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Collège : une heure par semaine de renforcement en maths ou en français en collège, la bonne solution ?

« ... Ce n'est pas nécessairement la transition vers la 6e qui est difficile ; en réalité, certains élèves présentent déjà un certain nombre de lacunes. Plus on progresse dans le système scolaire, plus ces lacunes deviennent problématiques... »
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC

La marche d’entrée en 6ème de plus en plus difficile ? Selon les derniers chiffres du ministère de l’Éducation nationale, 27% des élèves n’ont pas le niveau attendu en français et près d’un tiers en mathématiques à l’arrivée au collège. Depuis la rentrée, une heure hebdomadaire de renforcement est désormais obligatoire pour tous les élèves de 6ème, assurée entre autres par des enseignants d’école élémentaire.

Jean-Rémi Girard, président du SNALC, réagit sur B SMART le mercredi 22 septembre 2023.

Eva Ben-Saadi

Bonjour à tous et ravis de vous retrouver pour cette nouvelle saison de Smart éducation, votre rendez-vous dédié à l’éducation de demain, aux nouvelles formations, aux nouveaux métiers, à la nouvelle pédagogie, mais également aux nouvelles technologies de l’éducation. Comme chaque mois désormais, nous mettrons en lumière une actualité du monde éducatif. Aujourd’hui, nous aborderons cette fameuse heure hebdomadaire de renforcement en français ou en mathématiques annoncée en janvier dernier par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndaye. Elle est désormais obligatoire depuis la rentrée pour tous les élèves de sixième. Les derniers chiffres du ministère parlent d’eux-mêmes : à l’entrée au collège, 27 % des élèves n’ont pas le niveau attendu en français, près d’un tiers en mathématiques, à peine un élève sur 2 sait lire un texte avec aisance. Nous aborderons également dans cette émission le dispositif “devoirs faits,” rendu lui aussi obligatoire et censé réduire les inégalités face aux apprentissages. Nous recevons aujourd’hui Jean-Rémi Girard, professeur de français et président du SNALC, le syndicat national des collèges et lycées, pour en discuter. Bonjour, Jean-Rémi, merci beaucoup de nous accompagner aujourd’hui dans Smart éducation pour parler de tous ces sujets, notamment cette heure de renforcement. Jean-Rémi Girard, pourquoi l’entrée en sixième est-elle aussi difficile pour certains élèves ?

 

Jean-Rémi Girard

Ce n’est pas nécessairement la transition vers la 6e qui est difficile ; en réalité, certains élèves présentent déjà un certain nombre de lacunes. Plus on progresse dans le système scolaire, plus ces lacunes deviennent problématiques. Souvent, on se penche sur ce qui se passe en fin de CM2 ou au début de la 6e, mais il est important de noter que les élèves peuvent également présenter des lacunes similaires en 5e ou à la fin du CM1. On a tendance à attribuer cette difficulté à la transition entre le CM2 et la 6e, mais cela ne semble pas être la véritable raison.

 

Eva Ben-Saadi

Quelle, selon vous, est alors l’origine du problème ? Il est vrai que l’ancien ministre a souligné un temps de rédaction en classe trop limité, c’est ce qu’il a mentionné.

 

Jean-Rémi Girard

A-t-il augmenté les horaires de français ? En effet, nous rencontrons de nombreuses difficultés à l’école primaire. Les collègues professeurs des écoles, puisque nous syndiquons également les professeurs des écoles au SNALC, nous font part de leurs préoccupations. Il devient de plus en plus difficile d’enseigner. La gestion de la classe se complique, surtout en CM1 et en CM2, où les effectifs tendent à être élevés, car l’accent a été mis sur le CP et le CE1. Cependant, après le CE1, les défis se multiplient. De plus, l’école inclusive est parfois gérée de manière insuffisante, obligeant parfois les professeurs des écoles à jongler entre les besoins spécifiques de certains élèves tout en ayant à gérer le reste de la classe, qui peut compter jusqu’à 28 élèves. En effet, au fil des réformes successives, il y a eu une tendance à réduire les horaires consacrés au français, ce qui ne facilite pas la tâche des enseignants pour aider les élèves à acquérir toutes les compétences nécessaires.

