À l’occasion de la sortie du film L’école est à nous, Ophélie Meunier anime un débat sur ce que pourrait-être l’école.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, répond aux questions sur RTL le 8 octobre 2022
Ophélie Meunier
Réaction de notre prof de lettre invité aujourd’hui pour le journal inattendu spécial école. Forcément, quand vous entendez ça, ça vous fait réagir. [Reportage sur la fermeture d’un établissement scolaire]
Jean-Rémi Girard
Oui, c’est de toute façon inadmissible, mais je crois que ça montre l’état de ce qu’on appelle dans le jargon le bâti scolaire ; que ce soit dans les écoles primaires, les collèges et un certain nombre de lycées, il est très détérioré en France ! C’est à la charge des collectivités locales, des mairies, des départements et des régions. On l’a vu à Marseille récemment dans l’actualité, mais pas uniquement, le bâti scolaire en France est souvent vieillissant et se dégrade. Je ne suis malheureusement pas surpris que ce genre de choses puisse encore arriver.
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Ophélie Meunier
Jean-Rémi Girard, vous pourriez arriver demain matin en cours et dire à vos élèves : bon, aujourd’hui, vous faites tout ce que vous voulez, absolument tout ce que vous voulez.
Jean-Rémi Girard
Je ne pourrais pas parce que demain, c’est dimanche, mais après-demain, où je vais être devant mes élèves effectivement lundi matin, je pourrais le faire parce que j’ai une liberté pédagogique en soi qui m’est garantie par la loi. Est-ce que je le ferais ? Non. Je ne le ferais pas parce que j’ai aussi un programme, j’ai aussi des obligations qui s’imposent à moi en tant que fonctionnaire. J’essaie de les mener au mieux dans des conditions qui ne sont pas toujours les plus simples. Mais non, effectivement, lundi, on fera ce qu’on a prévu, c’est à dire qu’on récitera du Cicéron et on travaillera sur la parole et l’art oratoire.
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Ophélie Meunier
Avez-vous l’impression parfois d’enseigner aux élèves des choses qui n’ont plus vraiment lieu d’être mais vous n’avez pas le choix de le faire ?
Jean-Rémi Girard
Non, absolument pas. En fait je suis désolé, c’est un peu le contraire là de ce qui vient d’être dit, c’est que les programmes évoluent de plus en plus. On les change de plus en plus souvent et de plus en plus fréquemment, c’est extrêmement pénible en termes professionnels parce qu’on se retrouve avec des programmes qui changent parfois maintenant tous les 10 ans. On est d’accord sur le fait qu’il y a des grandes lignes, il y a des invariants qu’il faut garder d’autant je pense que les programmes doivent aussi avoir un certain degré de précision, sans aller effectivement dans la contrainte. Et justement, moi, je serais très embêté avec un programme qui m’imposerait de faire de la pédagogie de projet parce que, pour moi, un programme ce n’est pas m’imposer une pédagogie. Un programme, c’est me montrer ce que je dois enseigner et à moi de choisir comment je l’enseigne. Et ça, c’est très important que les enseignants qui ne sont pas tous pareils – et c’est très bien comme ça – puissent justement choisir comment enseigner dans leur classe. Parfois, on a 2 classes différentes et on ne va pas faire la même chose. Mais à un moment, il faut quand même du commun, on est dans un pays avec des examens nationaux comme tous les pays du monde. A un moment, il y a besoin de commun parce qu’on risque sinon de ne pas enseigner la même chose à tel endroit et à tel autre endroit, et d’amplifier quelque chose qui est déjà terrible en France, à savoir les inégalités sociales et scolaires.
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Ophélie Meunier
La réalité dans le système public est malheureusement que ça peut pas toujours être le cas. Vous me disiez tout à l’heure deux profs pour huit élèves, malheureusement ce n’est pas possible !
Jean-Rémi Girard
D’ailleurs je crois qu’un ou une élève l’a très bien dit dans le reportage. Ce n’est pas un pauvre prof pour 35 élèves. Moi je suis dans un lycée, et c’est un pauvre prof pour 35 élèves. Nos classes de série technologique – ce qu’on appelle les STMG, certains connaissent bien – sont à 35. L’accompagnement individuel, j’en faisais quand je suis arrivé dans mon lycée, il y a 4 ans 5 ans. On faisait de l’accompagnement individuel, puis il y a eu des diminutions d’heures, il n’y a plus eu d’accompagnement individualisé dans mon lycée. Donc on fait ce qu’on peut et c’est bien que ces structures existent pour les élèves qui sont en décrochage, c’est bien qu’il puisse exister des solutions. Il y a en fait très peu de micro lycées dans le système éducatif et j’ai envie de dire que, si on ne faisait que des micro lycées, je crois que le budget de l’Éducation nationale s’en ressentirait à la hausse très fortement.
