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Détecter et signaler les situations de maltraitance : ce qu’il faut savoir

Sylvie Morante Cazaux
SNALC premier degré
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Le 05 novembre 2019

Le 15 octobre dernier, Santé Publique France publiait un dossier très complet sur la maltraitance pendant l’enfance.

En tant que professionnels exerçant au quotidien auprès d’enfants, nous avons un rôle prépondérant pour détecter et signaler ces situations particulièrement difficiles.

Mais concrètement, quels sont nos devoirs et nos droits ? A qui nous adresser ? Comment aborder ce sujet délicat avec les élèves concernés ?

Le baromètre de Santé Publique France publié le 15 octobre fait état de chiffres alarmants :
« Chaque année, environ 50 000 plaintes pour violences physiques sur enfant sont déposées et 20 000 pour agressions sexuelles. Chaque jour, 90 appels sont traités par le plateau d’écoute du 119, le numéro de l’enfance en danger, et 40 informations préoccupantes sont signalées. L’Observatoire national de la protection de l’enfance a estimé à 67 le nombre d’enfants décédés de mort violente au sein de la famille en 2017. Cette liste, loin d’être exhaustive, ne saisit pas toute l’ampleur de la maltraitance infantile, car ces violences ont des répercussions traumatiques, physiques et psychologiques à court, moyen et long termes. »
Nous, enseignants, sommes en première ligne pour dépister la maltraitance et agir en conséquence. Mais ces situations sont toujours délicates et nécessitent un grand professionnalisme. Cet article répond aux questions que vous pouvez vous poser et vous donne des clés pour accompagner au mieux les élèves concernés.

Qu’est-ce que la maltraitance ?

Deux situations sont à prendre en compte ; celle d’enfant en danger et celle d’enfant en situation de risque de danger :
Un enfant mineur est en danger quand sa santé, sa sécurité, sa moralité, ou quand les conditions de son éducation, de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises.
Il est en risque de danger quand les difficultés rencontrées peuvent mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, ou son éducation, son développement physique, affectif, intellectuel et social.

Que dit la loi ?

La base du dispositif de prévention de la maltraitance a été posée par la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989, et reprise dans les différents codes et notamment dans les articles L542-1 et suivants du Code de l’éducation.
Il est rappelé que ” L’éducation nationale a en ce domaine une fonction déterminante. Ses personnels, en contact permanent avec les enfants, ont une obligation de vigilance et doivent être informés des signes révélateurs de maltraitance, mauvais traitements et atteintes sexuelles, et des comportements à adopter lorsque le cas se présente. Il incombe également à l’école de participer à la prévention par les actions d’information qu’elle conduit auprès des élèves “.

La formation des personnels

L’article L542-1 du Code de l’éducation, instaure le principe de l’obligation de formation des enseignants, aux questions relatives à la maltraitance des mineurs. Les INSPE doivent ainsi prendre en compte ces enseignements.
Ainsi, les enseignants sont supposés être en capacité d’identifier des situations de maltraitance, savoir qui alerter, quand et comment agir à l’égard des élèves concernés.

D’autre part, les structures chargées de la formation continue des enseignants doivent proposer des stages sur ce thème.
Enfin, la formation des directeurs d’école doit mettre en évidence leurs responsabilités et obligations en ce domaine, et leur permettre de connaître les modes de prise en charge de la maltraitance ainsi que les interlocuteurs compétents.

Mais dans les faits, le SNALC déplore que tous les enseignants ne soient pas égaux face à la formation. Les formations proposées diffèrent d’un INSPE à l’autre.
Quant à la formation continue, elle est inexistante dans certains départements et trop peu d’enseignants y ont accès dans d’autres, la demande étant très élevée, l’offre trop faible et les remplaçants manquant cruellement sur tout le territoire.
Nous sommes donc trop peu formés sur ces sujets, ce qui porte atteinte à la protection des enfants dont nous avons la charge.

QUE FAIRE LORSQU’UNE MALTRAITANCE EST CONSTATÉE ?

Comment repérer les enfants en danger ?

