Comment as-tu accédé aux vacations en maison d’arrêt ?
J’ai eu accès à ces vacations via un collègue de travail qui se libérait de ces heures parce qu’il changeait de voie professionnelle. Il allait travailler à la maison d’arrêt sur son temps libre, le mercredi après-midi.
L’accès à ce poste m’a été facilité car il faut que notre dossier soit étudié par l’administration pénitentiaire pour s’assurer que nous n’avons pas de relation gênante (proches incarcérés ou avec un lourd passé judiciaire). L’administration diligente la gendarmerie pour effectuer ces recherches et elles venaient d’être effectuées dans mon cas, étant réserviste depuis peu.
Peux-tu nous décrire ton parcours depuis ton entrée dans l’Education nationale ?
Je suis professeure d’espagnol contractuelle depuis 6 ans, je suis désormais en CDI. Sur mon temps libre, je revêts l’uniforme puisque j’ai intégré il y a deux ans, peu avant la prise de mes fonctions à la maison d’arrêt, la réserve opérationnelle de la gendarmerie. C’est l’équivalent des sapeurs-pompiers volontaires, mais pour la gendarmerie. Je peux être amenée à effectuer tous types de missions, y compris des transfèrements à la prison, des missions de police-secours ou de la verbalisation (et oui, il faut bien…) sur les routes de mon département, l’Hérault.
J’ai donc deux casquettes : celle de prof (en collège et lycée, et en prison) et celle de gendarme réserviste. La gendarmerie est en recherche de contacts avec les membres des équipes éducatives dans l’optique que les uns et les autres soient plus efficaces : en tant que prof-gendarme, je peux aider la gendarmerie car je connais le nom des jeunes qui sont parfois auteurs ou victimes d’infractions. Par ailleurs, j’ai un rôle important dans les établissements dans lesquels je travaille puisqu’en tant que profs nous ne sommes pas outillés pour réagir face à des situations qui peuvent relever du pénal.
Comment se déroule un cours en prison ?
Le public que je rencontre tous les mercredis est composé d’hommes majeurs (entre 20 et 72 ans pour le plus âgé que j’ai pu rencontrer), qui souhaitent reprendre des études ou bien qui souhaitent suivre des cours pour changer de leur cellule et du sport. Mon cours dure deux heures consécutives, mais je déclare trois heures car je dois arriver avant que les familles ne rentrent au parloir. J’ai également une contrainte de préparation car je ne connais pas le niveau des élèves ni quels vont être les élèves que j’aurai en face de moi. Il y a un grand turn-over au sein de la maison d’arrêt, car il y a trois types de détenus : ceux en mandat de dépôt, ceux qui sont sous main de justice pendant moins de deux ans ou ceux qui sont en attente d’une place dans un centre de détention pour une peine plus longue.
D’une semaine à l’autre, tout peut changer. Il y a énormément de facteurs qui modifient la fréquentation de mon cours. J’ai également une contrainte pour la préparation de mes séquences car je n’ai pas d’accès à Internet au sein de la prison et donc je dois réadapter constamment ma méthode d’enseignement. Je vais donc au plus simple et au plus efficace, j’essaie d’apporter un maximum d’activités pour pouvoir répondre aux besoins des élèves.
Je peux évaluer certains élèves (ceux qui passent le diplôme d’accès aux études universitaires, le certificat de formation générale ou un CAP) mais je ne les évalue pas tous.
Le sujet est vaste, je l’ai abordé plus en détail dans le livre que j’ai publié, en décembre 2023.
Quel est ton relationnel avec les élèves détenus ?
Tout se passe bien dans le respect mutuel des règles, tant pour eux que pour moi. C’est un vrai conditionnement de venir travailler en prison : je suis vigilante sur ma tenue, la manière dont je m’adresse à eux. Depuis mes débuts à la maison d’arrêt, je vouvoie tous mes élèves tous niveaux confondus (c’est aussi associé à mon rôle de gendarme) et il a été important pour moi de tenir un cadre très fixe, afin de ne pas me retrouver dans des situations déstabilisantes.
Que peux-tu dire à propos de ta pratique ?
Je retrouve énormément de similitudes entre la gestion de classe en prison et au collège : tous les “tests” que nous avons en tant que profs sont extrapolés en prison, encore plus quand on est une femme au beau milieu d’un groupe d’hommes adultes. Auparavant, je me serais énervée, j’aurais sanctionné, tandis qu’en prison, ces leviers-là n’existent pas vraiment : toute sanction donne lieu à de lourdes répercussions y compris dans les conditions de détention des élèves. De plus, une effusion de colère serait vue comme une perte de contrôle de mes émotions et discriminante pour le groupe. Je ne peux qu’appliquer les conseils donnés dans les facultés d’éducation tels que différer la sanction en dehors du groupe et de la classe, sinon ce serait ouvrir la fenêtre à beaucoup de railleries et de violence. Dans ce contexte, une erreur de gestion de groupe a beaucoup plus de conséquences que dans un établissement scolaire ordinaire.
Au niveau administratif, comment gères-tu tes multiples casquettes ?
Mon travail à la maison d’arrêt est soumis à une déclaration de cumul d’activités. Par contre, comme la réserve de la gendarmerie relève du volontariat, je n’ai pas besoin d’autorisation de cumul. Je préviens les chefs d’établissement à chaque prise de poste et ils reçoivent tous très bien la nouvelle : pour le moment, je n’ai jamais croisé de chef d’établissement qui voyait mes multiples casquettes comme un frein à l’exercice de mon métier, au contraire. En travaillant pour la gendarmerie, j’ai un regard un peu particulier sur des situations à risque. Aussi, nous avons avec les forces de l’ordre des valeurs communes de respect, d’éthique, de déontologie, sans oublier les valeurs républicaines ! J’ai pu être appelée pour des missions de prise en charge d’élèves à profils particuliers et/ou d’animation d’ateliers à la sensibilisation contre le harcèlement par exemple.
Si tu devais faire un bilan de ces expériences, que dirais-tu ?
Au début de mon parcours de contractuelle enseignante, un collègue avait sagement répondu à ma crainte de m’enliser dans le métier de prof, en me disant que le mouvement, chaque personnel pouvait le donner à sa manière, en réalisant des projets et en explorant les passerelles possibles. A la fin de mes études, rien ne me destinait à devenir gendarme de réserve, ni à enseigner en milieu pénitentiaire. Aujourd’hui, je suis heureuse et épanouie dans mon statut et dans l’accomplissement de toutes ces fonctions. Je crois qu’il ne faut pas oublier que nous sommes tous libres de réaliser ce qui est important pour nous. J’encourage donc tous les profs à ne pas s’enfermer dans l’institution : le propre des compétences c’est de savoir les transposer ailleurs. En tant que prof, on possède des compétences notables dans bien des domaines. Ne nous limitons pas aux murs de l’Education nationale, même si nous n’avons pas le concours et même si nous avons le sentiment d’être à moitié prof et à moitié autre chose : nous sommes pluriels, et c’est une chance !