Pénurie de professeurs ou crise de recrutement ? La rentrée scolaire 2022 est marquée par la difficulté des académies à trouver des enseignants même si le ministre l’a assuré : “il y aura un professeur devant chaque classe”.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, répond aux questions sur France Inter le 30 août 2022
Journaliste
Alors, certes oui, mais Jean-Rémi Girard, on entend en creux ce que nous dit Stéphane, [NDLR: auditeur] qui dit : “…ça sert à quoi que j’ai passé les concours, ça a été compliqué, c’est difficile, à quoi ça sert si entre guillemets, c’est aussi simple de devenir professeur ?”
Jean-Rémi Girard
Oui, et en fait ce que dit Stéphane, c’est quelque chose que nous, au SNALC, constatons depuis pas mal de temps. Les titulaires ont été oubliés et notamment les titulaires qui sont en milieu et deuxième partie de carrière. Ce sont les oubliés de toutes les campagnes de revalorisation, qu’elles soient historiques ou pas historiques, ils passent toujours à côté et effectivement encore là! Le fameux 2000€, peut-être que certains de vos auditeurs parleront de ce que touche quelqu’un qui a 15 ans de carrière, 2000€ ?
Journaliste
Et les fameux 2000€ dont on parlait, c’est désormais à partir de septembre 2023. Salaire de base de 2000€ net.
Jean-Rémi Girard
Alors on verra exactement ce qu’il y a sur la table, en tant que syndicat représentatif.
[…] Mais oui, il y a cet aspect-là. “Je suis fatigué, moi, j’ai souvent payé ma part” : c’est à dire que beaucoup de collègues ont commencé en éducation prioritaire, ils ont commencé titulaire sur zone de remplacement, ils ont commencé dans des conditions difficiles et ils se disent maintenant “non seulement moi je n’arrive pas forcément à muter, mais en plus on recrute des contractuels dans l’endroit où je voudrais muter” et c’est en train de créer, de plus en plus, un climat très délétère, une sorte de tension interne entre collègues, entre les titulaires et les contractuels. C’est ce qu’on a vu avec les déclarations du recteur de Créteil qui disait relativement clairement qu’il y avait un endroit dans son académie où il priorisait les contractuels par rapport aux titulaires. C’est un problème majeur quand on sait comment doit fonctionner la fonction publique.
Journaliste
Et en même temps, il y a un problème de places au concours – enfin de gens qui se présentent au concours – il y a un problème à l’arrivée, que ce soit un problème de concours ou de vocation, de toute façon, comme le rappelait Christophe Kerrero, il manque du monde, donc il faut bien trouver une solution ; et cette solution là, il faut reconnaître aussi qu’elle existe depuis quand même un bout de temps.
Jean-Rémi Girard
Tout à fait.
Journaliste
Qu’est ce qu’on pourrait faire d’autre ?
Alors sur le très court terme, rien. Très clairement, quand on prépare une rentrée et qu’il y a eu 4000 postes non pourvus, soit on prend des contractuels, soit on a personne.
Journaliste
Mais même pour la rentrée suivante, qu’est-ce qu’on fait ?
Jean-Rémi Girard
Pour la rentrée suivante, il n’ y aura pas de miracle, “de petits miracles” comme disait Christophe Kerrero ; il n’y aura pas de petit miracle. Ce qu’il faut faire, c’est travailler sur le moyen terme, c’est redonner de l’attractivité à notre métier, que les gens aient envie de venir, que les gens aient envie de passer le concours, y compris d’ailleurs les contractuels. Il y a des contractuels qui sont là depuis plusieurs années, qui n’ont aucune envie de passer le concours parce que, finalement ils considèrent que leurs conditions de travail vont se dégrader s’ils passent le concours.
[…][…]
Journaliste
[…] Après tout, pourquoi pas, des contractuels ?
Jean-Rémi Girard
On est d’accord, ce n’est pas nouveau les contractuels. On va préciser: ce n’est pas nouveau dans les collèges et les lycées, c’est très nouveau à l’école primaire, ça n’existait pas il y a 10, 15 ans, il n’y avait pas de professeur contractuel à l’école primaire, il n’ y en avait pas du tout, du tout. Donc, ça dit aussi quelque chose de notre métier. Ensuite, pour les contractuels, certains restent, certains continuent, certains parfois passent le concours, certains restent contractuels.
