Article paru dans la Quinzaine universitaire n°1425
Dans l’article de la QU n°1424, nous avons démontré combien l’investissement est une forme de performance dont la prise en considération dans la notation en EPS, justifiée par de multiples intérêts, devrait être clairement effective. Pour finaliser cette réflexion nous envisagerons ici comment il est possible d’évaluer pratiquement et objectivement cette composante essentielle de l’activité des élèves en EPS.
POURQUOI L’ÉVALUATION DE L’INVESTISSEMENT A ÉTÉ MINORÉE ET ABANDONNÉE EN EPS
Depuis toujours, pour asseoir son intégration scolaire, l’EPS a recherché dans des cautionnements scientifiques une rigueur et une reconnaissance accréditant sa légitimité. Des mesures quasi médicales d’après-guerre aux tables de cotation LETESSIER utilisées jusque dans les années 80, la plus grande précision était recherchée.
La révolution de l’évaluation en 1983 a considérablement perturbé cette logique cartésienne en élargissant la certification au bac à des activités non exclusivement barêmées (l’athlétisme et la natation) ou codifiées (la gymnastique), comme les sports collectifs, de combat, la danse… et en introduisant des composantes nouvelles à noter comme les connaissances, la participation et le progrès.
S’agissant des nouvelles APSA, leur didactisation obligée par cette réforme, a permis en partie de remplacer une évaluation à « l’oeil du maquignon » par une appréciation reposant sur des grilles de niveaux de jeu ou de réalisation, nouvelles tables comportementales de cotations certificatives. Quant à l’évaluation des connaissances, participation et autres progrès, elle ne fut pendant plusieurs décennies qu’une sorte de fourre-tout complémentaire et expérimental qui permettait les « arrangements évaluatifs » sous bonne couverture. Les évaluations des connaissances et des progrès en EPS posèrent de telles difficultés qu’elles furent abandonnées. L’évaluation de la participation, passa elle aussi à la trappe pour des raisons conceptuelles et méthodologiques qu’il convient ici de rappeler pour nous en prémunir.
L’analyse didactique essentiellement centrée sur les APSA s’est peu portée sur la caractérisation des activités de l’élève, laissant libre cours dans l’évaluation de leur participation à des appréciations parfois douteuses, selon des critères vagues ou implicites, et dont le caractère éducatif s’avérait discutable (GERNIGON1). L’évaluation de l’investissement ne pouvait consister en une note de privilège, récompenser une participation subordonnée à des tâches matérielles ou une forme de soumission disciplinaire. Ces dérives lui ont valu son abandon.
COMMENT EFFECTUER CETTE ÉVALUATION DE FAÇON OBJECTIVE ?
Le code de l’éducation stipule que « les parents sont tenus informés des résultats et du comportement scolaire de leurs enfants ». L’évaluation de l’investissement est l’occasion d’apprécier le comportement scolaire mais comment l’effectuer sans retomber dans ces dérives hasardeuses ou subjectives ? Nous ne sommes plus aujourd’hui dans le même contexte qu’il y a 35 ans. Des éléments se sont structurés. Ils rendent possible la rénovation, la réhabilitation de cette évaluation et le changement de paradigme que nous défendons.
Depuis 2008, les programmes d’EPS mettent en avant l’acquisition de « compétences sociales et méthodologiques » et visent la construction d’un « élève plus autonome, plus responsable… ». Cette volonté est réitérée en 2015. L’EPS doit permettre aux collégiens de « s’approprier des méthodes, de partager des règles, d’assumer des rôles et des responsabilités ». On retrouve ces mêmes exigences au lycée.
Soyons clairs. Il ne s’agit pas de surabonder dans la dérive méthodologique et intellectualiste que nous ne cessons de dénoncer. Nous avons affirmé que cette formation méthodologique en EPS devait occuper une juste place 2. Mais lorsqu’elle est nécessaire, elle peut devenir un support à l’évaluation de l’investissement. Concrètement, lorsqu’il s’agit de faire observer aux élèves trois fois de suite la façon dont se plante leur javelot afin qu’ils apportent des corrections à leurs lancers suivants, la réalisation de ce type de consigne est révélatrice d’un niveau d’investissement.
Il en va de même pour les compétences sociales. Au delà d’une terminologie très discutable, ces éléments renvoient à une éducation au « vivre ensemble », à l’adoption de comportements scolaires, civiques et sociaux respectueux des règlements des jeux didactiques et sportifs, des règles nécessaires aux apprentissages et au bon fonctionnement collectif de la classe. Cette formation à la responsabilité, à la sécurité, au respect de soi et des autres est aussi un support pertinent pour réaliser l’évaluation de l’investissement.
DANS QUELLES MESURES RÉALISER L’ÉVALUATION DE L’INVESTISSEMENT ?
