
À l’occasion de la rentrée scolaire, Jean-Rémi Girard, président du SNALC, dresse un constat préoccupant : lassitude des enseignants, instabilité politique, postes non pourvus, salaire en berne et réformes inabouties. Derrière les annonces budgétaires, la réalité des classes surchargées et d’un métier de plus en plus dévalorisé alimente une inquiétude profonde dans le monde éducatif.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, est l’invité de SQOOL TV le 2 septembre 2025.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Jean-Rémi Girard, président du SNALC … Nous nous sommes quittés en juillet dernier, nous étions tous les quatre et l’été est passé, comme vous le savez. Comment qualifieriez-vous, peut-être chacun d’entre vous, en tout cas peut-être… Allez, Jean-Rémi, c’est à vous qui avez la première question. Comment allez-vous qualifier cette rentrée ? Est-ce que vous la sentez sereine ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Non.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Tendue ? Préoccupante ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Je dirais lassitude. Préoccupation aussi, mais pas mal de lassitude. Bon, il y a le contexte politique qui a changé depuis qu’on s’est vus la dernière fois. Mais effectivement, c’est une rentrée qui a tendance à ressembler aux autres. Tous les postes ne sont pas pourvus, on va avoir des difficultés. La ministre a sorti 15 idées à la seconde lors de sa conférence de presse. Donc je pense qu’il y a une certaine lassitude et une certaine angoisse parce que l’Éducation nationale est en crise depuis un certain nombre d’années.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Alors de manière là, on sait bien qu’il y a un vote de confiance qui est demandé par François Bayrou la semaine prochaine et qui va peut-être amener à une autre dissolution, une énième dissolution de l’Assemblée nationale, en tout cas une deuxième pour cette période-là, ça voudrait dire un septième ou une septième ministre de l’Éducation nationale. Est-ce que c’est une possibilité ou pas ? Est-ce que vous l’avez envisagée ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
C’est une possibilité de changer de ministre de l’Éducation nationale. La dernière fois, c’est ce qui nous est arrivé, effectivement. Après, il y a la personne du ou de la ministre de l’Éducation nationale, et puis il y a la politique en réalité qui est menée. Nous, on a changé beaucoup la tête de la ministre de l’Éducation nationale. Ça ne veut pas dire que la politique a forcément beaucoup évolué.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Pas mal de réformes quand même ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, mais alors dont une partie finalement sont lancées par l’un, puis mises en œuvre par la suivante, etc. Et puis ensuite, les petits jeux, parfois politiques, on se souvient, Gabriel Attal a lancé des trucs, Élisabeth Borne a dit non, on va les ranger, etc. Donc il y a aussi des effets de, on nous lance tous dans quelque chose, et puis on se rend compte qu’un an après, il faut arrêter, il faut changer. Je pense à la réforme du lycée professionnel, où on est déjà en train de revenir partiellement dessus, alors qu’on avait dit qu’effectivement ça ne marcherait pas très bien. Le ministère s’en rend compte, comme d’habitude un peu tard.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Oui, la rentrée se fait, c’est vrai, et c’est plutôt assez bien faite, on l’a vu aujourd’hui. Le sentiment dont vous parlez, la lassitude, effectivement, le côté vraiment répétitif de ces galères, c’est le terme que prononcent souvent les Français chez nos confrères. Eh bien, on revient dans tous les milieux. On sait qu’il y a le 10 septembre un appel, l’appel « bloquons tout ». Est-ce que vous pensez que les personnels éducatifs, les syndicats de l’éducation seront également mobilisés ce jour-là ?
… Et vous, de votre côté, Jean-Rémi Girard ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Nous, au SNALC, on n’a pas encore pris de position sur le 10. On a posé en revanche un préavis de grève qui couvre l’ensemble de l’année scolaire. Comme ça, au moins les collègues sont protégés s’ils veulent se lancer sur le 10 ou s’ils veulent se lancer sur le 18. On verra, nous c’est vrai que les journées ponctuelles, surtout juste à la rentrée, on sait que ça a un succès souvent assez limité. Et puis là, on est dans cette instabilité politique qui fait aussi qu’on ne sait pas trop à qui on est en train d’adresser notre message. Mais on va se prononcer dans nos instances nationales très prochainement.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Pour bien comprendre ceux qui nous regardent, en fait, pour bien qu’ils comprennent, c’est-à-dire que quand vous dites que c’est un succès limité, vous voulez dire que la mobilisation se fait peu parce qu’il y a quand même une conscience professionnelle à se dire qu’il faut faire court et être là ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Il y a deux choses. Il y a effectivement, ça joue beaucoup sur la conscience professionnelle, on est un métier, enfin des métiers proches des élèves, il y a toujours des problématiques, des collègues qui disent « mais voilà, je ne peux pas perdre trop d’heures de cours », ce genre de choses-là. Et puis il y a aussi la répétition, une fois encore, la lassitude, c’est-à-dire qu’à un moment, accumuler les journées ponctuelles de grève et finalement ne pas avoir obtenu grand-chose au bout du bout, parce que la situation s’est quand même dégradée dans l’Éducation nationale, rémunérations, le pouvoir d’achat est quand même en baisse chaque année globalement.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Il y a une lassitude à se lancer dans des mouvements de grève !
