
En pleine rentrée, l’Éducation nationale est en deuil. Lundi 1er septembre, Caroline Grandjean-Paccoud, enseignante et directrice de l’école de Moussages dans le Cantal, a mis fin à ses jours. Harcelée, la quadragénaire était régulièrement visée par des tags homophobes peints sur les murs de l’établissement du village de 300 habitants.
« Après des menaces anonymes en 2024, elle était en arrêt, mais l’académie de Clermont-Ferrand suivait de près sa situation, préparant son retour en tenant compte de ses souhaits », indique le rectorat.
Dans un communiqué de presse, un syndicat enseignant réclame l’ouverture d’une enquête administrative, « afin d’éclaircir les différentes responsabilités au sein de l’Éducation nationale, qui, en tant qu’employeur, n’a pas été en capacité de protéger » Caroline Grandjean-Paccoud. Un avis partagé par Florence Herouin-Léautey, députée, qui a écrit ce mardi à la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne :
« Il est inconcevable qu’une enseignante, attaquée en raison de son orientation sexuelle, n’ait pas trouvé dans sa hiérarchie le soutien indispensable qu’elle était en droit d’attendre. »
En soirée, le ministère a annoncé dans un communiqué avoir saisi l’Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche « pour réaliser une enquête administrative » portant sur « l’ensemble des faits et des procédures » ayant précédé le décès.
Face à un tel drame, la communauté éducative, émue, tire la sonnette d’alarme sur le harcèlement et le mal-être subi par un grand nombre d’enseignants.
« Il y a un tabou sur la santé mentale des personnels. Il faudrait agir pour ne pas faire face à un éventuel syndrome France Télécom », alerte Maxime Reppert, vice-président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC).
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S’il n’existe pas de chiffres officiels récents concernant le nombre de suicides, les syndicats d’enseignants interpellent régulièrement les autorités à ce sujet. En janvier dernier, un syndicat s’était inquiétée dans un communiqué de presse d’une « vague de suicides » d’enseignants en Normandie.
« Depuis le mois de juin 2024, soit en seulement sept mois, l’académie enregistre un sombre record, puisque neuf collègues se sont suicidés et trois ont tenté de mettre fin à leurs jours – pour les chiffres dont nous avons connaissance », écrivait-elle.
Pourtant, selon une enquête du service statistique du ministère, la Depp, parue en juillet dernier, sur l’année 2023-2024, 93% des enseignants du second degré se sont sentis respectés par les élèves, 75% par la hiérarchie directe et 73% par les parents d’élèves. Dans une autre enquête de 2023, 86% des professeurs se disaient satisfaits du climat scolaire dans leur école maternelle ou primaire.
« Peu importe. Ce n’est pas le nombre de suicides qui compte. Un, c’est déjà trop »
Des dispositifs existent pour faire face au mal-être des professeurs.
« Une cellule d’écoute est activement en place pour soutenir les personnels de la circonscription », affirme le rectorat de Clermont-Ferrand au lendemain du décès de la directrice dans le Cantal, comme c’est le cas pour chaque disparition tragique d’un membre du personnel à l’école.
Du côté de la prévention, une ligne téléphonique (0805 500 005) a également été mise en place en 2023, après l’assassinat de Dominique Bernard à Arras, par le ministère de l’Éducation nationale et la mutuelle MGEN, pour « accompagner les personnels sollicitant un besoin de soutien psychologique ».
Pour autant, la communication au sujet de ce dispositif est insuffisante, selon les syndicats, dont la plupart ne savent pas si elle est toujours active.
« Les enseignants manquent d’information sur qui contacter en cas de détresse ». En particulier dans les petites écoles de zone rurale. Contacté sur le sujet, le ministère de l’Éducation nationale n’a pas donné suite à nos sollicitations…
Pour permettre aux enseignants de se confier plus facilement et d’intervenir le plus tôt possible en cas de mal-être, les syndicats réclament le déploiement de moyens humains supplémentaires.
« Il y a une pénurie de personnels de santé pour veiller au bien-être des professeurs et autres professionnels du secteur. Ce qui se comprend : un médecin de l’Éducation nationale est bien moins payé qu’un médecin à l’hôpital. Nos collègues sont en souffrance, il faut intervenir », souligne Maxime Reppert.
Et pour cause : « Les professeurs sont soumis à la pression des élèves, des parents ou de l’Éducation nationale. Autrefois, ils étaient des figures de l’école. Aujourd’hui, ils sont des figurants. L’opinion a une image négative de la profession. On nous considère comme des “feignasses”, avec trop de vacances », regrette l’élu du Snalc.
Sans oublier les insultes reçues et les rumeurs propagées sur les réseaux sociaux. Comme pour le harcèlement scolaire entre élèves, le ministère devrait-il lancer une campagne de sensibilisation contre le harcèlement de son personnel ?
« L’Éducation nationale devrait sensibiliser les parents sur leurs droits et leurs devoirs envers l’école. Les enseignants devraient être davantage accompagnés pour déposer plainte en cas de harcèlement. Le “pas de vague” prend encore trop de place. Cela doit cesser », conclut Maxime Reppert.
