Retour sur l’organisation des épreuves de spécialité après un 49-3 sur la réforme des retraites, Jean-Rémi Girard explique la position du SNALC.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, répond aux questions sur SQOOL TV Le grand JT de l’éducation le 20 mars 2023.
Virginie Guilhaume
Un fidèle parmi les fidèles, Jean-Rémi Girard, bonjour, merci d’être avec nous. Vous êtes président du SNALC.
Alors, avant même de parler spécifiquement des épreuves de spécialité du bac qui ont démarré aujourd’hui et ce pour trois jours, j’aimerais juste revenir sur un petit détail, sur ce 11ème 40-3, sur la réforme des retraites adoptée ce jeudi. À l’échelle des professeurs, c’est un nouveau coup dur. Cela fait évidemment écho aux négociations qui se sont soldées par un échec avec le ministre Pap Ndiaye, et je cite un enseignant qui dénonce “une réforme des retraites brutale, injuste, inutile et injustifiée, celle-ci frappera d’abord les femmes les plus précaires et les plus fragiles”. Un mot, Jean-Rémi Girard.
Jean-Rémi Girard
C’est vrai! Cette réforme frappera d’abord les femmes les plus précaires et les plus fragiles. Or, les métiers de l’Éducation nationale sont très féminisés. Il y a aussi beaucoup de personnes qui sont très fragiles, comme les accompagnants d’élèves en situation de handicap, qui sont à 95% des femmes. On se retrouve donc avec des métiers qui sont déjà en crise et qui vont se dégrader encore plus à la fin de la carrière en se disant qu’il va falloir rester plus longtemps si on veut partir avec son taux plein ou travailler plus de trimestres si on est né dans la partie de la réforme qui est concernée par l’accélération de la loi Touraine. C’est une dégradation dans des métiers déjà dégradés, donc forcément c’est très mal pris par la profession, c’est compréhensible.
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Virginie Guilhaume
On s’intéresse aussi aux grèves qui ont eu lieu pendant les épreuves de spécialité du bac, qui ont lieu aujourd’hui, demain et après-demain. Faisons le point sur la tenue de ces épreuves. Certains syndicats opposés à la réforme des retraites et au calendrier de ces épreuves qui débutent au mois de mars étaient dans la rue aujourd’hui. Est-ce que finalement, ces épreuves ont pu se passer correctement ? Avez-vous des informations, Jean-Rémi Girard ?
Jean-Rémi Girard
Oui, les épreuves ont pu se passer et les élèves ont effectivement pu composer. Ce qui s’est passé en fait, c’est qu’un certain nombre de syndicats, dont le SNALC, avaient posé des préavis de grève larges depuis janvier jusqu’à la fin de l’année. Si des collègues souhaitaient localement faire grève – je parle de l’action légale de grève sans bloquer le lycée ici -, ils pouvaient le faire. Ce qui s’est passé, c’est que très majoritairement, les collègues n’ont pas fait grève et ont privilégié, dans une situation politique extrêmement tendue et avec le désir que les élèves passent le bac dans de bonnes conditions, le second choix. Cela ne veut pas dire que la mobilisation baisse pour autant. Il y a une journée interprofessionnelle très large jeudi et il est probable qu’elle va être très suivie, surtout au vu de ce qui s’est passé avec le 49-3 la semaine dernière.
Virginie Guilhaume
On peut imaginer le dilemme !
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Virginie Guilhaume
S’il y a une mobilisation plus forte, qu’espèrent ceux qui font grève, les syndicats, les enseignants, les surveillants et tout le personnel de l’Éducation ? Que peut-on espérer comme changement et comme éventuel dialogue avec le ministère, Jean-Rémi Girard ?