SNALC – Jean-Rémi Girard
Il y a une lassitude à se lancer dans une grève d’ampleur et je pense qu’à un moment ça va casser assez fort en fait, parce que là, il y a cette lassitude mais mes collègues de l’UNSA d’ailleurs l’ont montré, de plus en plus de collègues souhaitent quitter le métier ou envisagent de quitter le métier. Et ça, c’est un signal qui est extrêmement inquiétant. Donc peut-être qu’ils ne se mettront pas en grève, mais peut-être qu’il y a d’autres moyens de montrer son désaccord qui auront un impact sur le système Éducation nationale.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Alors quand c’est par choix, à la limite, on peut tout à fait l’entendre, mais quand ce n’est pas par choix, mais par dépit, c’est vrai que c’est affreux et c’est après ce qui ressort des enquêtes. C’est-à-dire que se dire, à un moment, les conditions de travail sont absolument terribles. On parle du budget, puisque c’est la mobilisation du 10 septembre, en l’occurrence. Certes, il y en aura une le 18 et j’ai bien noté que vous y serez, donc je ne désespère pas de vous avoir juste après en débrief de cela. Élisabeth Borne a pris la parole. 64 milliards de budget pour l’Éducation nationale, 16 milliards de plus qu’en 2017. En 2017, je vais y arriver, se targue-t-elle. Ça veut dire que 16 milliards, on les a mis où ? Sachant qu’aujourd’hui, on fait le constat identique à celui il y a 6 mois, 1 an et 3 ans. On est vraiment dans la…
SNALC – Jean-Rémi Girard
Oui, on ne les a pas mis dans la rémunération des personnels. On ne les a pas mis pour diminuer non plus la taille des classes. Mais il faut bien voir, on peut toujours balancer des chiffres en valeur absolue. Comme ça, il y a des phénomènes d’inflation. Il y a la part des retraites également dans le budget. Mais globalement, ce qu’on constate en termes tendanciels, c’est que la part de l’Éducation nationale dans le PIB, dans le produit intérieur brut, elle diminue progressivement. On peut toujours dire qu’on a mis plus d’argent. En fait, la place de l’Éducation nationale dans l’ensemble du pays diminue en termes budgétaires parce qu’on consacre le budget à d’autres choses qu’à l’Éducation nationale. Mais effectivement, on n’a pas vu d’amélioration des conditions de travail. Dans mon lycée, les classes sont toujours entre 32 et 35. Rien n’a changé. Et on cherchait encore d’ailleurs le dernier poste en lettres. Le jour de la pré-rentrée, personne n’était encore nommé.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Les AVSH, toujours pas de plus grand nombre, ça n’a pas augmenté, on n’a pas plus d’aide ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Alors il y a un peu plus d’AESH, mais comme il y a plus d’élèves dans l’école inclusive, en fait ça ne va pas couvrir l’ensemble des besoins. On parlait des métiers où les gens partent. AESH, c’est un métier qui est très instable, avec de plus en plus de difficultés à recruter et à garder les collègues. Je rappelle quand même que les AESH sont des personnels qui sont payés sur du temps incomplet forcé. Et si elles n’ont pas un deuxième métier, je dis elles car c’est 93% de femmes, c’est en dessous du seuil de pauvreté en France. Donc on est effectivement sur des difficultés aussi, avec en plus des réformes qui globalement nous disent, il va falloir faire autre chose que les AESH pour inclure les élèves, il va falloir presque apprendre à se passer des AESH et faire de la pédagogie, de la différenciation, une fois encore à 32, la différenciation c’est très sympathique sur le papier, c’est un petit peu compliqué à mettre en place dans le réel. Donc l’école inclusive, ça reste une énorme source de souffrance pour les élèves inclus, pour les autres élèves, pour les familles, pour les enseignants, les AESH, parce qu’on l’a fait au rabais, en fait. Et on va continuer à la faire au rabais.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Lorsqu’on parle, effectivement, d’inclusion et de manque de personnel, vous l’avez dit de toute façon depuis le début, sur les conditions de travail qui sont compliquées, surtout c’est la problématique des remplacements et des professeurs qui partent, qui désertent le métier. Ces 16 milliards, encore une fois, vantés, 16 milliards de plus qu’en 2017, vantés par Élisabeth Borne, est-ce qu’une partie a servi quand même à retenir quelques-uns d’entre eux ? En disant « Non, non, non, c’est bon, on va… »
SNALC – Jean-Rémi Girard
Non, ça n’a plus servi à payer des départs, effectivement, puisqu’on a, très légèrement, mais on a eu cette expérimentation de pouvoir, comme dans le privé en fait, de pouvoir partir, pas juste démissionner, mais d’avoir la capacité avec un projet, etc., de pouvoir toucher quelque chose pour s’en aller, entre guillemets. Donc il y a eu des budgets qui sont là. On attend de savoir d’ailleurs si ça va être maintenu ou pas, puisque cette expérimentation s’arrête normalement en décembre. Je peux vous dire, en tant que président du SNALC, beaucoup de collègues cherchent ce type de moyens pour partir. Donc c’est extrêmement demandé aujourd’hui de pouvoir trouver des conditions pour s’en aller.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Et ce sont leurs droits du point de vue juridique ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Alors c’est leurs droits sauf si leur démission est refusée.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Non mais c’est très intéressant parce que justement c’est aussi le papier du Monde où on parle de refus de démission. Ça existe dans d’autres métiers ça ? Où on refuse la démission de quelqu’un ?