    • En recevant des confidences de l’élève ou de ses proches.
    • En étant alerté par des signes de souffrance ou de mal-être :symptômes physiques : traces de coups, blessures, scarifications, accidents fréquents, problèmes de santé répétés, retard staturo-pondéral, arrêt du développement psychomoteur ou intellectuel, manque d’hygiène …

      troubles du comportement : changement récent et massif du comportement, violence, agressivité, mutisme, repli sur soi, avidité affective, comportement érotisé, fugues, attitudes craintives ou peureuses, prises de risques, conduites addictives, désinvestissement scolaire brutal, absentéisme répété, chute brutale des résultats, refus de rentrer au domicile…

      manifestations psychosomatiques : troubles du sommeil, troubles de comportement alimentaire, énurésie, encoprésie, maux de ventre, malaises …

  • En étant alerté par des signes chez les adultes dans l’entourage de l’enfant :attitudes éducatives non adaptées : mode ou rythme de vie, absence ou excès de limites, exigences éducatives inadaptées, sanctions disproportionnées …,

    comportement à l’égard de l’enfant ou de l’adolescent : absence de soins, manque d’attention, violences physique, psychologique, sexuelle,

    comportement des adultes eux-mêmes en grandes difficultés (fragilité psychologique, addictions, pathologie, violences conjugales …).

Un signe se définit comme un signal d’alarme à prendre en compte dans un contexte plus global, situé dans le temps. C’est parfois le faisceau de signes, leur aspect cumulatif, qui caractérisent la situation de danger ou de risque de danger.
Toutefois, ces signes peuvent avoir une autre signification. Il convient donc de prendre le temps d’analyser, avec l’élève et sa famille, l’origine de ces manifestations.

Il est important que l’adulte qui a reçu des confidences ou remarqué ces signes parle à l’élève, l’aide à dire ce qui se passe et lui apporte un soutien.

Sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant, notamment en cas de procédure de police ou de justice, le dialogue avec les parents ou les personnes responsables de l’élève doit être privilégié, pour recueillir et partager leur point de vue sur les difficultés rencontrées.

Le rôle du médecin scolaire

La circulaire n° 2001-012 du 12 janvier 2001 pose le rôle plus spécifique du médecin scolaire. Le médecin doit aider les enseignants à repérer les élèves en situation de risque ou de danger, et mettre en œuvre toutes les mesures pour assurer leur protection. Le travail en réseau est primordial notamment avec les psychologues scolaires et les travailleurs sociaux.

En cas de signes de maltraitance, le médecin a un devoir de signalement, dans les conditions prévues par l’article 226-14 du Code pénal, instituant une dérogation légale au secret professionnel.

Le SNALC regrette que dans les faits, le médecin scolaire n’intervienne que très peu dans les écoles. Les enseignants ne le rencontrent qu’une fois par an, lors de la visite obligatoire des enfants de maternelle.

Si l’école maternelle et l’école élémentaire sont séparées, certains enseignants ne le rencontrent jamais. Les équipes d’enseignants sont donc le plus souvent les seules à pouvoir détecter les maltraitances dont sont victimes leurs élèves, ce qui est inadmissible !

La plupart du temps, ce n’est qu’une fois les « premières constatations » effectuées que le médecin scolaire interviendra pour certifier les lésions ou les troubles.

L’information préoccupante

Cette information est transmise à la cellule départementale pour alerter le président du Conseil départemental sur l’existence d’un danger ou risque de danger pour un mineur :

    • soit que la santé, la sécurité ou la moralité de ce mineur soient considérées être en danger ou en risque de danger ;
  • soit que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social soient considérées être gravement compromises ou en risque de l’être.

La finalité de cette transmission est d’évaluer la situation de l’enfant et de déterminer les actions de protection et d’aide dont l’enfant et sa famille peuvent bénéficier.

Comment signaler une information préoccupante ?

    • Tout enseignant ayant un doute ou une présomption de maltraitance, après réflexion partagée au sein de l’institution, doit transmettre par écrit les éléments de la situation au président du conseil départemental en adressant “une information préoccupante” à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes.

Selon les modalités prévues par le protocole départemental, ces informations sont adressées :

      • soit directement à la cellule, avec copie du document ou bordereau, pour information, à l’inspecteur d’académie,
      • soit à la cellule par l’intermédiaire de l’inspecteur d’académie.
  • Dans les cas où la gravité de la situation le justifie, par exception à l’obligation de transmission à la cellule départementale, tout personnel de l’Éducation nationale peut aviser un signalement directement au procureur de la République en tant que personne travaillant dans un service public susceptible de connaître des situations de danger (article L 226-4 du code de l’action sociale et des familles).

