Changer maintenant le protocole sanitaire à l’école primaire, c’est prendre le risque d’un emballement qui pourrait conduire, à terme, à une fermeture généralisée des écoles, avertit, dans une tribune au « Monde », un collectif de médecins et d’enseignants.
Cette tribune paraît dans « Le Monde de l’éducation ». Si vous êtes abonné au Monde, vous pouvez vous inscrire à cette lettre hebdomadaire en suivant ce lien.
Tribune. Alors que le pays entre de façon fulgurante dans la cinquième vague de l’épidémie et que la menace d’un nouveau variant inquiète, le gouvernement a décidé de changer le protocole à l’école primaire. Pourtant, les derniers chiffres sur l’épidémie montrent un taux d’incidence jamais atteint chez les élèves de primaire et deux fois plus important que l’ensemble de la population, une situation inédite depuis le début de la crise sanitaire.
Or, depuis le 29 novembre, lorsqu’un élève est signalé positif dans une classe, les cas contacts ne sont plus mis à l’isolement mais testés systématiquement et immédiatement ; seuls les cas positifs sont isolés et la classe reste ouverte jusqu’à ce que trois cas positifs soient découverts en sept jours. Cette mesure est issue de la généralisation hâtive d’une expérimentation menée dans dix départements, loin d’être une réussite, et réalisée à une période de faible circulation du virus. Elle risque d’entraîner une contamination plus grande au sein des écoles, touchant les élèves comme les enseignants et s’étendant ensuite plus largement à l’ensemble de la société.
Il faut rappeler qu’un élève cas contact testé négativement le lendemain de la découverte du premier cas positif dans une classe peut s’avérer positif plus tard et contaminer entre-temps les autres élèves. L’Institut Pasteur a ainsi montré que le taux d’incubation du variant Delta est d’environ quatre jours et demi. C’est de cette situation, laissant circuler davantage le virus, que prémunissent la fermeture immédiate de la classe et le retour à l’école une semaine plus tard suite à un test négatif.
Une logique économique et sociale
Le changement de protocole sanitaire ne respecte clairement pas le principe de précaution. La dernière étude ComCor (sur les lieux de contamination) réalisée par l’Institut Pasteur montre par ailleurs qu’avoir des enfants scolarisés dans son entourage proche augmente le risque d’être contaminé de 40 % en élémentaire et de 60 % en maternelle.
Le nouveau protocole répond à une logique économique et sociale, mais il ne répond pas à la nécessaire protection sanitaire. Il prend le risque d’un emballement de la situation épidémique qui conduira à une fermeture généralisée des écoles.
Par ailleurs, depuis sa mise en place sur le terrain, la communauté éducative se heurte à de lourdes difficultés : parents d’élèves qui ne trouvent pas de créneau pour faire un test, non-réactivité des laboratoires pour faire les tests dans les écoles mais aussi incompréhension des familles et gestion au fil de l’eau des retours en classe, et, surtout, impossibilité d’assurer simultanément l’enseignement en présentiel et en distanciel pour les enseignantes et les enseignants.
Enfin, le gouvernement n’a toujours pas pris la complète mesure de la prévention dans les écoles d’une transmission virale par aérosol. Avec un variant beaucoup plus transmissible, l’aération doit être privilégiée mais la fréquence d’ouverture des fenêtres ne suffit pas : il faut équiper toutes les salles de classe de détecteurs de CO2 et de purificateurs d’air lorsque l’aération est impossible autrement. Cela passe par un plan d’investissement exceptionnel, que nous demandons depuis plus d’un an.
Il est donc plus qu’urgent de revenir à la raison et d’isoler tous les cas contacts lorsqu’un cas positif est détecté dans une classe pour maintenir, à terme, la possibilité de garder les écoles ouvertes. Sinon, le gouvernement prendrait le risque d’une fermeture anticipée et non préparée des écoles avant les vacances de fin d’année.
Jérôme Barrière, oncologue médical ; Matthieu Calafiore*, médecin généraliste, directeur du département de médecine générale de la faculté de Lille ; Nara Cladera, cosecrétaire de la fédération Sud-Education ; Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU ; Corinne Depagne*, pneumologue ; Gilbert Deray, professeur et chef du service de néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière ; Jean-Rémi Girard, président du SNALC ; Christian Lehmann*, médecin généraliste ; Jérôme Marty*, médecin généraliste, président de l’Union française pour une médecine libre ; Philippe Moreau Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences Po Paris ; Noémie Perez, pédiatre ; Michaël Rochoy*, médecin généraliste ; Anne Rolland, pédiatre ; Barbara Serrano*, consultante MdC associée à l’université Paris-Saclay ; Armelle Vautrot, psychanalyste et psychopédagogue ; Elisa Zeno, ingénieure de recherche, PhD, membre du collectif Ecole et familles oubliées ; Florian Zores*, cardiologue ; Mahmoud Zureik, professeur des universités et praticien hospitalier en épidémiologie et en santé publique.
*membres du collectif « Du côté de la science »