Depuis l’assassinat de Samuel Paty en 2020, la question de la laïcité à l’école reste un sujet de tension et de préoccupation majeure pour les enseignants. Solange De Jésus, membre du Bureau national du SNALC, alerte sur le manque de soutien institutionnel, l’autocensure croissante des professeurs et la recrudescence des atteintes à la laïcité. Alors que les chiffres officiels ne reflètent qu’une partie de la réalité, elle rappelle l’urgence de redonner aux enseignants les moyens d’incarner ce principe fondateur de l’école républicaine.
Franceinfo : – Flore Maréchal
[…] Bonjour Solange De Jésus, membre du Bureau national du SNALC. Vous êtes chargée des principes et valeurs de la République. On va vous entendre […] Solange De Jésus, il est vrai qu’on entend les professeurs, notamment depuis l’assassinat de Samuel Paty, dire que c’est finalement un sujet très sensible pour eux à aborder, celui de la laïcité.
SNALC – Solange De Jésus
Oui, je rejoins ce que vient de dire votre interlocuteur. L’école a été atteinte au cœur avec l’assassinat de Samuel Paty. Rappelons que Samuel Paty faisait un cours sur la liberté d’expression. Et cette liberté d’expression fait partie des droits imprescriptibles. D’ailleurs, à l’école, on enseigne la liberté d’expression aux élèves ; ils doivent la pratiquer, puisque l’article L511-2 du Code de l’éducation leur octroie cette liberté. Et, comme vous le savez, un hommage a été rendu à Samuel Paty et à Dominique Bernard le 14 octobre. Or, dans l’Éducation nationale, nous n’avons reçu que très tardivement la consigne de la ministre, démissionnaire à l’époque, pour rendre hommage aux deux professeurs. Nous, au SNALC, nous nous posons donc la question de savoir quelle est la réelle volonté du ministère de rendre hommage aux deux professeurs, car il n’y a eu aucune anticipation. Ce moment a été décrété à la dernière minute. Les consignes n’ont pas forcément été transmises, puisqu’il n’y a eu que trois ou quatre jours entre l’annonce de cette commémoration et son application dans les établissements. Nous, au SNALC, nous inquiétons de cette politique du « pas de vague ». Si l’on veut que les personnels puissent faire comprendre aux élèves la laïcité et l’appliquer, il faut aussi leur en donner les moyens et leur permettre d’en discuter. […]
Franceinfo : – Flore Maréchal
On se souvient qu’en 2004, la loi a évolué dans les établissements scolaires avec l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires. Pourtant, comme on ne cesse de le rappeler, le nombre d’atteintes à la laïcité ne cesse de se multiplier. Regardez ce chiffre : en octobre, 527 atteintes à la laïcité à l’école ont été recensées, rien que pour le mois d’octobre 2025, sur les 60 000 établissements scolaires de France. De quoi parle-t-on quand on évoque les atteintes à la laïcité ? Solange De Jésus, il s’agit essentiellement de contestations d’enseignement : 109 sur les 527 atteintes.
SNALC – Solange De Jésus
Oui, 109 sur les 527 atteintes, vous avez raison. Et seulement 64 concernent les signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. En réalité, nous, au SNALC, nous sommes très prudents vis-à-vis de ces chiffres, car il faut savoir qu’ils ne représentent que ceux qui remontent au ministère. Cela signifie que, sur le terrain, beaucoup de signalements ne sont pas faits et ne remontent pas. Nous n’avons donc pas une vue exacte de la situation, et c’est un problème. Par ailleurs, si vous avez consulté le bilan des actions mensuelles des équipes académiques « Valeurs de la République » – il est en ligne –, vous avez pu constater qu’il y a une recrudescence des actes racistes et antisémites à l’école, supérieurs à 1 000 également. Tout cela est effectivement très inquiétant. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que la laïcité n’est pas un crédo, comme j’ai cru l’entendre. C’est une valeur, au sens où elle a une portée, comme la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Cette loi de 2004, pour laquelle nous, au SNALC, avons été le seul syndicat d’enseignants à voter en faveur au Conseil supérieur de l’éducation avant sa promulgation, est conforme au principe de neutralité de l’État. Le Conseil d’État a rendu 25 arrêts en sa faveur. Ce n’est pas une loi discriminatoire, ce n’est pas une loi prosélyte. Elle pose simplement un interdit dans la sphère publique. Rappelons que les élèves sont libres de porter des signes religieux en dehors de l’école. On leur demande simplement, à l’école, de faire un pas de côté, d’oublier un peu leurs croyances et leurs traditions pour se retrouver autour du savoir, car la laïcité met en avant ce qui est commun à tous, et non ce qui différencie les êtres. Le but de l’école – et c’est sa première mission laïque – est de faire en sorte que les élèves deviennent des citoyens capables d’exercer leur autonomie de jugement et leur esprit critique. Ce sont là les missions de l’école. Les personnels doivent être encouragés, car ils ont un rôle actif dans l’application de ce principe. Et aujourd’hui, nous attendons le soutien de l’institution. […]
Franceinfo : – Flore Maréchal
Solange De Jésus, très rapidement : que pensez-vous de l’idée qu’il faille revoir la formation des enseignants sur le principe de la laïcité ? En une phrase ou deux.
SNALC – Solange De Jésus
Les enseignants sont formés. Un plan quadriannuel a été lancé en 2021 par l’institution, mais c’est insuffisant, c’est clair. Surtout, il manque aux enseignants cette liberté d’expression dans le cadre de leur métier pour qu’ils puissent exprimer toutes les difficultés qu’ils rencontrent. En tout cas, nous, au SNALC, nous pouvons vous dire que les atteintes à la laïcité ne sont pas une fiction : elles existent véritablement. La preuve en est le taux d’autocensure des enseignants. Depuis 2018, des enquêtes de l’IFOP montrent que la dernière en date révèle qu’un enseignant sur deux s’autocensure dans son enseignement, par peur d’affronter des contestations ou des questions liées à la religion. Ce sens du métier – car les enseignants aiment leur métier – doit être préservé. Il faut qu’ils soient les experts de leur discipline, car c’est un enseignant expert qui saura le mieux répondre aux questionnements des élèves. Les élèves se posent des questions, c’est normal, et c’est à nous de leur apporter des réponses. Nous sommes des pédagogues au sens noble du terme. Mais ce sens du métier est mis à mal par cette autocensure, par ceux qui contestent. Il y a aussi des parents qui contestent les enseignements. Et cela fait le lit de l’obscurantisme. Nous, au SNALC, nous luttons contre cela, notamment lors de nos congrès.





