Une suppression des épreuves communes mises en place l’an passé, une volonté de privilégier le contrôle continu malgré les divergences d’établissements, le baccalauréat 2021 est une source de controverses indémontables.
La réforme Blanquer, dont l’édition 2021 est issue, apparaît en évolution constante, dont la dernière modification concerne la place donnée au contrôle continu dans l’obtention du diplôme.
Si certains critiquent une part trop importante, donnant un poids trop important aux établissements, le ministre de l’Éducation insiste pour sa part sur 40% de contrôle continu à partir de l’année prochaine.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, et professeur de lettres au lycée Renoir d’Asnières-sur-Seine, répond aux questions de Claire Servajean sur France Inter dans l’émission Le téléphone sonne, du 9 juillet 2021.
France Inter : Bonjour Jean-Rémi GIRARD. Je voudrais avoir une première réaction suite à l’intervention de notre auditrice Marie-Laure, qui s’inquiète de la suite en études supérieures pour ses enfants qui viennent d’avoir le bac cette année et l’an dernier.
Jean-Rémi GIRARD : L’important, c’est en effet ce qui va se passer après le bac, que le bac soit covid ou pas. Il y avait déjà de très gros taux de réussite au bac avant le covid. Là, ils sont encore plus importants. Il faut bien voir que le bac, c’est beaucoup moins un point d’arrivée comme cela l’était à la 2e moitié du 20e siècle. C’est de plus en plus un point de passage. La vraie sélection, sauf pour quelques bacs professionnels, se fait dans l’enseignement supérieur, où il y a malheureusement un très fort taux d’échec en première année de licence. L’augmentation du taux de réussite au bac est directement liée à l’augmentation du contrôle continu. C’est vrai pour tous les diplômes, y compris le brevet.
France Inter : Et comment peut-on l’expliquer ?
JRG : Vous l’avez bien dit dans votre intro. Dans le contrôle continu, on connaît l’examinateur. L’épreuve n’est plus anonyme. Quand une épreuve est anonyme, elle l’est pour l’élève mais elle l’est aussi pour le correcteur, pour l’examinateur. Là, c’est votre professeur de l’année qui va fixer votre note au bac. Et c’est très compliqué parce que tous les professeurs et tous les lycées ne notent pas exactement de la même manière. C’est utopique de croire qu’on va harmoniser ça. On risque d’être pris à partie par les élèves évidemment, par certains parents — parce que c’est normal que les parents aient envie que leurs enfants aient le bac, et ça peut tendre les relations — et aussi par notre hiérarchie. Si des collègues sont à 9 de moyenne alors que d’autres sont à 13, celle-ci ira voir les collègues qui sont à 9 pour leur dire qu’il serait bien de remonter un peu les notes.
France Inter : Ça veut dire qu’avec le contrôle continu, vous aurez tendance à mieux noter vos élèves ?
JRG : Bien entendu, ça a toujours fonctionné comme ça. À un moment, on lâche parce que la pression devient importante. Et c’est pour ça d’ailleurs que cette augmentation du contrôle continu est rejetée par la majorité les organisations syndicales représentatives du ministère. La majorité des enseignants ne veut pas de cette augmentation du contrôle continu, que ce soit clair.
France Inter : Vous, Jean-Rémi Girard, vous représentez le SNALC, opposé à cette réforme. Mais Catherine Nave-Bekhti représente le Sgen CFDT, plutôt favorable à cette réforme.
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Témoignage de Bernard, Aix-en-Provence, prof. Le niveau des attendus au bac B ne baisse pas, et les questions sont ambitieuses. En revanche, la notation par tout une série de pressions, y compris venant de nous-mêmes, tend à l’indulgence. Beaucoup d’établissements supérieurs sélectionnent les candidats non pas sur leur dossier mais sur le lycée d’où ils viennent.
France Inter : Jean-Rémi Girard, pouvez-vous réagir sur la question de notre dernier auditeur, sur les conséquences de l’orientation ?
JRG : C’est un point très important, Pierre Mathiot l’a rappelé. Il y a le système d’orientation et d’affectation (qui a varié, aujourd’hui, c’est Parcoursup). Et il y a le bac. Ce sont deux choses très différentes. On peut appuyer le système d’orientation davantage sur le bac. Par exemple, on a les notes du bac français. On a essayé avec cette réforme du bac d’avoir les notes des spécialités des élèves en terminale : cela oblige les élèves à passer leur spécialité à la mi-mars, ce qui est une aberration pédagogique totale. Ce que l’on gagne d’un côté, on le perd fortement de l’autre. M. Mathiot le dit, ça fait depuis très longtemps qu’on fait ça et ça n’empêche pas d’avoir le bac sur des épreuves terminales, ce qui fonctionnait plutôt pas mal.
Aujourd’hui, ce qui se passe, ce n’est pas qu’on est moins exigeant dans les sujets de bac, c’est qu’on a un système qui fait qu’on obtient un excellent taux de réussite et de moins en moins lié à la qualité réelle de la copie de départ, avec des harmonisations, des remontées de moyenne de certains correcteurs, etc. On se rend bien compte — et ça ne surprend plus personne — que dans les études internationales, la France est en bas des classements et bat pourtant des records de réussite au bac. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Et ce n’est pas le bac, qui allait plutôt bien, et que l’on bidouille. Ce qui ne marche pas, c’est ce qui se passe avant le bac. Et ce n’est pas en instaurant le contrôle continu qu’on va changer cela. En revanche, ça va compliquer sans aucun doute le quotidien tes professeurs.