 

Eva Ben-Saadi

On va parler Jean-Rémi Girard logistique, mise en place de cette heure de renforcement. Pourquoi selon vous, y-a-t-il fallu passer par la suppression d’une matière, en l’occurrence en 6e, c’est la technologie qui sera désormais enseignée à partir de la 5e pour mettre en place cette heure de renforcement. N’aurait-on pas pu faire autre chose ?

 

Jean-Rémi Girard

On aurait pu envisager de ne pas supprimer la technologie. Selon notre point de vue au SNALC, les emplois du temps en classe de 6e ne sont pas excessivement chargés. Parfois, les élèves sont libérés le vendredi à 11h30, donc ce n’est pas non plus excessivement contraignant. En classe de 6e, il aurait été possible d’ajouter une heure de français et une heure de mathématiques supplémentaires, éventuellement en organisant des groupes à effectif réduit ou en les alternant toutes les deux semaines. Cependant, cela aurait nécessité davantage de ressources financières et humaines. D’autre part, il est important de noter que le ministère a clairement indiqué que la suppression de l’enseignement de la technologie s’explique en partie par les difficultés à recruter des professeurs de technologie. En réduisant les heures d’enseignement de la technologie, le ministère espérait pouvoir affecter davantage de professeurs de technologie aux niveaux de cinquième, quatrième et troisième. Cela suscite des préoccupations car cela revient à mettre en œuvre une réforme de gestion des ressources humaines, voire une sorte de plan social, au détriment d’une décision pédagogique. La technologie avait clairement sa place en 6e depuis longtemps, d’autant plus que notre système scolaire la prenait déjà en compte en CM1 et en CM2. Il est étrange de voir qu’une année d’enseignement a été supprimée alors que nous mettions en place la certification numérique PIX en classe de 6e, et que la technologie était probablement la matière la plus appropriée pour cela.

 

Eva Ben-Saadi

Par qui ces heures seront-elles assurées ? Qui sera responsable de cette fameuse heure hebdomadaire de renforcement ?

 

Jean-Rémi Girard

Elles seront assurées, au minimum, par des professeurs de français ou de mathématiques du collège. C’est soit l’un, soit l’autre, car plusieurs organisations différentes sont en train de se mettre en place. De plus, si des professeurs des écoles acceptent cette mission, ils pourraient également intervenir occasionnellement au collège pour fournir un soutien. En somme, la taille des groupes dépendra de la participation des professeurs des écoles au pacte. Si des professeurs des écoles signent le pacte et s’engagent à assurer ces heures, nous pourrions éventuellement diviser les groupes en classes plus restreintes. Cependant, nous avons déjà des retours indiquant qu’aucun professeur des écoles n’a encore signé le pacte dans certaines écoles.

 

Eva Ben-Saadi

Comme nous l’avons entendu, Jean-Rémi Girard, s’agit-il d’un volontariat ?

 

Jean-Rémi Girard

Pour les professeurs des écoles, cela repose sur la base du volontariat. En ce qui concerne les professeurs de collège, cela fait partie de leur temps de service et est inclus dans l’emploi du temps des élèves. Par conséquent, il a été prévu qu’un professeur de français, de mathématiques, voire parfois un professeur d’une autre discipline, puisse assurer cette heure de renforcement. Par exemple, il est possible qu’un professeur d’histoire-géographie enseigne le français, tandis qu’un professeur de technologie enseigne les mathématiques. En général, c’est un professeur de français ou de mathématiques qui est affecté à cette tâche.

 

Eva Ben-Saadi

Effectivement, comme vous l’avez suggéré dans votre réponse, pourquoi avons-nous besoin des professeurs des écoles pour assurer cette heure de renforcement ? Si nous sommes prêts à faire appel à un professeur d’histoire-géographie pour enseigner cette heure de renforcement en français, cela peut soulever des questions sur la disponibilité des professeurs des écoles volontaires. Seront-ils en nombre suffisant pour répondre à cette demande ?

 

Jean-Rémi Girard

Non, en réalité, il ne sera pas du tout possible d’obtenir suffisamment de volontaires parmi les professeurs des écoles. Dans certains collèges, nous savons déjà qu’il n’y aura pas de professeurs des écoles disponibles pour cela. Nous n’avions pas vraiment besoin de solliciter les professeurs des écoles, qui ont déjà une charge de travail considérable. Il est important de rappeler qu’ils travaillent en moyenne 43 heures par semaine, et leurs conditions de travail se détériorent fortement. En fin de compte, cela semblait être une tentative pour leur vendre le pacte aux professeurs des écoles et la mission la plus facile à organiser pour eux était de les inciter à fournir un soutien en 6e, ce qui est horrible du point de vue de la logique.

