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Expérimentation « École du futur » à Marseille : quel bilan ?

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Expérimentation « École du futur » à Marseille : quel bilan ?

Le 16 mai, le SNALC, avec les autres syndicats représentatifs, était auditionné par deux députés de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, Géraldine Bannier (députée Modem de Mayenne) et Jérôme Legavre (député LFI de Seine-Saint-Denis). Rapporteurs d’une mission d’évaluation sur la loi Blanquer, dite « école de la confiance », ils souhaitaient en effet nous entendre sur l’expérimentation en cours dans près de 70 écoles marseillaises.

« Marseille en grand », « école du futur » en bref

Annoncée par le président de la République dans le cadre du plan « Marseille en grand », en septembre 2021, l’expérimentation « école du futur » a été validée en décembre par le conseil municipal et étendue en juin 2022 jusqu’à concerner 1 élève sur 8. Quelles perspectives pour les écoles candidates et porteuses de projets innovants dans les domaines de la culture, de l’environnement, des langues, du bien-être… ? :

  • Un financement de 2,5 millions d’€ (jusqu’à 40 000 € par école) ;
  • la possibilité pour les chefs d’établissement de choisir leur équipe pédagogique ;
  • la définition du projet en concertation avec élus, parents, associations.

 

Le SNALC a d’emblée alerté sur les risques de créer des inégalités et dénoncé dans ce dispositif dérogatoire aux règles du statut, un prétexte parmi d’autres pour faire du chef d’établissement le supérieur hiérarchique de ses collègues voire le manager de sa startup école.

Près de deux ans après son lancement, l’audition a permis de faire le point sur l’expérimentation.

« Sur mesure », « cousu main »… ou « bricolo et bricolette » ?

Faire de Marseille un « laboratoire de liberté et de moyens », tel était l’objectif affiché par Emmanuel Macron. Abstraction faite de l’image du cobaye, la perspective était plutôt flatteuse. Dans la mythologie et l’imaginaire Éducation nationale, l’autonomie laissée au terrain pour coller « au plus près des besoins » convoque aussi volontiers l’univers de l’artisanat voire de la haute couture. Grâce aux moyens octroyés, les équipes peuvent enfin faire du « sur mesure », « du cousu main ». Plus glamour que de parler gros sous ou dératisation ! Les professeurs des écoles marseillais bénéficiaires du dispositif se sont-ils donc mis dans la peau de chercheurs de pointe et/ou ont-ils des paillettes dans les yeux ?

Pour être honnête, les collègues que nous avons interrogés sont partagés. Dans un contexte de disette, la plupart ont apprécié de recevoir une manne providentielle, même si le montage de la candidature, très exigeant et formel, leur a demandé beaucoup de temps et d’investissement sans aucune contrepartie financière. Certains ont apprécié de dynamiser leurs pratiques en développant des partenariats avec des institutions culturelles ou des associations sportives. Expérience positive contrebalancée par le témoignage d’écoles où l’entrée dans l’expérimentation a généré des tensions entre collègues impliqués et professeurs réticents. Le volontariat affiché ne résiste pas à la réalité du terrain…Certes, comme l’a souligné un syndicaliste-avec de tels avocats, plus besoin d’ennemis…-, les collègues opposants peuvent quitter l’école expérimentatrice. Au SNALC, ce n’est pas tout à fait la conception que nous avons de la liberté pédagogique…Et peut-on encore parler de volontariat dans cette forme de chantage où les moyens sont donnés en fonction des projets et non pas en fonction de la réalité objective ?