Le poids de la note d’investissement
Rien n’interdit institutionnellement d’effectuer cette évaluation dans le cadre des notes de cycles, au collège comme au lycée. Seuls les protocoles officiels de certification sont normés et fermés.
L’évaluation de l’investissement peut donc constituer une part importante et variable de la note d’EPS. Son poids peut dépendre en particulier de la nature du contexte éducatif ou de l’APSA support, selon les effets souhaités.
La place de la performance motrice
Alors que la performance motrice constituait généralement 80% de la note, elle se voit grandement diminuée. Dans le tableau présenté ci-dessous, dans un contexte éducatif standard, elle ne représente plus que 44% de la note.
L’évaluation de la performance reste cependant déterminante indépendamment de son poids, même très réduit. Elle préserve d’une part la dimension performative, composante historique, logique et culturelle des pratiques sportives. Elle offre d’autre part aux élèves une connaissance objective de leur potentiel physique et sportif, non faussée par des « arrangements évaluatifs » 3 pondérateurs. Elle a donc une dimension informative importante, nécessaire à la construction personnelle des élèves et pour certains à leur avenir.
ÉVALUER DES COMPÉTENCES ?
Il ne s’agit pas d’entrer dans le jeu démagogique de l’évaluation par compétences, que nous déplorons. Mais parmi les compétences des programmes, il est possible de s’appuyer sur celles qui relèvent de l’investissement des élèves et de spécifier des niveaux révélateurs des acquisitions visées, essentiels à une évaluation utile, objective et justifiée.
En fonction des APSA enseignées, ces compétences seront choisies différemment selon leur pertinence. Faisant d’une pierre deux coups, les résultats observés permettront de valider progressivement des éléments du socle commun et de nous mettre en conformité avec cet attendu institutionnel.
Dans cet exemple, la jeune fille évaluée en lancer de javelot, moyennement performante, obtient cependant une bonne note en EPS en raison de son travail, des efforts consentis et d’une attitude scolaire très positive.
Au delà du changement de paradigme, en s’émancipant des déterminismes au profit de l’initiative et de l’engagement (Liberté), en rendant la réussite plus accessible à tous et en introduisant davantage de justice (Égalité), en limitant les discriminations et en permettant une protection légitime de l’estime de soi (Fraternité), l’évaluation de l’investissement permettrait à l’EPS de mieux faire vivre les valeurs de la République et de mieux les transmettre, pour répondre à la mission que l’école s’est donnée
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(1) C. GERNIGON : La motivation de l’élève et son investissement – Revue EPS n° 236, 1992.
(2) L. BONNIN : EPS, entre cognitivisme et intellectualisme – Quinzaine Universitaire n° 1416, 2018.
(3) R. MERLE : Les notes, secrets de fabrication, 2008.
POURQUOI L’ÉVALUATION DE L’INVESTISSEMENT A ÉTÉ MINORÉE ET ABANDONNÉE EN EPS
Depuis toujours, pour asseoir son intégration scolaire, l’EPS a recherché dans des cautionnements scientifiques une rigueur et une reconnaissance accréditant sa légitimité. Des mesures quasi médicales d’après-guerre aux tables de cotation LETESSIER utilisées jusque dans les années 80, la plus grande précision était recherchée.
La révolution de l’évaluation en 1983 a considérablement perturbé cette logique cartésienne en élargissant la certification au bac à des activités non exclusivement barêmées (l’athlétisme et la natation) ou codifiées (la gymnastique), comme les sports collectifs, de combat, la danse… et en introduisant des composantes nouvelles à noter comme les connaissances, la participation et le progrès.
S’agissant des nouvelles APSA, leur didactisation obligée par cette réforme, a permis en partie de remplacer une évaluation à « l’oeil du maquignon » par une appréciation reposant sur des grilles de niveaux de jeu ou de réalisation, nouvelles tables comportementales de cotations certificatives. Quant à l’évaluation des connaissances, participation et autres progrès, elle ne fut pendant plusieurs décennies qu’une sorte de fourre-tout complémentaire et expérimental qui permettait les « arrangements évaluatifs » sous bonne couverture. Les évaluations des connaissances et des progrès en EPS posèrent de telles difficultés qu’elles furent abandonnées. L’évaluation de la participation, passa elle aussi à la trappe pour des raisons conceptuelles et méthodologiques qu’il convient ici de rappeler pour nous en prémunir.
L’analyse didactique essentiellement centrée sur les APSA s’est peu portée sur la caractérisation des activités de l’élève, laissant libre cours dans l’évaluation de leur participation à des appréciations parfois douteuses, selon des critères vagues ou implicites, et dont le caractère éducatif s’avérait discutable (GERNIGON1). L’évaluation de l’investissement ne pouvait consister en une note de privilège, récompenser une participation subordonnée à des tâches matérielles ou une forme de soumission disciplinaire. Ces dérives lui ont valu son abandon.
COMMENT EFFECTUER CETTE ÉVALUATION DE FAÇON OBJECTIVE ?