Journaliste
On l’a ce pourcentage ? On sait si on a créé des vocations, et si un contractuel qui rentrait à l’Éducation nationale passe finalement les concours ?
Jean-Rémi Girard
Il y a des concours spécifiques pour eux mais ce n’est pas facile d’avoir les chiffres.
Christophe Kerrero
[…] et encore une fois contractuel ne veut pas dire professeur incapable.
Jean-Rémi Girard
Non, mais ça veut dire professeurs pas formés, en revanche ! […] C’est bien de dire, on a des ingénieurs, des avocats, et cetera…j’en ai croisé des ingénieurs professeurs de mathématiques dans mon ancien collège, ils se faisaient démonter par les élèves. Ce n’est pas parce qu’on est ingénieur que d’un seul coup on a la pédagogie innée, loin de là !
[…]
Jean-Rémi Girard
Si on trouve un tuteur car tout le monde n’a pas envie de le faire.
[…][…]
Christophe Kerrero
[…] nous aurons des enseignants, et c’est ça qu’il faut retenir […]
Jean-Rémi Girard
Et certains resteront 2 mois et vont partir aussi parce qu’on le sait, les contractuels, ce sont des gens qu’on recrute et c’est aussi une bonne partie de gens qui partent en cours d’année et qu’il va falloir remplacer par de nouveaux contractuels, qu’il va falloir recruter en cours d’année.
[…][…]
Journaliste
[…] dans les propositions et les idées qui ont été lancées, Jean-Rémi Girard, il y avait aussi l’idée d’une feuille de route d’Emmanuel Macron d’accompagner les jeunes gens qui veulent être professeurs, c’est-à-dire qu’il y ait une continuité pour que d’emblée après le bac, il puisse y avoir une sorte de filière. Qu’est-ce que vous diriez de ça ?
Jean-Rémi Girard
C’est formidable qu’il propose ça parce que dans le quinquennat précédent, il a fait exactement le contraire : il a repoussé d’un an la place du concours, il l’a mis en fin de master 2, alors qu’avant le concours était en master 1, et qu’avant il était en licence. Et d’un seul coup on dit le master 2, c’est trop loin, il va falloir revenir et donc refaire toutes les maquettes, ça va être le bazar. Enseignant aujourd’hui, c’est reconnu, c’est un métier bac plus 5, alors on peut placer le concours avant, après, pendant, de toute façon, il y aura de la formation. Nous, au SNALC, on est tout à fait d’accord pour des formes d’alternance, parce qu’on pense qu’on apprend beaucoup le métier sur le terrain. De ce point de vue là, justement, ces contractuels qu’on balance quand même après-demain devant les élèves, il faut aussi rappeler, et c’est une grande différence avec ce que doit être l’entrée dans le métier, on les balance à temps plein. La plupart d’entre eux, on les lance comme ça, avec 4 jours de formation ! Moi, quand j’ai commencé, mon année de stage, j’avais 6h de cours, j’avais une classe et j’avais une alternance de formation à côté. Je pouvais parler avec d’autres stagiaires. On avait du temps entre nous. On avait une formation qui valait ce qu’elle valait, souvent elle n’était pas géniale, parfois il y avait des choses intéressantes, mais on avait le temps de se lancer. Ces contractuels là, ils vont effectivement se prendre le mur pour beaucoup d’entre eux, ça va être très très difficile. C’est pour ça que beaucoup ne vont pas tenir. En plus de cela, on le sait, on parlait des stagiaires : l’année 2020, plus de 700 démissions de stagiaires ! 10 ans avant, il y avait 80 stagiaires qui partaient. Donc il va falloir remplacer les contractuels qui ne vont pas vouloir rester, il va falloir remplacer les stagiaires qui vont partir en cours d’année parce qu’ils se rendent compte que ça ne va pas, et il va falloir remplacer les profs qui partent de plus en plus aussi en cours de carrière.
[…][…]
Journaliste
Jean-Rémi Girard, soyez sympa avec les contractuels, qui vont avoir tellement peur dans la salle des profs.