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Alors, il y a effectivement beaucoup, beaucoup de conditions difficiles. On a parlé des salaires, bien sûr. On parle aussi des violences. Le ministère met en place le plan « Tous unis contre les violences ». Alors déploiement de CPE et d’AED, les fouilles, les saisies d’armes, la lutte contre le harcèlement, initiative pour l’empathie, protocole santé mentale. Vous, je sais très bien ce que vous en pensez avec vos grands yeux comme ça et que vous en avez déjà parlé. Il y a Jean-Rémi Girard, mais j’aimerais bien quand même vos réactions à tous les deux. Avant qu’ils hurlent.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Les jours fériés, un petit mot quand même. Oui.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Écoutez, on va voir quel sera le destin de cette proposition de notre actuel Premier ministre. Surtout qu’on a très vite compris qu’il s’agissait de travailler les jours fériés mais sans être payé pour le travail qu’on ferait les jours fériés donc autant vous dire que la mesure a quand même un petit peu du mal à passer même si elle a l’air un peu symbolique comme ça, ça n’a pas l’air entre guillemets très grave enfin on est juste en train de demander du travail gratuit aux gens c’est quand même quelque chose de d’assez compliqué à faire passer et à faire accepter donc nous évidemment on y est très très opposés on espère que cette mesure va malencontreusement disparaître d’ici quelques semaines.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
D’autant que c’est compliqué pour le personnel éducatif mais aussi pour les parents qui sont censés travailler donc du coup on fait quoi ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
À priori, tout le monde enfin à priori l’idée de ce que j’avais compris mais parfois faut décrypter c’était qu’il n’y avait plus ces deux jours fériés n’étaient plus fériés pour personne c’est-à-dire que les enfants sont à l’école et les parents sont au travail là où ils travaillent.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Ce qui est fou c’est que c’est toujours flou. Vous êtes quand même au cœur de la centrale du réacteur et pour autant même vous pour vous c’est flou.
SNALC – Jean-Rémi Girard
Ah oui bien sûr mais comme pour tout la ministre balance : “ah il faut changer la façon de faire le contrôle continu au baccalauréat une semaine avant la rentrée enfin on est là en train de se dire mais on va peut-être se calmer on va y aller doucement on annonce pas des changements on prétend structurel alors qu’en réalité c’est une note de service qui n’a absolument aucune valeur d’ailleurs et on va pas dire et ben vous allez tous devoir vous réunir d’ici les vacances de la Toussaint pour nous refaire un joli contrôle continu qui soit moins stressant pour les élèves en mettant moins d’évaluation qui seront donc chacune plus stressante puisque elles seront plus importantes, ça n’a aucun sens.
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SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Vous avez compris que je vous attends le 18, 19, 20, 21 en tout cas juste après ces mouvements de mobilisation, il y aura aussi probablement le 10, pas au SNALC.
SNALC – Jean-Rémi Girard
En tout cas on laisse la possibilité aux collègues de le faire, ça ne veut pas dire qu’on y appelle en tant qu’organisation syndicale.
SQOOLTV – Virginie Guilhaume
Pour comprendre ce qui se passe de l’intérieur, vous savez que tous ceux qui nous suivent ont besoin de comprendre réellement ce qui se passe. Merci à vous trois d’être venus sur le plateau du Grand JT.