Par ailleurs si, en qualité de “fonctionnaire, dans l’exercice de ses fonctions, il acquiert la connaissance d’un crime ou de délit”, il est tenu d’en aviser sans délai le procureur de la République (article 40 du code de procédure pénale).

Une copie de cette transmission est alors adressée à la cellule départementale et au DASEN.
Retrouvez le circuit de transmission ICI.

Associer la famille à toutes les étapes
Les parents ou titulaires de l’autorité parentale sont associés à la réflexion dans le cadre d’un dialogue, autour des besoins et de l’intérêt de leur enfant, ainsi que sur les ressources qu’ils peuvent mobiliser.

Ils sont avisés de la transmission des informations préoccupantes à la cellule départementale ou du signalement au procureur, sauf si le fait de les informer est contraire à l’intérêt de l’enfant comme cela peut être le cas dans les situations de violences intra-familiales et d’inceste.

Les conseils du SNALC

Au SNALC nous savons que dénoncer la maltraitance et affronter les conséquences qui découleront de cet acte n’est pas simple si l’on n’y est pas préparé.
Le désir de porter secours à l’enfant peut être contrebalancé par la crainte de déclencher un cataclysme dans la famille, qui risque ensuite de faire bloc pour se retourner contre le responsable du signalement, ou contre l’enfant lui-même.

Cependant, sachez que la non-dénonciation de maltraitance est un délit sanctionné par l’article 434-3 du Code pénal.
” La communication des cas de mauvais traitements et privation s’impose, comme à tout citoyen, aux personnels des établissements scolaires “.

Ne restez pas seul !

La règle est de ne jamais rester seul et d’échanger avec d’autres professionnels au sein de l’institution, dans le respect de la confidentialité pour :

    • ne pas rester isolé avec un doute ;
    • pouvoir aider l’élève ;
  • permettre aux services compétents d’évaluer et traiter la situation.

Chacun, dans le cadre de ses missions, a compétence pour analyser la situation, confronter les points de vue quant au danger éventuellement repéré et décider de l’orientation à prendre :

    • interventions de l’Education nationale auprès de l’élève et/ou de ses parents : conseils, soutien et orientation, en particulier dans le cadre d’un accompagnement social,
  • transmission à la cellule de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes ou signalement à l’autorité judiciaire.

? l’assistant de service social, le médecin scolaire, le psychologue scolaire :
Ce sont des personnes ressources pour étayer votre point de vue.
? vos collègues :
Ils peuvent avoir déjà vécu ce type de situation et pourront témoigner de leur expérience.
Par ailleurs, les enseignants précédents de l’élève concerné sont une source d’information précieuse sur la situation personnelle de l’enfant.
? votre directeur :
Il est là pour vous donner les coordonnées des personnes que vous devrez contacter. Il vous soutiendra dans la procédure et vous donnera également son point de vue.
? le SNALC :
Votre section académique du SNALC sera toujours présente pour vous épauler si vous en avez besoin.

Plusieurs témoins valent mieux qu’un…

Si l’enfant est en confiance avec un autre de vos collègues et qu’il accepte sa présence lors de votre conversation, cela ne pourra être qu’un plus, votre parole ne pourra pas être éventuellement mise en doute par la famille et ce sera plus aisé pour noter les confidences de l’enfant.

Soyez prudent mais…n’attendez pas !

Si vous constatez sur votre élève des marques qui vous laissent à penser qu’il a subi des violences, n’attendez pas pour en parler avec vos collègues.
N’oubliez pas que les bleus ne restent parfois apparents que quelques jours et que vous ne les avez pas forcément remarqués tout de suite.

De même, si le signalement est en réflexion depuis un certain temps au sein de l’équipe, n’attendez pas la veille des vacances scolaires pour le transmettre aux services compétents.

À l’école, les enseignants sont bien souvent les référents uniques de leurs élèves qui leur font confiance pour les apprentissages, mais également pour les protéger lorsque l’entourage est défaillant.
Vous ne devez pas rester isolés face à la maltraitance ; il faut absolument que vous sollicitiez votre entourage professionnel pour vous épauler dans ces moments très particuliers de votre carrière.

Le SNALC de son côté réclame sans cesse les moyens utiles à l’exercice du métier et à la protection des enfants qui nous sont confiés : formation, effectifs raisonnables dans les classes, médecins (pour les élèves et les enseignants !) sont les incompressibles d’un accompagnement réaliste de nos élèves.