, avaient installé des salles spécifiques au sein de l’établissement pour que les élèves puissent remettre leur voile avant de quitter l’établissement.
On pense ce qu’on veut de la loi de 2004, mais dans ce cas, c’est contrevenir à la loi. Et là, de toute façon, nous avons non seulement des témoins, mais aussi des vidéos dans cette histoire.
Le voile a bien été remis à l’intérieur de l’établissement. Donc, effectivement, par rapport à la loi, nous sommes dans quelque chose d’illégal. D’ailleurs, la jeune fille n’était pas la seule, puisqu’elles étaient trois à avoir été interpellées par la collègue.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Il y a des phénomènes qui dépassent très clairement l’école dans la société française, instrumentalisés, politisés, tout ce qu’on voudra.
Néanmoins, à l’arrivée, ce sont les personnels de l’Éducation nationale qui en subissent les conséquences. Effectivement, il n’y a peut-être pas une hausse de la violence chez les jeunes dans la rue ou dans le pays.
En revanche, le nombre d’incidents dans les établissements scolaires, lui, augmente, et on sait quel type d’établissements est le plus à risque, comme les lycées professionnels, par exemple, comme ce qui s’est passé à Tourcoing.
Mais on est d’accord, nous vivons dans une société très fracturée, très clivée, avec des valeurs qui ne sont pas forcément acceptées, et pas seulement pour des questions religieuses.
Nous, on se retrouve dans des situations, par exemple avec les personnels de l’Éducation nationale, où l’on nous demande d’aller au front, de faire appliquer les grands principes, les grandes valeurs de la République, de faire respecter la loi. Et le jour où vous faites respecter la loi, il y a quelqu’un sur un plateau télé qui dit que, de toute façon, vous faites respecter une loi islamophobe.
De là à dire que vous êtes vous-même islamophobe, il n’y a qu’un pas que certains franchiront sans aucun doute assez rapidement.
C’est compliqué d’être enseignant aujourd’hui. D’ailleurs, c’est tellement compliqué qu’il y en a de moins en moins qui passent le concours. À un moment donné, il faut quand même avoir les nerfs solidement accrochés pour affronter tous les problèmes de la société française, les réactions épidermiques des élèves, mais aussi celles des familles.
Parfois, on tient à l’école un discours qui est lié aux programmes nationaux, et qui va à l’encontre de ce que d’autres sources d’autorité disent à nos élèves.
Alors, un peu de soutien. On peut ne pas aimer la loi de 2004, mais respectons tout de même ceux qui essaient de la faire appliquer.
Franceinfo – Lucie Chaumette
Comment accueillez-vous cette réflexion ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Je ne suis pas en capacité de juger les religions, je suis professeur de lettres.
Là, ce qui est arrivé à Dominique Bernard, à Samuel Paty, c’est ce qu’on appelle l’islamisme, c’est du terrorisme. Je ne crois pas que l’élève à Tourcoing avait une visée terroriste ou qu’elle essayait de commettre un acte terroriste.
Néanmoins, nous savons que nous vivons dans une société où cette radicalité autour de la religion, y compris de la part de certains religieux, existe. Ceux qui ont des problèmes avec la laïcité à la française, ce sont avant tout des religieux, et des personnes qui tiennent un discours politique en contradiction avec les valeurs de notre République.
Effectivement, cela se ressent dans nos établissements scolaires, soyons clairs là-dessus.
J’aimerais quand même faire un point. Je ne vais pas laisser accuser mes collègues d’être incompétents et d’enseigner des choses fausses dans nos classes. Les collègues qui enseignent l’enseignement moral et civique savent parfaitement faire la différence entre un principe et une valeur, et c’est ce qu’ils enseignent à nos élèves.
Donc, merci, une fois encore, de respecter les professeurs de l’Éducation nationale.
S’il y a un petit problème avec Eduscol ou dans les programmes, c’est une chose.
Mais je vous assure que mes collègues savent ce qu’ils font.