Jean-Michel Blanquer a suggéré d’ajouter des mathématiques au tronc commun en Première et Terminale, alors qu’il avait rendu cet enseignement optionnel avec la réforme du lycée. Jean-Rémi Girard, président du SNALC, dénonce l’insuffisance du bilan éducatif du ministre.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, répond aux questions du FIGARO le 07 février 2022
FIGAROVOX.- Dimanche 6 février, le ministre de l’Éducation nationale a ouvert la voie à l’ajout des mathématiques dans le tronc commun des classes de Première et Terminale, pour que «l’ensemble des élèves» aient davantage de «culture mathématique» . Est-ce un revirement par rapport à ce que proposait la réforme du lycée ?
Jean-Rémi GIRARD. –C’est même un virage à 180 degrés. Il faut quand même rappeler que c’est le même Jean-Michel Blanquer qui prétendait, notamment avec Cédric Villani, qu’il y avait des mathématiques dans le tronc commun de sa réforme du lycée, avec la création de l’«enseignement scientifique». Il suffisait pourtant de lire le programme pour se rendre compte que c’était un mensonge. D’ailleurs, d’après les statistiques du ministère lui-même, cet enseignement est assuré à 93 % par des professeurs de physique-chimie et de SVT. Il aura quand même fallu longtemps pour que les concepteurs de la réforme donnent raison à un syndicat comme le mien, qui avait pointé du doigt ce problème dès la conception. Comme quoi, le dialogue social et l’écoute des personnels, ce n’est pas juste pour faire joli. Après, le ministre ne s’est pas tellement avancé sur les modalités : au vu du calendrier politique, il est possible qu’il laisse le dossier en plan pour l’équipe suivante.
FIGAROVOX. – Avant la réforme du lycée, 90 % des élèves suivaient un enseignement de mathématiques en Terminale. Seuls 59 % l’ont choisi l’an dernier en spécialité ou option, ont souligné dans un communiqué des associations et sociétés savantes de maths. Quelles en sont les conséquences pour ces élèves ?
Jean-Rémi GIRARD. –On a beaucoup focalisé sur la question des études scientifiques pures, alors même que le flux d’élèves n’a pas spécialement changé de ce point de vue. Avant, ce modèle d’élèves allait en série S ; maintenant, ils prennent des spécialités scientifiques (notamment mathématiques et physique-chimie, dont les programmes sont sérieux et pensés conjointement). La différence, c’est qu’ils doivent abandonner une de leurs trois spécialités en fin de première, ce qui est l’un des problèmes majeurs de cette réforme, notamment dans l’articulation avec le supérieur.
Le vrai problème — et là où la réforme a eu des conséquences dramatiques — c’est sur les autres élèves, qui suivaient auparavant un enseignement de mathématiques pour s’orienter vers les sciences sociales, l’économie… Aujourd’hui, la majorité des élèves qui prennent une spécialité SES (sciences économiques et sociales) en Première ne prennent pas d’enseignement de mathématiques avec. Avant, la série ES et une partie de la série L assuraient une formation équilibrée de ces élèves, avec un programme de mathématiques plus «pratique» et qui était très apprécié des collègues. En termes d’orientation, les élèves se ferment beaucoup de portes, et les familles n’en ont souvent pas conscience, car on leur a faussement vendu un système de libre choix, où toutes les combinaisons seraient valables. Vous pensez bien que pour des études dans le domaine de l’économie, il en va tout autrement, et que l’on privilégie évidemment les parcours avec des mathématiques.
À la clef, c’est aussi une forte ségrégation suivant le sexe qui s’est recréée. Alors que les filles constituaient près de la moitié des effectifs de S et les 2/3 de ceux de ES, elles sont en proportion nettement moins nombreuses que les garçons à faire aujourd’hui des mathématiques en terminale (50 % contre 69%).
FIGAROVOX. -D’après l’étude internationale TIMSS 2019 parue le 8 décembre 2021, les enfants en classe de CM1 arrivent derniers en mathématiques parmi les pays de l’Union européenne et de l’OCDE. Les élèves de quatrième se hissent difficilement quant à eux sur l’avant-dernière marche du classement. Comment améliorer le niveau des élèves français dans cette discipline ?
Jean-Rémi GIRARD. –C’est l’une des principales questions qui est posée à notre système éducatif. La réponse ne peut pas être univoque. Il faut déjà motiver les étudiants en mathématiques à venir dans l’Éducation nationale, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui. Les professeurs des écoles viennent très peu de cursus scientifiques, et dans les concours du second degré, la discipline mathématique est l’une de celle qui a le plus de mal à recruter. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ; on n’attrape pas non plus les scientifiques avec des salaires minables par rapport à ce que le monde de l’entreprise peut leur offrir.
Au-delà du recrutement, on peut faire le constat que l’enseignement des mathématiques est aussi passé par de nombreuses modes — dont celle de la remise en cause de l’apprentissage par cœur des tables de multiplication il n’y a pas si longtemps — et que les collègues ne savent plus trop à quel saint se vouer pour connaître la doctrine officielle qui ne nuira pas à leur carrière. La question des conditions de travail et des effectifs joue également un rôle : on sait que la France est l’un des pays avec les classes les plus chargées, et où le climat de discipline est le moins bon. Le ministre l’a d’ailleurs implicitement reconnu avec sa politique (pertinente) de classes de CP et CE1 à 12 élèves dans les établissements les plus défavorisés.
FIGAROVOX. -Plus généralement, le bilan de Jean-Michel Blanquer est-il une déception ? A-t-il manqué de cohérence pendant cinq ans ?
Jean-Rémi GIRARD. –Je crois que Jean-Michel Blanquer a au contraire été extrêmement cohérent. Il avait une idée majeure, dont il ne cesse de parler dans ses livres : l’autonomie. Il a construit l’essentiel de sa politique sur cette idée, tout en effectuant une politique de suppression de postes en collège et en lycée (près de 8000, alors que le nombre d’élèves a augmenté). À l’arrivée, les collègues se battent pour que leur discipline conserve ses heures (et ses postes !) au détriment de la discipline d’à-côté. Cela explique la catastrophe qui est en train de se produire dans les langues anciennes, par exemple. Chacun s’est transformé en publicitaire, faisant la promotion de sa matière. À ce jeu, les mathématiques partent clairement avec un handicap. Il faut arrêter de faire croire qu’un élève de 15 ans peut choisir ce qu’il veut, et que l’ensemble du système saura s’adapter à ses désirs. Il existe aussi un principe de réalité, et beaucoup d’élèves ayant abandonné les mathématiques en fin de seconde se le prennent dans la figure aujourd’hui.
Pour mon syndicat, le SNALC, il faut absolument revoir cette réforme du lycée, en conservant trois spécialités en terminale, voire en créant un certain nombre de «menus», qui proposeraient notamment des mathématiques adaptées à des parcours moins axés «sciences pures». Mais c’est un élément parmi de nombreux autres en termes de bilan. Si je devais résumer la politique éducative de ce quinquennat, je dirais qu’il y a surtout eu beaucoup de com’, mais peu d’écoute. Ou, pour reprendre l’immarcescible expression du ministre lui-même, «beaucoup de sauce, mais peu de lapin».