Le code de l’éducation stipule que « les parents sont tenus informés des résultats et du comportement scolaire de leurs enfants ». L’évaluation de l’investissement est l’occasion d’apprécier le comportement scolaire mais comment l’effectuer sans retomber dans ces dérives hasardeuses ou subjectives ? Nous ne sommes plus aujourd’hui dans le même contexte qu’il y a 35 ans. Des éléments se sont structurés. Ils rendent possible la rénovation, la réhabilitation de cette évaluation et le changement de paradigme que nous défendons.
Depuis 2008, les programmes d’EPS mettent en avant l’acquisition de « compétences sociales et méthodologiques » et visent la construction d’un « élève plus autonome, plus responsable… ». Cette volonté est réitérée en 2015. L’EPS doit permettre aux collégiens de « s’approprier des méthodes, de partager des règles, d’assumer des rôles et des responsabilités ». On retrouve ces mêmes exigences au lycée.
Soyons clairs. Il ne s’agit pas de surabonder dans la dérive méthodologique et intellectualiste que nous ne cessons de dénoncer. Nous avons affirmé que cette formation méthodologique en EPS devait occuper une juste place 2. Mais lorsqu’elle est nécessaire, elle peut devenir un support à l’évaluation de l’investissement. Concrètement, lorsqu’il s’agit de faire observer aux élèves trois fois de suite la façon dont se plante leur javelot afin qu’ils apportent des corrections à leurs lancers suivants, la réalisation de ce type de consigne est révélatrice d’un niveau d’investissement.
Il en va de même pour les compétences sociales. Au delà d’une terminologie très discutable, ces éléments renvoient à une éducation au « vivre ensemble », à l’adoption de comportements scolaires, civiques et sociaux respectueux des règlements des jeux didactiques et sportifs, des règles nécessaires aux apprentissages et au bon fonctionnement collectif de la classe. Cette formation à la responsabilité, à la sécurité, au respect de soi et des autres est aussi un support pertinent pour réaliser l’évaluation de l’investissement.
DANS QUELLES MESURES RÉALISER L’ÉVALUATION DE L’INVESTISSEMENT ?
Le poids de la note d’investissement
Rien n’interdit institutionnellement d’effectuer cette évaluation dans le cadre des notes de cycles, au collège comme au lycée. Seuls les protocoles officiels de certification sont normés et fermés.
L’évaluation de l’investissement peut donc constituer une part importante et variable de la note d’EPS. Son poids peut dépendre en particulier de la nature du contexte éducatif ou de l’APSA support, selon les effets souhaités.
La place de la performance motrice
Alors que la performance motrice constituait généralement 80% de la note, elle se voit grandement diminuée. Dans le tableau présenté ci-dessous, dans un contexte éducatif standard, elle ne représente plus que 44% de la note.
L’évaluation de la performance reste cependant déterminante indépendamment de son poids, même très réduit. Elle préserve d’une part la dimension performative, composante historique, logique et culturelle des pratiques sportives. Elle offre d’autre part aux élèves une connaissance objective de leur potentiel physique et sportif, non faussée par des « arrangements évaluatifs » 3 pondérateurs. Elle a donc une dimension informative importante, nécessaire à la construction personnelle des élèves et pour certains à leur avenir.
ÉVALUER DES COMPÉTENCES ?
Il ne s’agit pas d’entrer dans le jeu démagogique de l’évaluation par compétences, que nous déplorons. Mais parmi les compétences des programmes, il est possible de s’appuyer sur celles qui relèvent de l’investissement des élèves et de spécifier des niveaux révélateurs des acquisitions visées, essentiels à une évaluation utile, objective et justifiée.
En fonction des APSA enseignées, ces compétences seront choisies différemment selon leur pertinence. Faisant d’une pierre deux coups, les résultats observés permettront de valider progressivement des éléments du socle commun et de nous mettre en conformité avec cet attendu institutionnel.
Dans cet exemple, la jeune fille évaluée en lancer de javelot, moyennement performante, obtient cependant une bonne note en EPS en raison de son travail, des efforts consentis et d’une attitude scolaire très positive.
Au delà du changement de paradigme, en s’émancipant des déterminismes au profit de l’initiative et de l’engagement (Liberté), en rendant la réussite plus accessible à tous et en introduisant davantage de justice (Égalité), en limitant les discriminations et en permettant une protection légitime de l’estime de soi (Fraternité), l’évaluation de l’investissement permettrait à l’EPS de mieux faire vivre les valeurs de la République et de mieux les transmettre, pour répondre à la mission que l’école s’est donnée
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(1) C. GERNIGON : La motivation de l’élève et son investissement – Revue EPS n° 236, 1992.
(2) L. BONNIN : EPS, entre cognitivisme et intellectualisme – Quinzaine Universitaire n° 1416, 2018.
(3) R. MERLE : Les notes, secrets de fabrication, 2008.