 

Eva Ben-Saadi

À ce moment-là, la question qui se pose est pourquoi cette heure de renforcement n’a-t-elle pas été prévue en CM1 ou CM2, en réalité ?

 

Jean-Rémi Girard

Oui, en effet, prévoir cette heure de renforcement en CM1 ou CM2 aurait signifié augmenter l’horaire élève, ce qui est complexe à réaliser aujourd’hui. Plus de 80% des écoles fonctionnent avec une semaine de 4 jours et 6 heures par jour. De plus, il y a déjà 2 heures d’accompagnement, connues sous le nom d’APC (Activités Pédagogiques Complémentaires) dans le jargon. Les emplois du temps des professeurs des écoles sont déjà bien chargés, et il serait très difficile d’ajouter des heures à l’école primaire sans prolonger les demi-journées.

 

Eva Ben-Saadi 

Vous disiez tout à l’heure par petits groupes et par niveau. Comment ces heures vont-elles s’organiser ? 

 

Jean-Rémi Girard

En effet, c’est très précisément stipulé dans un décret, ce qui rend cette mesure obligatoire. Cependant, il est important de noter que même si un seul professeur de français ou de mathématiques est disponible, il ne prendra pas l’ensemble de sa propre classe en charge. Le ministère exige que les élèves de plusieurs classes soient mélangés pour former ces groupes. Cette exigence vise à éviter que le professeur de français ou de mathématiques enseigne à ses propres élèves, ce qui complique davantage l’organisation du collège. Cela signifie qu’il faut intégrer plusieurs classes dans le même emploi du temps, et de plus, de nombreux créneaux horaires ont été programmés le mercredi matin pour permettre aux professeurs des écoles de participer s’ils signent le pacte. Cependant, certains ne le font pas, ce qui impose des contraintes inutiles sur l’emploi du temps, ce qui est pédagogiquement problématique.

L’obligation de mélanger les classes et les groupes, ainsi que le fait d’avoir des élèves que les enseignants ne connaissent pas bien pendant seulement une heure par semaine, et peut-être pas les mêmes élèves tout au long de l’année, compliquent la mise en œuvre de cette mesure. Il est compréhensible que les enseignants souhaiteraient avoir leurs propres élèves pour mieux les aider, ce qui semble être une solution plus simple et plus efficace sur le plan pédagogique.

 

Eva Ben-Saadi

Pour revenir sur ce que nous évoquions précédemment concernant les fondamentaux qui ne sont pas acquis à l’entrée en 6e, selon vous, sur quoi ces enseignants vont devoir insister ? Ou bien, avez-vous des informations spécifiques sur les domaines sur lesquels ils devront se concentrer, comme la dictée, la conjugaison, ou d’autres aspects précis ?

 

Jean-Rémi Girard

Il existe des directives, mais celles-ci ne sont pas nécessairement contraignantes. Par conséquent, chaque collège aura sa propre approche. Il y a en effet une directive concernant le français, notamment sur ce qu’on appelle la “Fluence,” c’est-à-dire la capacité à lire rapidement et avec précision, en augmentant le nombre de mots lus par minute. De plus, il y a la possibilité de travailler sur la grammaire et l’orthographe, des domaines dans lesquels les élèves présentent souvent des lacunes, je le dis avec mesure. Cependant, il est important de rappeler que cette heure de renforcement est limitée à une heure par semaine, et que les groupes pourraient comporter jusqu’à 28 ou 30 élèves, ce qui signifie que nous ne pouvons pas attendre de miracles de cette heure. De plus, il est possible que cette heure ne soit pas consacrée au français, mais plutôt aux mathématiques, ce qui signifie que les élèves n’auront pas de cours de français supplémentaires.

 

Eva Ben-Saadi

Vous êtes professeur de français, mais en ce qui concerne les mathématiques, quels sont les acquis, ou plutôt les fondamentaux qui ne sont pas encore maîtrisés ?