Tous enfin ont dénoncé la précipitation avec laquelle le dispositif a été lancé. Paradoxalement, alors que le Président répète à l’envi qu’il faut sortir de la verticalité et partir des besoins de la base (bottom-up pour les amateurs de new management), le terrain, qui n’en demandait pas tant, a dû, encore une fois, s’aligner sur une idée lumineuse émise en haut lieu. En caricaturant à peine, des chefs d’établissement ont été appelés un vendredi pour candidater le lundi. D’autres, fortement incités par leur hiérarchie pressée de répondre à la commande présidentielle, ont exhumé des projets de fonds de tiroir. Les acteurs locaux se sont cependant retroussés les manches pour ne pas dilapider l’argent public généreusement octroyé. Mais aujourd’hui, alors que des collègues sont engagés matériellement et psychologiquement et que le bricolage d’urgence commence à ressembler à quelque chose, se pose le problème de l’absence de visibilité à long terme. Une directrice nous a confié qu’elle craignait que tout retombe comme un soufflé après un an et demi à ramer. Il faut dire que la vision présidentielle est venue buter sur la réalité de terrain.

Dans le contexte de pénurie d’enseignants et de crise de recrutement, comment remplacer les collègues déchargés une journée par semaine pour le suivi du projet ? Comment poursuivre les partenariats noués lorsque les financements ne sont pas pérennes ?

Et au-delà des conditions de mise en œuvre, peut-on continuer réellement à s’impliquer quand on constate, comme une autre collègue, que dans sa classe de 28 élèves (au lieu des 24 prévus), 2 élèves en situation de handicap n’ont toujours pas d’AESH au mois de janvier ?

Feu de paille ou départ de feu ?

En effet, compte tenu de l’état des écoles marseillaises et des défis structurels actuellement posés à l’Éducation nationale, la mise en place d’une telle expérimentation témoigne d’un sens tout particulier des priorités.  Un peu comme si le maître d’œuvre d’un gros chantier aux fondations branlantes s’affairait sur la pose des fenêtres ou commandait deux éléments de déco. Il est vrai qu’un petit reportage sur une classe flexible, un laboratoire de maths ou un partenariat avec l’opéra vend plus de rêve que de s’attarder sur les toits qui tombent, les rats qui courent ou la pénurie d’enseignants et d’AESH…

Certes, le plan « Marseille en grand » annonçait aussi 1,2 milliards d’euros pour la rénovation des écoles marseillaises avec un effort de l’État à hauteur de 400 millions d’euros. N’est-il pas positif qu’une petite part de financement profite à la créativité pédagogique et faut-il jouer le rôle de l’enseignant crispé « résistant au changement » -et ça c’est très mal ?

La plupart des syndicats sont d’accord pour dénoncer le risque d’iniquité entre écoles et la déréglementation induite par la création injustifiable de « postes à exigences particulières ». Il est resté cependant un point aveugle de la discussion que seul le SNALC a soulevé. Qu’en est-il de la pertinence pédagogique de tous ces dispositifs innovants et quel impact ont-ils sur le climat scolaire, la lutte contre l’absentéisme et surtout le niveau des apprentissages ? Par ailleurs, l’entrée dans l’expérimentation a-t-elle eu une influence positive sur la mixité scolaire dans une ville où la fuite vers le privé apparaît trop souvent comme une solution à la dégradation des conditions d’enseignement dans le public ?

Sur tous ces points pourtant cruciaux, aucune évaluation n’est prévue. Craint-on de découvrir un rapport coût/bénéfice nul (au mieux) ? Redoute-t-on de constater que les parents recherchent avant tout pour leurs enfants un climat scolaire apaisé et un enseignement solide des fondamentaux ? Préfère-t-on éluder le fait que tout ce déploiement d’énergie a surtout pour objectif de promouvoir une déréglementation du système éducatif et une contractualisation sournoise des moyens ?

En l’absence de bilan réel, on ne pourra, de toute façon, pas trancher. Ce qui n’a pas empêché le Président, dans son discours aux recteurs du 25 août 2022, d’annoncer la généralisation de l’expérimentation sur tout le territoire, avec la création d’un fonds d’innovation pédagogique de 500 millions d’€ et l’élargissement aux collèges et lycées. L’expérimentation « Marseille école du futur » sera-t-elle un feu de paille ou plutôt un départ de feu-enfumage pour la généralisation d’expériences analogues ? L’avenir nous le dira. Comme le diraient les Shadoks qui semblent une source inépuisable d’inspiration pour notre ministère, « quand on ne sait pas où on va, il faut y aller le plus vite possible » !