Ça devient clairement une sorte de bac à la carte qu’on fabrique dans chaque lycée, et à la fin on donne des notes. Mais croyez bien que dans le supérieur, on continuera à sélectionner sur l’origine des élèves et du lycée parce que c’est finalement un critère qui sera malheureusement plus pertinent pour les établissements du supérieur que les résultats du bac. Sur quoi se fondent les établissements du supérieur pour faire une sorte de classement des lycées, qui n’est pas sain reconnaissons-le ? Le premier critère, c’est le taux de réussite au bac des épreuves terminales ! À partir du moment où l’on obère ça, on perd une boussole, la principale de notre système scolaire, qui fixe aussi le fait que l’on prépare tous les élèves au même type d’exercice quel que soit le niveau social des élèves, quel que soit le lycée dans lequel on enseigne.
Témoignage d’un mère d’élève de seconde . Se dit à fond pour le contrôle continu, à cause du stress généré lors de Parcoursup et du bac. Dénonce le bachotage. Les enfants jusqu’en 3e sont notés avec des couleurs (non chiffrées).
France Inter : Jean-Rémi Girard, il y a des parents contents de cette réforme du contrôle continu pour le bac.
JRG : Je pense qu’il n’y a aucun sujet en France sur lequel 100 % des personnes sont d’accord, c’est ce qui fait la beauté de notre pays. Pour le brevet, dans la plupart des collèges, on ne met pas de couleur. Ça ne stresse pas davantage les élèves et l’on a d’excellentes études qui montrent que les élèves sont plutôt contents d’aller à l’école.
En revanche, il est important de se retrouver à un moment dans une situation d’examen. L’épreuve, avec tout le rituel de la carte d’identité, le sujet, etc. ce sont des situations que l’on retrouve par la suite. Et ça prépare aussi à certaines compétences comportementales de la vie quotidienne. Il faut apprendre à gérer le stress. Si l’on n’est jamais soumis à du stress, le jour où l’on se retrouve dans une situation professionnelle stressante, on n’est pas préparé. On peut aussi se dire que le contrôle continu, c’est du stress 100 % du temps. Avec un 3/20, certains élèves vont être effondrés parce que ça va « compter pour leur bac » . On trouvera peut-être d’autres formes de stress avec le contrôle continu, qui ne sera pas le même que celui des épreuves terminales certes.
Ce que nous craignons vraiment, que nous constatons déjà cette année, c’est que ça tende de plus en plus les relations à l’intérieur de l’établissement, et pas seulement avec les familles où les élèves, mais aussi au sein de l’établissement entre collègues et entre disciplines, avec l’équipe de direction. Avec Parcoursup, il n’y a pas que le bulletin, il y a aussi les appréciations, et tout un dossier. Le bac, c’est un calcul arithmétique : à la fin, on prend les chiffres, on met les coefficients, et ça fait le bac, ou pas le bac. De ce point de vue-là, on risque d’avoir beaucoup plus d’arguties qu’avant.
Au SNALC, nous sommes contents que Parcoursup ait une modalité de fonctionnement propre, et que le bac en ait une autre.
Témoignage d’un auditeur, prof de SVT et président jury bac . Dénonce dysfonctionnements. Pas de consignes en rapport avec le nouveau bac, élèves déstabilisés. Impression de réforme mal préparée. Défaut d’information. Organisation du grand oral catastrophique.
France Inter : Que pensez-vous, Jean-Rémi Girard, de ces dysfonctionnements qu’il a pu y avoir ces derniers temps ?
JRG : Tous les dysfonctionnements ne sont pas liés à la réforme du bac. Néanmoins, le grand oral s’est quand même assez mal passé dans beaucoup d’endroits.
Sur l’organisation, c’est fou car il y a eu 2 ans pour s’y préparer vu qu’il n’y a pas eu d’épreuves l’an dernier. On a complètement sous-estimé, au niveau du service des examens, la complexité d’organiser une épreuve orale avec deux examinateurs dont l’un des deux doit avoir une spécialité qui correspond à l’une des deux spécialités que va présenter l’élève.
Comme le dit mon collègue, plus on augmente le contrôle continu, plus il peut se passer des choses bizarres dans les lycées ; et en effet, dans certains lycées privés sous contrat, on peut constater un travail en interne sur le contrôle continu pour augmenter le résultat des examens.
Le risque à terme, c’est que si l’on arrivait à l’anonymat des lycées comme le suggère Catherine Nave-Bekhti du Sgen, c’est qu’on arrive de plus en plus à remettre en place des épreuves d’entrée dans plusieurs formations sélectives. C’est ce qui se fait dans quelques-unes. Plus on perd le repère qu’est le bac, plus on risque d’avoir des formations qui, n’étant plus capables de voir avec les informations données ce que valent les élèves et ne voulant pas prendre de risques, feront passer à l’entrée… des épreuves de bac.