Jean-Rémi Girard
Là, on va au-delà du ministère, puisqu’on est sur un projet de réforme des retraites qui ne concerne pas seulement l’Éducation nationale, même si on en est directement impacté. La première chose que l’on demande, évidemment, c’est le retrait de ce projet de réforme. Il ne fait pas la majorité dans la population, ni dans les enquêtes d’opinion, ni visiblement à l’Assemblée nationale, puisque l’on a refusé aux députés de voter, ce qui n’est quand même pas la chose la plus démocratique qu’on puisse imaginer dans notre système.
Virginie Guilhaume
C’est pour cela que les Français sont dans la rue, a priori.
Jean-Rémi Girard
Oui, c’est pour cela que beaucoup de gens sont dans la rue et le seront jeudi.
Virginie Guilhaume
Parce qu’effectivement, on le voit, certaines personnes sont dans la rue, ne serait-ce que pour le côté, disent-ils, “non-démocratique”. Certains sont pour cette réforme.
Jean-Rémi Girard
Tout à fait ! La question n’est pas de dire – on est pour ou on est contre – cette réforme, même si on voit que chez les gens qui travaillent, ils sont quand même beaucoup moins nombreux à être pour que chez les gens qui ne travaillent plus. Il y a aussi des retraités qui nous soutiennent, y compris des retraités qui ont voté SNALC.
Virginie Guilhaume
J’aime votre cynisme, Jean-Rémi Girard.
Jean-Rémi Girard
Ce sont simplement les enquêtes d’opinion que nous avons pu consulter. Mais au-delà de cette question de la réforme des retraites, il y a effectivement ce qui s’est passé en termes de gestion du débat démocratique dans l’Éducation nationale. Et on l’a rappelé en début d’émission, il y a le fait qu’on soit dans un ministère et dans des professions en crise et je pense que tout ça forme un ensemble auquel il faut faire attention, qu’il faudrait peut-être un peu plus préserver qu’on ne le fait, car, oui, il y a un moment où ça peut vraiment exploser et ça peut vraiment très mal se passer et devenir de plus en plus imprévisible. Cette façon de gouverner, mais au-delà de la façon de gouverner, je représente juste les personnels de l’Éducation nationale et du supérieur, cette façon de maltraiter son école.
Virginie Guilhaume
Alors, j’ai poussé un peu plus loin, c’est-à-dire que dans ce cas-là, quand vous me dites cela, Jean-Rémi Girard, puisqu’on a vu adopter un 11e 49-3, si vous dites “cela peut exploser, on est au bord de la crise”, qu’est-ce qu’on peut imaginer de pire comme situation demain, c’est-à-dire jeudi lorsque vous allez manifester, vendredi, et les semaines qui vont suivre ?
Jean-Rémi Girard
De notre part, probablement pas. Les enseignants ne sont pas connus pour être les plus violents lors des manifestations, mais effectivement, on sait que ce genre de situation en France peut dégénérer chez les étudiants et même chez les lycéens parfois. Dans ce cas-là, cela devient très vite très incontrôlable. Donc, à un moment, on a des syndicats qui, je crois, font preuve de raison. Si la journée a été posée jeudi et pas mardi, ce n’est probablement pas pour rien. C’est aussi qu’il y avait cette idée des épreuves du baccalauréat dans la tête de l’interprofessionnelle. De l’autre côté, on a un gouvernement qui a accéléré le calendrier, fait un 49-3 juste avant les épreuves du bac. À un moment, ceux qui jouent avec le feu sont plutôt du côté gouvernemental que du côté syndical.
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Virginie Guilhaume
On va détailler tous les points que vous venez d’évoquer et qui sont très intéressants. Le premier point, effectivement, concerne les élèves. Des épreuves coefficient 16, ce n’est pas rien, je le rappelle. Avec la réforme Blanquer, et maintenant Ndiaye, c’est en fait 3 spécialités en première, puis 2 en terminale. Il y avait les épreuves du bac à passer, donc 2 spécialités. Cela veut dire qu’on doit avoir fini un programme. Donc, effectivement, comme vous le disiez, un programme très dense, très tôt dans l’année. J’ai lu plein de témoignages de professeurs sur Internet qui disaient : “Je n’ai même pas eu le temps, ou j’ai à peine fini le programme de Physique-Chimie, d’histoire, ou autre la semaine dernière, les élèves passent les spécialités aujourd’hui.” Est-ce qu’on peut dire que les profs ont vraiment peiné à boucler le programme, Jean-Rémi Girard ?
