Dans la pensée décidemment toujours intersidérale de certains politiques, nous découvrons depuis quelques temps des idées d’avenir éducatif tout aussi inquiétantes que réductrices : la volonté d’imposer l’enseignement numérique distanciel comme une norme à l’école !
Ces mêmes astronautes de l’Etat présentent cette alternative à l’enseignement en présentiel – si elle était institutionnalisée – comme la solution idéale aux maux budgétaires des familles et de l’Education Nationale mais aussi comme l’option scolaire efficace en cas d’absences pour raisons médicales ou conditions climatiques extrêmes perturbant les déplacements. Ils décrivent de surcroît ce qui serait en fait « un confinement forcé » comme une occasion de prétendre à une meilleure qualité de vie puisque l’on resterait davantage chez soi !
Le funeste épisode de crise sanitaire que nous traversons, qui devrait tous nous inviter à la mesure, au respect de ce qui fait de nous des êtres humains – notre nature profondément « sociale » – ne semble point empêcher certains de nourrir toujours de noirs desseins par ambition, par cupidité, par ignorance peut-être bien !
Le numérique nous propulse-t-il au 7? ciel ?
Les inventions pédagogiques numériques s’accélèrent et sont multiples depuis quelques années. Le besoin d’innovation se fait sentir et fait des émules chez de nombreux enseignants, notamment pris au berceau de leur carrière, impliqués directement dans la voie lactée digitale dès leur sortie de concours …
Divers sites et réseaux sociaux se chargent de propager des outils interactifs servant toutes les disciplines, auxquels nous devons reconnaître certains apports pour agrémenter nos activités de classe ou permettre une poursuite de travaux intéressante à la maison après la classe. Ces outils offrent une netteté et un esthétisme des supports, une ergonomie et une interactivité attrayantes pour professeurs et élèves et peuvent engendrer un gain de temps dans les apprentissages, une immédiateté d’accessibilité aux savoirs que la connexion web permet.
Le concept du webinaire ou de la formation en ligne se développe également. Ces nouvelles modalités d’entraînement à distance pour élèves ou enseignants peuvent permettre la mise en place de menus et parcours « à la carte » en termes d’évolution personnelle dont on peut être seul maître…
Le numérique n’est pas la panacée, gardons les pieds sur Terre !
Cependant, le numérique – et l’enseignement à distance qu’il induira partiellement ou totalement à plus ou moins long terme si nous ne sommes pas vigilants – présente des dangers cognitifs et sociétaux certains…
Comment pourrait-on prétendre rendre le métier de professeur plus attractif si l’on envisageait un avenir en télétravail qui sous-entendrait esseulement et maux d’ordre psychologique et psychosomatique dus à la manipulation prolongée et systématique d’outils informatiques en état de confinement chez soi au quotidien ?
Serait-on également taillables et corvéables car sollicités par des activités chronophages qui ne nous permettraient pas de dissocier nos vies professionnelles de nos vies personnelles ? La continuité pédagogique l’a déjà prouvé malheureusement. Rappelons que l’enseignement en distanciel est déjà préconisé par certains pour des dispositifs tels que Devoirs Faits….
Comment gèrerions-nous les activités de classe pour satisfaire aux exigences d’attendus d’évolution collective ? Les classes pourraient-elles encore exister en tant que groupes sociaux dont les membres sont censés interagir les uns avec les autres ? Comment seraient traités les publics hétérogènes ? Les publics difficiles ? Les élèves relevant des dispositifs d’inclusion ?
Méfions-nous également des raccourcis affligeants qui présentent l’enseignant expert en informatique et en numérique comme le bon professeur. Comment peut-on comparer le cours en distanciel au cours en présentiel ? Ce n’est pas parce que l’on est très investi en virtuel que l’on est meilleur en réel et inversement. Le « geek » compétent est peut-être incompétent dans la gestion de classe qui est l’un des piliers de notre métier. Être seul face à son ordinateur est beaucoup moins compliqué que d’être seul face à trente élèves. Faire classe aujourd’hui et assurer « un climat propice aux apprentissages », relève de l’exploit entre effectifs pléthoriques, hétérogénéité et inclusion. Reconnaissons ce savoir-faire à sa juste valeur !
D’autre part et ne l’oublions pas, certaines études ont montré le danger du numérique sur les enfants. Ainsi l’ingénieur et essayiste Philippe Bihouix, dans son essai Le Désastre de l’école numérique, affirme que « le numérique ne permet ni d’apprendre mieux, ni de lutter contre les inégalités. Il est même nuisible à l’acquisition des fondamentaux, fait perdre le goût de l’effort et met en péril le métier d’enseignant ». Le neuroscientifique Michel Desmurget, quant à lui, « met en garde contre l’effet délétère des écrans créatifs sur le développement des enfants ». Il s’interroge : « Comment peut-on laisser croire qu’un écran pourra jamais approcher la puissance ontogénétique d’un parent attentif, d’un enseignant compétent ou d’un copain de jeu ? ». Ce n’est pas pour rien que les patrons de la Silicon Valley (Bill Gates, Steve Jobs…) interdisent les écrans à leurs enfants, ils les « protègent de leurs propres produits ».
Pour conclure, même si nous sommes tous conscients de l’importance de rester compétitifs face à l’adversité technologique étrangère dans une optique d’évolution sociétale et tout en saluant l’implication extraordinaire et les trésors d’invention numériques déployés à juste titre par bon nombre de collègues férus d’informatique, nous nous devons d’agiter le sceptre de la mise en garde contre ce que nous anticipons néanmoins comme un prétexte gouvernemental de refonte de nos obligations règlementaires de service au nom de la solidarité et du progrès !
¹ Le MOOC, Massive Open Online Course, cours ou formation en ligne
Le SPOC, Small Private Online Course, cours en ligne privé en petit groupe.
Enseignement numérique en ligne (e Learning) : l’enseignement à distance
Espace numérique de travail ou ENT (Virtual Learning Environment)