Jean-Rémi Girard
Nous, on est très sympa ! On syndique plein de contractuels, on en syndique d’ailleurs de plus en plus !
[…][témoignage auditeur][…]
Il y a quelque chose que dit Dominique qui est très vrai : il y a une forme de solidarité entre les enseignants, moi qui étais certifié et maintenant agrégé je ne demande pas à la personne si elle est titulaire ou contractuelle en lui disant bonjour, ce n’est pas l’idée. Il y a une personne qui va être devant des élèves dans la même classe que moi, c’est un collègue, c’est une collègue, voilà.
Ce qui peut devenir un peu plus compliqué, c’est effectivement que certains cachent les difficultés parce que l’Éducation nationale, c’est ça aussi. On a un peu peur de dire que ça ne va pas parce que souvent, quand vous dites que ça ne va pas, ça peut vous retomber dessus relativement rapidement, et c’est pareil pour les professeurs titulaires : titulaires et contractuels, même combat. […]
On a eu « le pas de vague », il n’y a pas si longtemps et il y a beaucoup de collègues qui trouvent ça assez récent. Mais au-delà de ça, oui, c’est important d’en parler. Ce que nous craignons, c’est qu’à un moment, finalement, nous devenions, nous, entre guillemets “la salle des professeurs”, les premiers formateurs gratuits des collègues contractuels qu’on nous lance comme ça en cours d’année.
Il y a quand même des élèves qui voient passer 5 profs différents au cours de l’année dans la même discipline. Ce sont des cas qui existent. Vous avez de la chance dans l’académie de Paris de pouvoir mettre vos professeurs des écoles contractuels sur des postes de remplaçants, ce n’est pas le cas partout. Dans le 2nd degré, ce n’est pas le cas,
On les met parfois sur des postes à l’année et on les met où l’on peut, quand on peut. C’est ça aussi, c’est à dire qu’à un moment, il ne faut pas que la solidarité devienne finalement pesante.
Journaliste
Vous ne voulez pas être le formateur bis ?
Jean-Rémi Girard
Voilà, c’est ça. Les titulaires ont aussi des difficultés que vous avez assez bien décrites dans votre introduction, le métier est en crise.
[…][…]
Journaliste
Merci beaucoup Florence, la géographie, c’est un souci, c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles certains jeunes enseignants préfèrent ne pas passer le concours afin de pouvoir rester chez eux. En même temps, on sait aussi que s’il n’y a pas cet effet mutation en sortant du concours, on va se retrouver dans des déserts éducatifs, exactement comme il y a des déserts médicaux. Donc, qu’est-ce qu’on répond à cette problématique là, qui dit moi, je reste contractuel parce qu’au moins je sais où je reste.
Jean-Rémi Girard
C’est quelque chose qu’on connaît syndicalement, c’est quelque chose qu’on connaît très bien. Comme on est dans un métier en crise et qu’on a besoin d’enseignants, on n’a parfois pas suffisamment d’offre par rapport à la demande institutionnelle. Certains contractuels sont dans le système un peu “en position de force”, c’est à dire que de toute façon, ils vont être employés et donc effectivement ils peuvent se permettre dans ces situations-là de ne pas passer le concours et de rester à Strasbourg, à Rennes. Rennes, qui est l’académie la plus difficile à obtenir [pour un titulaire] ! J’ai des collègues qui ont arrêté de la demander. Des collègues bretons qui ne l’obtiendront jamais.
Les contractuels, il faut quand même s’en souvenir, ce sont des personnels avec une certaine précarité et c’est un risque. L’an dernier, il y a eu une réforme du lycée. Vous avez suivi toute l’histoire des mathématiques, il y a eu des dizaines de milliers d’heures de mathématiques en moins, les contractuels de mathématiques de l’Académie de Versailles se sont vus pour beaucoup d’entre eux, recevoir un petit papier leur disant qu’on n’avait plus besoin de leur service. Alors qu’ils étaient “en position de force” 3-4 ans avant, là d’un seul coup paf ! on n’avait plus besoin d’eux. Certains étaient en poste depuis 4 ans, 5 ans, on leur a dit au revoir. C’est un jeu dangereux parce que un titulaire qui a le concours, on ne peut donc pas le virer, sauf s’il y a une procédure disciplinaire, c’est la fonction publique. Un contractuel, si un jour on n’a plus besoin de lui, on ne lui dira pas de rester.