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Ophélie Meunier
Les mathématiques jouent un rôle prépondérant sur le marché du travail et de la croissance. Les mathématiques sont importantes, il faut le rappeler même pour vous professeur de lettres.
Jean-Rémi Girard
C’est une réalité de notre système éducatif et au-delà, professionnel, depuis assez longtemps. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on dit assez souvent que la sélection dans le système se fait par les maths. C’est pour ça que l’ancienne série S, l’ancienne série scientifique, tout le monde voulait absolument y aller. Oui, la question des mathématiques, elle est aujourd’hui centrale. On pourrait presque dire que c’est un peu dommage qu’elle soit aussi centrale et qu’on ne s’intéresse pas à toutes les autres disciplines qui existent dans le système scolaire. De ce point de vue là, on est dans un lycée qui vient d’être réformé, où on a diminué très sensiblement les horaires de mathématiques, notamment chez les jeunes filles qui font beaucoup moins de maths qu’elles n’en faisaient il y a 10 ans. C’est un vrai souci.
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Ophélie Meunier
Quel est votre rapport aux notes Jean-Rémi Girard ?
Jean-Rémi Girard
La note en soi, c’est un objet qui ne pose pas de problème en lui-même, c’est ce qu’on en fait ensuite qui va poser un problème. D’ailleurs, on a des systèmes alternatifs aux notes à l’école primaire. Aujourd’hui, l’Éducation nationale ne vous demande plus de mettre des notes, on doit faire des évaluations par compétence. C’est obligatoire, ça ne change strictement rien. Ils comparent les points rouges, les points verts et les points jaunes, et ils en font des sommes et des moyennes. D’ailleurs, ils arrivent à faire des “moyennes de compétences”, c’est fabuleux ce que peuvent faire les élèves ! Comme quoi, parfois, en mathématiques, il y a effectivement du travail. Mais la note toute seule, on est d’accord, ça n’a pas un intérêt fabuleux. Les notes sont généralement accompagnées de commentaires, de conseils, pour progresser. Lors des conseils de classe, on fait ce qu’on peut, je suis dans un lycée où jusqu’à très récemment, chaque élève assistait à l’évaluation et aux discussions sur sa situation.
On a arrêté de le faire tout le temps parce que ça prend un temps fou et nos chefs d’établissement n’en peuvent plus vu qu’on a 30 conseils de classe par trimestre.
Je crois qu’il faut se rendre compte que si on pense que c’est la note le problème, on passe à côté de l’essentiel en fait. On trouvera toujours des moyens de se positionner, de se classer les uns par rapport aux autres, avec ou sans notes.
La note, elle est même souvent demandée par les familles ; il y a une pression sur la note qui ne vient pas du tout des enseignants, qui vient aussi beaucoup de l’extérieur. Pour les bulletins de compétences, la plupart des familles viennent nous voir ensuite en disant : mais je n’y comprends rien ! Effectivement, c’est incompréhensible ce truc. La note, elle a une forme de clarté. Elle n’est pas parfaite, il ne faut pas là déifier, mais je ne crois pas qu’elle pose un problème majeur, en réalité.
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Ophélie Meunier
Il faut rééduquer les parents à ce qu’ils aient moins la pression envers leurs enfants, c’est ça l’idée.
Jean-Rémi Girard
Ce ne serait pas une mauvaise idée. Pour vous donner une autre enquête du ministère aujourd’hui, un professeur en école primaire a en moyenne plus d’incidents avec les familles qu’avec les élèves. Pour beaucoup de collègues – de ce qu’on entend et particulièrement moi qui suis représentant syndical – c’est qu’avec seulement les élèves, globalement ça se passerait probablement pas si mal que ça. Le problème est souvent tout ce qu’il y a autour, c’est-à-dire certains parents, parce qu’il ne s’agit pas de les mettre tous dans le même panier non plus, certaines injonctions hiérarchiques, la réunionite aussi à l’Éducation nationale, tous ces à-côtés de l’enseignement qui sont très pénibles aujourd’hui.
Ophélie Meunier
Jean-Rémi Girard, je vous laisse compléter cette phrase, mon école idéale à moi serait, vous le prof de lettres ?
Jean-Rémi Girard
Ce serait une école où les personnels sont bien payés, où les classes sont moins chargées, qui accessoirement est jolie et où je ne fais pas cours dans un préfabriqué.