Nous connaissons « Les damnés de la terre », remarquablement décrits par Frantz Fanon. Aujourd’hui, sous la présidence d’Emmanuel Macron et sous le ministère de Pap Ndiaye, nous découvrons « les damnés de l’Éducation nationale » : les « accompagnants des élèves en situation de handicap », les A.E.S.H.. Des femmes et des hommes qui apportent – avec sérieux, application et patience – aide, soutien et encouragement, à des enfants, à des adolescents nés, ou devenus, différents des autres.
Dans un premier temps, ces personnels ont été dénommés : A.V.S. « Auxiliaire de Vie Scolaire », recrutés sous contrat unique d’insertion (CUI) délivré par Pôle Emploi. Depuis 2014, ils se nomment A.E.S.H., recrutés par le ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports, en CDD (de 3 ans) débouchant sur un CDI, après un premier CDD de 3 ans, à partir du 1er septembre 2023. Un besoin, en personnels, résultant de la loi « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », promulguée le 11 février 2005 (loi n°2005-102), par le président Jacques Chirac.
Noble et beau projet … En effet, la loi prévoit que : « Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté. » …
« À cette fin, l’action poursuivie vise à assurer l’accès de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité́, de travail et de vie. Elle garantit l’accompagnement et le soutien des familles et des proches des personnes handicapées. ».
Nous y sommes. L’accompagnement est garanti par « l’action poursuivie », via « la solidarité de la collectivité nationale ». Et c’est là que le « bât blesse », que ces personnels – majoritairement féminins – les A.E.S.H. deviennent « les damnés de l’Éducation nationale ». En effet, les termes utilisés pour décrire, définir et préciser leurs missions, rendent bien compte de l’importance et de la grandeur de leur tâche. Le directeur général des ressources humaines du ministère le rappelle : « Scolariser dans de bonnes conditions les élèves en situation de handicap est une des grandes causes du quinquennat (Emmanuel Macron : 2017-2022). La réalisation d’une École pleinement inclusive est à ce titre une priorité. L’École inclusive vise à assurer une scolarisation de qualité, pour tous les élèves de la maternelle au lycée, par la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs particuliers. En tant qu’AESH, vous êtes un acteur essentiel de la pleine réussite de l’École inclusive. Votre engagement au cœur de la communauté éducative et au service des élèves est décisif pour répondre durablement à la scolarisation,… des élèves en situation de handicap. Je vous souhaite un plein accomplissement professionnel et personnel dans vos missions… » (cf. Guide ministériel national des AESH, Septembre 2020). Mais il n’en va pas de même pour la rémunération des AESH, ni pour leur statut professionnel et encore moins pour leur reconnaissance.
Si les AESH sont bien reconnus comme membres « à part entière » des équipes éducatives et accueillis comme tels par les équipes pédagogiques, du moins dans les textes, leur rémunération ne traduit pas, « de manière sonnante et trébuchante », les attentes pourtant « prioritaires, décisives et essentielles » que le président et son ministre expriment avec grandiloquence.
En effet, pour les AESH, elle est calculée sur la base d’une formule, « véritable usine à gaz », distillant : l’indice de référence (indice majoré de 361, soit l’indice plancher pour les échelons 1, 2 et 3, donc 9 années au SMIC, à 435 pour l’échelon 11…), la valeur du point d’indice (4,85003 € depuis le 1er juillet 2022), la quotité travaillée (la durée annuelle du service est répartie sur 41 à 45 semaines …), et la durée annuelle du temps de travail dans la fonction publique d’État (fixée à 1607 heures). Le résultat de ce « démoniaque calcul » donne des rémunérations brutes mensuelles, pour un service annuel de 41 semaines et 24 heures d’accompagnement hebdomadaires (cas le plus fréquent) allant de 1101,82 € (niveau 1 plancher) à 1367,68 € (niveau 11 plafond). Ce qui donne des salaires nets (diminués d’environ 20 % par les cotisations et les contributions salariales) allant de 885 € à 1067 € par mois !…
À savoir : le traitement de base d’un assistant d’éducation, d’un « pion » comme disent les élèves, s’établit à 1750,86 € bruts mensuels pour un temps complet.
Autant dire qu’en matière de rémunération les AESH, pourtant acteurs clés de la loi de 2005 (cf. supra), sont loin, mais très loin, de « la part entière » qu’ils devraient légitimement recevoir de l’État, de la collectivité nationale, au regard de la mission fondamentale d’aide humaine qu’ils assument, avec passion et dévouement, auprès des élèves en situation de handicap et des enseignants qu’ils aident le plus efficacement possible.
Ce scandale, car il s’agit bien d’un traitement scandaleux d’un personnel « invisible », « corvéable » et rendu « docile » par la précarité de leur emploi, n’a pas sa place au sein de l’Éducation nationale, au sein de la Fonction publique d’État. N’a pas sa place en France. Sauf à penser qu’en matière d’éducation de nos enfants, qui représentent pourtant notre avenir, il n’est point nécessaire d’investir sur ce potentiel humain.
Qu’en matière de fonction publique, cette « fonction fondatrice » n’aurait plus de sens. Et cela d’autant plus lorsqu’il s’agit d’enfants en situation de handicap. D’enfants qui ont besoin d’être accompagnés, rassurés, aimés ; d’enseignants qui ont besoin d’être aidés, épaulés et encouragés, afin qu’ils puissent se concentrer, sereinement, sur leur mission première de transmission des connaissances et des savoirs au groupe classe.
Alors, Monsieur le Président,
alors Monsieur le Ministre,
- À quand un véritable statut des AESH ?
- À quand un véritable salaire pour les AESH ?
- À quand un réel déroulé de carrière ?
- À quand la création d’un « corps » pour le difficile métier d’AESH ?
- À quand une véritable intégration dans votre ministère de ces personnels indispensables à l’atteinte des objectifs généreux, ambitieux et humains, de la loi du 11 février 2005, Monsieur Pap Ndiaye ?…
Et surtout, après la 6ème Conférence Nationale du Handicap (CNH), qui s’est tenue le mercredi 26 avril dernier – constituant « l’acte 2 de l’École inclusive » – ne me répondez pas – comme vos annonces semblent le laisser penser – que le regroupement progressif des fonctions d’AESH et d’AED (assistants d’éducation), qui deviendraient des « Accompagnants à la Réussite Éducative » – des « ARÉ », constituerait LA réponse !… Messieurs, épargnez-moi cette bassesse …
Car cette fusion est une réponse insupportable, inadmissible et, surtout, irresponsable !…
En effet, les AESH et les AED ne sont pas interchangeables. Leurs missions et leurs métiers ne sont pas identiques.
Méconnaîtriez-vous les rôles des uns et des autres ?
Comment atteindre les dignes objectifs de la loi de 2005, en manifestant autant de mépris pour les personnels chargés de mener à bien cette réforme ?
J’attends que vous apportiez une autre réponse aux AESH – à ces femmes (majoritaires) et à ces hommes (il y en a aussi) qui se dévouent sans compter, j’ose l’écrire, pour « les plus petits d’entre nous … ».
Avec cet espoir,
Robert INTARTAGLIA
Inspecteur de l’Éducation nationale – Enseignement technique, à la retraite (depuis 2012).
Chargé pendant plus de 15 années des Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté (S.E.G.P.A.).