Jean-Rémi Girard
Oui, les professeurs ont peiné à boucler leurs programmes. C’est plus vrai, je dirais, dans certaines spécialités que dans d’autres.
Virginie Guilhaume
Lesquelles ?
Jean-Rémi Girard
La physique-chimie, par exemple, très clairement. Les collègues de Physique-chimie n’en peuvent plus. Ce n’est pas la seule, mais en SES, en histoire-géographie, c’est aussi compliqué. Mais en physique-chimie, par exemple, c’est très net. On a eu énormément de remontées de professeurs de physique-chimie. Ce n’est pas tout le programme qu’il faut boucler en mars, en fait, puisqu’il y a encore ensuite l’année scolaire qui continue.
Virginie Guilhaume
Alors justement, on va en parler.
Jean-Rémi Girard
C’est un programme, c’est un morceau du programme spécifique pour les épreuves, mais ce morceau lui-même est probablement trop gros par rapport au temps que l’on a réellement. D’autant plus qu’en fait, tout le travail de méthode que l’on étalait jusqu’en juin va maintenant, on est obligé de le ramasser jusqu’à début mars. Donc, en fait, on est obligé de faire plus de méthodes sur le début de l’année scolaire, et on ne peut pas en même temps faire de la méthode et avancer le programme aussi bien qu’on le souhaiterait. Donc on doit faire des choix en tant qu’enseignant.
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Virginie Guilhaume
Face à cette situation, le ministre Pap Ndiaye a annoncé l’organisation de 2 jours de révision supplémentaires durant le week-end. Alors évidemment, la question que je me pose, peut-être un peu naïve, mais pourquoi tout se fait dans l’improvisation ? On le savait l’année dernière.
Jean-Rémi Girard
Tout à fait et d’ailleurs, quand on a fait les épreuves l’an dernier au mois de mai à cause des restes de la pandémie, cela avait été beaucoup plus compliqué. On avait annoncé les jours de révision beaucoup plus tôt dans l’année, alors même qu’on était beaucoup plus dans une gestion de l’urgence. Là, on aurait pu les annoncer à la rentrée scolaire de septembre. Il ne fallait pas être devin pour se dire que les élèves, avant le bac, aiment bien réviser. Ce n’est pas une surprise.
Virginie Guilhaume
Alors, pourquoi cela se passe-t-il ainsi ?
Jean-Rémi Girard
Parce que rien n’a été prévu, absolument rien. Le ministère s’est rendu compte au dernier moment en discutant avec les lycéens qu’il aurait peut-être fallu les écouter un peu plus tôt. Les élèves souhaitent avoir du temps pour réviser avant de passer leurs épreuves de bac. Quand nous étions dans l’ancien système du bac, cela ne posait pas de problème, puisque les cours se terminaient suffisamment tôt en juin pour qu’il y ait une période de révision avant les épreuves. Il n’y avait pas de jours spécifiques organisés, il y avait cette période de révision et les établissements accueillaient les élèves selon diverses modalités. Aujourd’hui, nous sommes en plein dans les cours !