Christophe Kerrero
La plupart des contractuels sont CDIsés et on ne peut pas les mettre dehors.
Jean-Rémi Girard
Il faut 6 ans quand même pour 1 CDI.
[…][témoignage auditeur enseignant qui attend toujours son affectation à 2 jours de la rentrée[…]
Jean-Rémi Girard
Ce n’est pas que pour les contractuels, parce que les titulaires sur zone de remplacement, certains ont leur affectation le jour de la rentrée.
[…]Question à propos du concours exceptionnel au printemps 2023
Jean-Rémi Girard
Ça a déjà existé par le passé apparemment au vu de ce que disait le ministre, ça ne concernerait que les professeurs des écoles. On va quand même se faire confirmer ça. On voit le ministre le 5 septembre, on va vérifier un certain nombre de choses.
De toute façon nous, au SNALC, à partir du moment où il y a un concours exceptionnel qui est établi et qui fonctionne sans passe-droit ni facilités de mutation ou des choses comme ça, nous sommes d’accord.
Je ne pense pas que ce soit le cas, mais il faut quand même le vérifier.
La difficulté de ces concours exceptionnels est que souvent ils ne trouvent pas preneurs puisqu’ils ne répondent pas aux problématiques des contractuels, puisque les contractuels s’ils réussissent le concours vont se retrouver dans le bain des titulaires et le système qui va avec. Les contractuels rennais ne vont pas spécialement avoir envie de quitter Rennes.
[…][…]
Jean-Rémi Girard
Pour les contractuels, une voie de concours qui existe déjà, avec un dossier, un oral.
Journaliste
Je vous pose la question pour ce qui est des contractuels, comme pour ce qui est d’ailleurs de ceux qui veulent aller directement au concours. Il y a Évelyne qui nous dit: “Mais pourquoi ne pas ouvrir plus de places de concours où aller chercher dans ceux qui ne l’ont pas eu, ouvrir plus de places au concours?”
Jean-Rémi Girard
Parce que le problème, à la base, c’est l’attractivité du métier. Le problème, c’est l’inverse.
[…]
Jean-Rémi Girard
Ça restera très à la marge par rapport aux besoins du système éducatif.
Le problème est le problème d’attractivité, si on ne rend pas notre métier plus attractif, titulaires, contractuels, ce sera même combat à l’arrivée, personne ne voudra plus.
[…]
Jean-Rémi Girard
Enfin il faut vivre les conditions de travail d’un professeur. Moi je connais tellement peu d’enseignants aujourd’hui qui conseillent ce métier à leurs enfants, ça n’existe quasiment plus, c’est triste, mais c’est la réalité. Si on n’accepte pas cette réalité et qu’on continue à dire : « professeur, c’est le plus beau métier du monde » on se trompe. Visiblement, aujourd’hui en France, en 2022, non, ce n’est plus le plus beau métier du monde, mais ça ne m’empêche pas de l’apprécier !
Jean-Rémi Girard
Venez assister à nos colloques : “Éducation nationale, partir ou rester?” ; on vous invite, c’est ceux qui font le plus le plein.
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Journaliste
Est-ce qu’il y a une espèce d’image d’Épinal du métier d’enseignant ? Et est-ce que vous avez le sentiment que ça existe ? Y-a-t-il des contractuels qui se trompent en fait en voulant changer de vie, en se disant je vais chercher du sens ?
Jean-Rémi Girard
C’est pas très grave de se tromper. Mais pour les élèves qu’on a eus pendant la période, c’est quand même problématique. En revanche, l’image d’Épinal, je crois qu’on la voit et on l’entend beaucoup moins. Le ministre lui-même dit qu’il y a une crise de vocation, l’image d’Épinal cela fait un petit moment qu’elle se fissure et je crois qu’on est en train de réaliser ce qu’est la réalité du métier, qu’a très bien décrite Isabelle.