Souvenez-vous. Le 21 avril 2022, lors de son débat face à son adversaire du second tour de l’élection présidentielle, le président Emmanuel Macron, candidat à sa propre succession, annonçait une « revalorisation inconditionnelle d’environ 10% » de tous les enseignants.
Quelque temps plus tard, nous apprenions par le ministère de l’Education nationale, de toute évidence fort gêné par cette annonce, que cette revalorisation de 10% était rétroactive : elle incluait la prime d’attractivité dite « Grenelle » – qui ne concernait au mieux que les neuf premiers échelons de la classe normale et était identique quel que soit le corps.
Qu’en est-il deux ans et demi après cette annonce ? Les professeurs agrégés perçoivent-ils une rémunération plus élevée de 10% par rapport au jour du débat présidentiel ? Ou encore par rapport au premier mandat d’Emmanuel Macron, si l’on tâche d’inclure l’ensemble des mesures salariales prises à l’égard des enseignants et des fonctionnaires en général ?
Et quid de l’inflation, et donc du pouvoir d’achat, sur ces mêmes périodes ?
Du 1/05/2022 à nos jours
Recensons tout d’abord les dernières revalorisations qui ont pu concerner les professeurs agrégés, en remontant dans le temps :
- 01/01/2024 : La dernière revalorisation, mesure touchant toute la fonction publique, date déjà du début de l’année. 5 points d’indice sont ajoutés à tous les échelons soit, pour les agrégés, une augmentation allant de 0.47% pour le dernier échelon (HEB3) à 1,10% pour l’échelon 1 de la classe normale.
- 01/09/2023 : La part fixe de l’ISOE annuelle passe de 1256€ à 2550€ par an soit une hausse de 103%. Cette augmentation d’une valeur constante a pour conséquence de revaloriser les salaires entre 1,97% pour le dernier échelon (HEB3) et 4,14% pour l’échelon 1 de la classe normale. La prime « Grenelle » est revalorisée une troisième (et ultime) fois pour les échelons 2 à 7, et instaurée à l’échelon 1, dans l’objectif affiché qu’aucun enseignant ne perçoive moins de 2000€ nets par mois (objectif qui n’est pas atteint à l’échelon 1 des certifiés, même en brut).
L’augmentation des salaires des collègues débutants était indispensable. Pourtant, après 6 années d’étude, ces derniers débutent encore avec un salaire brut d’environ 27% de plus que le SMIC. Et en fin de compte, seuls les professeurs agrégés jusqu’au 6e échelon de la classe normale ont obtenu une augmentation de leurs revenus bruts supérieure aux 10% promis par le candidat président. Pire, l’inflation a en fait atteint ce même pourcentage sur la période, entraînant une perte de pouvoir d’achat pour les agrégés à partir du 8e échelon.
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Pour les professeurs agrégés à la hors classe, l’inflation est systématiquement supérieure aux augmentations des revenus. En un peu plus de 2 ans, ils ont subi entre 2 et 3% de perte du pouvoir d’achat, les revalorisations uniformes ayant évidemment eu un impact moindre à ce grade.
C’est donc logiquement pire pour les professeurs agrégés ayant atteint le grade de la classe exceptionnelle.
Le délaissement des grades supérieurs entraine une augmentation des revenus bruts située entre 7,5% et 8,7% pour une inflation d’environ 10,7% sur la même période. Ce qui veut dire que même si la promesse des 10% en moyenne pour tous avait été respectée, elle aurait été insuffisante pour maintenir le pouvoir d’achat.
Du 1/01/2019 à nos jours
Mais remontons plus loin dans le temps, puisqu’il s’agissait d’inclure l’ensemble des mesures prises dès le premier mandat du président à l’égard des fonctionnaires en général, et des enseignants en particulier pour estimer la concrétisation de la promesse de revalorisation de 10% pour tous les enseignants.
- 01/07/2022 : Le point d’indice est revalorisé de 3,5 % pour tous les agents publics, soit une augmentation identique des traitements bruts.
- 01/02/2022 : La deuxième tranche du « Grenelle » est appliquée.
- 01/05/2021 : Mise en œuvre de la prime d’attractivité, dite « Grenelle ».
- 01/01/2020 : Augmentation de quelques points des indices majorés des échelons de la classe normale et des indices majorés équivalents de la hors classe.
Reprenons nos graphiques, en commençant par la classe normale des professeurs agrégés.