Virginie Guilhaume
Je vais poser une question assez large, mais cela nous permettra de clore le débat là-dessus. Finalement, c’est un stress général pour les spécialités du bac que nous passons au mois de mars sans avoir fini le programme. Deuxièmement, psychologiquement, c’est difficile, c’est le bac quand même, ce n’est pas rien, c’est une épreuve, même si pour certains cela reste une simple épreuve de plus dans la vie. Mais enfin, c’est quand même la première grande épreuve après celle du brevet. Deuxièmement, c’est vrai que là, nous nous retrouvons dans une situation où il y a donc 2 matières de spécialité qui représentent en gros, si je calcule bien, 32% de la note globale du bac. En plus de cela, il y a ce mois de juin qui arrive pour les professeurs dont nous ne savons pas très bien ce que nous allons faire. Je dis mois de juin, mais en fait, ce n’est pas seulement le mois de juin, car il y a 2 autres épreuves à venir avant la fin. Donc, qu’allons-nous faire des 3 mois restants, Jean-Rémi Girard ?
Jean-Rémi Girard
Alors, d’après le ministère, on est censé continuer les programmes tout en les préparant pour le supérieur, mais en faisant différemment. Mais à un moment donné, il y a un programme, des éléments du programme qui sont parfois indispensables pour les études supérieures, pensez à la physique-chimie. Beaucoup de collègues nous ont signalé que l’essentiel des notions utiles pour aller en médecine n’ont pas encore été traitées et le seront entre mars et juin. Je ne suis pas très rassuré, nous sommes censés continuer les programmes avec des élèves qui vont probablement être assez démobilisés, car ils ont passé l’essentiel de leur bac, certains peuvent déjà savoir s’ils l’ont ou pas.
Virginie Guilhaume
À quelle date auront-ils les résultats des épreuves de spécialité ?
Jean-Rémi Girard
Les élèves ne sont pas censés les avoir avant la fin de l’année. Nous verrons si cela est respecté, sachant que les notes sont remontées dans les dossiers Parcoursup. À mon avis, cela peut circuler assez rapidement.
Virginie Guilhaume
Apparemment, ce sera le 12 avril.
Jean-Rémi Girard
Au départ, on nous avait dit qu’elles ne seraient pas connues pour inciter les élèves à continuer de travailler.
Virginie Guilhaume
Donc, il reste la philo et le grand oral. On peut se dire aussi que c’est une période qui va permettre, une fois que les épreuves de spécialités sont passées, de finalement pouvoir réviser ce fameux grand oral.
Jean-Rémi Girard
Mais enfin, il y a d’autres choses à faire. Déjà, il y a une fois encore le grand oral, qui pour chaque élève porte sur un sujet personnel qui n’est pas forcément en lien avec la partie du programme qui reste à traiter jusqu’à la fin de l’année scolaire. Il y a même de fortes chances qu’il ne soit pas en lien avec cette partie-là et qu’un élève un peu intelligent se soit dit de prendre plutôt un sujet sur lequel il a bien réussi pour les écrits, plutôt que de prendre un sujet sur des notions qu’il va traiter en mai. Il y a également d’autres disciplines, on ne fait pas que des spécialités en terminale. Il y a un point qu’on n’a pas évoqué qui me paraît important, parce que là, on parle évidemment des élèves de terminale, tout cela a un impact sur les élèves de 2nde et de première. En ce moment, où les épreuves de maths ou d’autres spécialités sont en train d’être passées, les élèves de 2nde et de première n’ont pas cours. On n’a pas reconquis le mois de juin, on est en train de perdre des journées en mars et en avril.
Virginie Guilhaume
Un prof de français qui s’appelle David Blanchard a remonté que 500 heures de cours ont été annulées pour 35 classes, témoignant effectivement sur un article. Entre les enseignants qui vont corriger les copies et les secondes et les premières qui restent chez eux les jours d’épreuves, effectivement, ça correspond à 500 heures de cours annulées.
Virginie Guilhaume
Onze fois le 49-3, on ne sait pas ce qui peut se passer la semaine et les semaines qui suivent. À priori, on ne peut pas faire plus.
Jean-Rémi Girard
À priori, on ne peut pas faire plus pour cette session parlementaire. Reste qu’un quinquennat dure 5 ans.
Virginie Guilhaume
Merci beaucoup Jean-Rémi Girard, président du SNALC, d’avoir été avec nous.