 

Jean-Rémi Girard

En mathématiques, la situation est encore plus préoccupante qu’en français, même si, en français, elle n’est déjà pas très encourageante. En particulier, les problèmes se situent dans le domaine de l’opératoire, c’est-à-dire la capacité à résoudre des opérations, à effectuer des calculs mentaux, et dans l’acquisition du raisonnement mathématique. Parfois, ces difficultés sont liées d’une matière à l’autre. En mathématiques, nous travaillons souvent sur la résolution de problèmes, et pour déterminer quelle opération appliquer, il est nécessaire de bien comprendre l’énoncé. Or, pour comprendre l’énoncé, il faut maîtriser le français.

 

Eva Ben-Saadi

Jean-Rémi Girard, ne pensez-vous pas qu’il faudrait envisager une révision plus générale du programme, son allègement, ainsi que des modifications au niveau du brevet ? Il me semble que le ministre de l’Éducation nationale avait évoqué cette possibilité lors de ses annonces à l’époque.

 

Jean-Rémi Girard

Il ne faudrait pas nécessairement alléger le programme. Les programmes de collège en français et en mathématiques ne sont pas particulièrement lourds en soi. Il pourrait être plus utile de réorganiser ces programmes par année plutôt que de les diviser en cycles de trois ans. En effet, avec les programmes actuels, il est parfois difficile de savoir ce qui a été enseigné en CM1 et en CM2 lorsque les élèves arrivent en 6e, ce qui complique la planification de l’enseignement. Nous pensons qu’un système de programmes annuels serait plus clair, car les professeurs auraient les élèves pour une année scolaire complète. Cela leur permettrait de savoir ce qu’ils sont censés enseigner pendant cette année et ce que les élèves ont déjà appris les années précédentes. Cela n’empêcherait pas, bien sûr, de travailler sur les lacunes et les difficultés identifiées, mais pour cela, des groupes à effectifs réduits obligatoires seraient probablement plus appropriés que cette heure de soutien qui semble étrange dans son fonctionnement.

 

Eva Ben-Saadi

J’ai promis que nous en parlerions en début d’émission des devoirs à la maison. L’ancien ministre de l’Éducation nationale pointait du doigt les conditions parfois difficiles dans lesquelles les élèves se retrouvent chez eux. Est-ce un constat que vous partagez, Jean-Rémi Girard ? Considérez-vous que le dispositif “Devoirs Faits” est un moyen efficace de lutter contre les inégalités à la maison ?

 

Jean-Rémi Girard

Alors oui, nous partageons complètement le constat que les conditions à la maison ne sont pas toujours optimales pour de nombreux élèves, en fonction de diverses caractéristiques familiales. C’est une réalité. Le dispositif “Devoirs Faits” n’est pas nouveau, il existe déjà, et au SNALC, nous sommes en faveur de ce dispositif, que nous trouvons plutôt efficace. La seule difficulté que nous pouvons rencontrer, c’est que nous ne pouvons pas contraindre un élève ou une famille à utiliser le dispositif “Devoirs Faits”.

Cependant, nous ne comprenons pas la solution choisie par le ministère, qui rend ce dispositif obligatoire pour tous les élèves de 6e. Il y a déjà des élèves qui n’ont pas besoin de “Devoirs Faits”, et en plus, c’est obligatoire pour les élèves, mais pas pour les enseignants, car ils doivent fournir des heures supplémentaires de manière volontaire ou en signant le fameux pacte. Ainsi, si nous n’avons pas suffisamment d’enseignants, les groupes actuels de “Devoirs Faits,” qui étaient plutôt composés de 8 à 10 élèves, pourraient soudainement se retrouver avec jusqu’à 25 élèves, ce qui transformerait cette heure en une période de surveillance plutôt qu’en une aide aux devoirs effective.

 

Eva Ben-Saadi

Merci, Jean-Rémi Girard, d’avoir répondu à toutes nos questions aujourd’hui dans Smart éducation. Je tiens à rappeler que vous êtes professeur de français et président du SNALC, le syndicat national des collèges, lycées, et aussi des écoles.

«.... nous ne comprenons pas la solution choisie par le ministère, qui rend ce dispositif obligatoire pour tous les élèves de 6e. Il y a déjà des élèves qui n'ont pas besoin de "Devoirs Faits", et en plus, c'est obligatoire pour les élèves, mais pas pour les enseignants, car ils doivent fournir des heures supplémentaires de manière volontaire ou en signant le fameux pacte...»
Jean-Rémi Girard
Président du SNALC