Prime « Grenelle » au 1er mai 2021 | ||
Échelon | Montant annuel brut | Montant mensuel brut |
CN 1 | 0,00 € | 0,00 € |
CN 2 | 1 400,00 € | 116,67 € |
CN 3 | 1 250,00 € | 104,17 € |
CN 4 | 900,00 € | 75,00 € |
CN 5 | 700,00 € | 58,33 € |
CN 6 | 500,00 € | 41,67 € |
CN 7 | 500,00 € | 41,67 € |
CN 8 | 0,00 € | 0,00 € |
CN 9 | 0,00 € | 0,00 € |
On constate enfin que les échelons de 1 à 6 de la classe normale ont obtenu une augmentation supérieure non seulement aux 10% promis, mais aussi à l’inflation. L’augmentation des rémunérations perçues aux échelons 7 et 8 reste supérieure à 10% mais elle est inférieure à l’inflation. Pour les échelons 10 et 11, ce n’est ni l’un, ni l’autre.
Pour quelle raison ? Parce que notre ministère, avec sa conception très particulière de l’ « attractivité » d’un métier, a inventé une prime inversement proportionnelle à l’expérience acquise dans celui d’enseignant.
Ainsi, à partir de l’échelon 10 et jusqu’à la fin de leur carrière, le travail et l’investissement des titulaires ne sont pas reconnus.
Pour les collègues au grade de la hors classe, le constat est évidemment affligeant : aucun échelon n’a obtenu les 10% d’augmentation promis et le décrochage est net par rapport à l’inflation, de 7 à 9%.
Les courbes de la classe exceptionnelle parlent d’elles-mêmes.
La classe exceptionnelle est ainsi un double mirage. Non seulement elle est difficile à obtenir, mais elle représente, avec ses deux chevrons supplémentaires HEB2 et HEB3, une augmentation limitée par rapport à la hors classe, et constitue de fait un déclassement par rapport à la situation antérieure à son instauration. En effet, avant le PPCR, la grille des professeurs agrégés était parallèle à celle des colonels, qui va actuellement jusqu’à l’échelon HEB3 bis (indice 1129, soit 5,3% de plus que la HEB3, c’est-à-dire 280€ bruts mensuels).
Quid des 10% d’augmentation moyenne, donc ?
Il faut examiner l’évolution des rémunérations des professeurs agrégés sur six années pour constater une augmentation de 10%. Mais elle ne concerne que les débuts et milieux de carrière, et est déjà absorbée par l’inflation pour ces derniers. Décidément, que ce soit la « revalorisation historique » de Jean-Michel Blanquer ou les « 10% d’augmentation moyenne pour tous les enseignants » d’Emmanuel Macron, les promesses ont de piètres effets.
Et maintenant ?
Voilà plus d’un an maintenant qu’il n’est plus question de revaloriser les enseignants. Le sujet semble avoir été enterré, y compris par les médias, alors que la crise d’attractivité est plus forte que jamais.
Le manque de considération que les responsables politiques manifestent depuis longtemps pour les enseignants a entrainé un déclassement constant par rapport au SMIC, particulièrement visible chez les agrégés.
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Pour l’heure, il semble que la piste du gel du barème de l’impôt sur le revenu ait été écartée : celui-ci resterait indexé sur l’inflation, ce qui permet d’en réduire l’impact et de récupérer une partie du pouvoir d’achat perdu.
En revanche, comme on pouvait s’y attendre, on ne pourra pas compter sur la Garantie Individuelle du Pouvoir d’Achat. À l’heure où la dette du pays est devenue le sujet politique principal, on pouvait douter raisonnablement de sa reconduction : sa suppression a effectivement été confirmée il y a quelques jours par le Ministère de la fonction publique. Depuis 2008, la GIPA, reconduite chaque année, compensait en partie la perte du pouvoir d’achat due à l’inflation – pouvoir d’achat par ailleurs fortement plombé par le gel parallèle quasi permanent du point d’indice depuis 2010… Si elle avait été reconduite avec les mêmes règles, la GIPA24 (mesurée sur la période du 31/12/2019 au 31/12/2023) aurait dû être perçue par presque tous les professeurs agrégés, puisque avec une inflation estimée sur cette période à un peu plus de 12%, un changement d’échelon ne devrait pas suffire à combler la perte de pouvoir d’achat.
En fin de compte, loin d’une revalorisation de 10%, c’est donc bel et bien une baisse de leur pouvoir d’achat que les professeurs agrégés ont subie depuis cette déclaration.