
France info – Camille Grenu
De Fontenay-aux-Roses, on va continuer le débat avec nos invités. Jean-Rémi Girard, président du SNALC, le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur. Jean-Rémi Girard, première question : on entendait les témoignages de ces professeurs du primaire munis de bipers, qui disaient que ça les rassurait. Et pour celles qui l’ont utilisé, que ça avait été très efficace. On a entendu que c’était une initiative locale. Est-ce qu’il ne faudrait pas, tout simplement, déployer déjà cet outil-là partout, à l’échelle nationale ?
SNALC – Jean-Rémi Girard
Alors oui, c’est quelque chose qu’on pourrait envisager. Mais j’aimerais quand même qu’on se rende compte d’où on en est arrivé pour se poser ce genre de question. C’est-à-dire, se dire qu’il faudrait que chaque prof ait un bouton d’appel de la police sur lui en permanence… enfin, ça donne un peu le vertige, si je puis me permettre l’expression.
Effectivement, nous, on est tout à fait favorables à tout ce qui peut aider, à tout ce qui peut permettre une intervention rapide, à tout ce qui peut renforcer la sécurité, la protection des collègues — en particulier ceux qui se retrouvent à l’extérieur de l’établissement, comme c’est souvent le cas pour les professeurs d’EPS, ce qui était le cas ici. Donc oui, nous y sommes favorables.
Évidemment, ça ne réglera pas les problématiques de violence, d’agression, ou les problèmes de société sous-jacents. Mais si, au moins, en cas de crise ou d’agression, cela permet une intervention plus rapide, alors tout est bon à prendre de ce point de vue-là.(…)
France info – Camille Grenu
Et là, en l’occurrence, ça s’est passé à l’extérieur de l’établissement.
Jean-Rémi Girard
Oui, on est dans une situation qui ne se déroule pas dans ou aux abords immédiats d’un établissement, et il n’y avait pas de couteau. Donc je ne crois pas que la réponse — en tout cas, celle qu’on entend souvent — corresponde ici à la situation.
C’est là que le biper peut être utile : on peut l’emmener partout avec soi.
Mais ces contrôles dont on nous rebat les oreilles… D’abord, est-ce qu’on a vraiment les effectifs de police pour les mener régulièrement ? Et puis, à quoi bon avoir quelques policiers, un jour, devant une liste de lycées ou collèges présélectionnés selon des critères inconnus ? Bonjour la stigmatisation, bonjour la réputation…
Je rappelle aussi que la seule professeure tuée d’un coup de couteau dans sa classe, c’était dans un établissement privé, qui a priori ne figure pas sur ces listes.
Donc de notre point de vue, au SNALC, c’est de l’affichage politique. Ce n’est pas une réponse concrète.

France info – Camille Grenu
Un des agresseurs filmait la scène avec son téléphone. On voit bien, encore une fois, l’influence néfaste des réseaux sociaux…
Jean-Rémi Girard
Oui, c’est devenu un classique : quand l’un frappe, l’autre filme. Pour ensuite montrer. Je ne sais pas pourquoi ils tiennent à garder une trace de ça, mais c’est devenu presque habituel, presque normal. On filme tout de suite, parce que « c’est un événement », on tape une prof, c’est formidable, il faut absolument que les copains voient ça.
Non, c’est absolument détestable.
Il y a des procédures judiciaires en cours contre ces jeunes, et on espère qu’elles iront jusqu’au bout.
Et, en interne aussi, dans l’établissement, c’est très clair : s’il y a eu des élèves qui ont soutenu les agresseurs, comme certains témoignages d’enseignants l’indiquent, nous demandons au SNALC que ces élèves passent en conseil de discipline, et qu’une sanction soit prise — y compris l’exclusion définitive.

France info – Camille Grenu
La communauté éducative est sidérée. On l’entend, on le ressent aussi dans vos propos. Cet après-midi, la ministre de l’Éducation est avec François Bayrou. Ils sont en déplacement pour parler formation des enseignants, attractivité du métier. Ce sont des thématiques parallèles, pas directement liées, mais tout de même, le Premier ministre devra sans doute s’adresser à la communauté éducative. Vous l’attendez ?
Jean-Rémi Girard
C’est un ancien de la maison, le Premier ministre. On espère qu’il aura un mot. Mais des mots, on en a beaucoup eus dans l’Éducation nationale.
Des ministres qui nous parlent de sécurité, d’attractivité, qui disent qu’on a été « incroyablement revalorisés »… On en a entendu.
Résultat : on n’a jamais eu aussi peu de candidats aux concours. Le métier est en train de se casser la figure — pardon, mais je n’ai pas d’autre expression.
On approche maintenant les 10 % de professeurs contractuels en collège et lycée. C’est-à-dire qu’un prof sur dix est embauché sans concours. Et ce sont des personnes qu’il faut maintenant fidéliser, former, accompagner.
On travaille donc à rendre le métier attractif pour ceux qui ne passent pas le concours. C’est devenu la norme.
On est face à une crise grave, profonde, durable. Elle touche désormais aussi le primaire, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années.
Alors oui, des mots, c’est joli. Mais on reste l’un des pays avec les classes les plus chargées d’Europe, des salaires ridicules comparés à nos voisins — comme les Allemands.
Quant aux conditions de travail dans certains établissements, c’est une honte d’y accueillir des élèves et des personnels. Il va falloir se retrousser les manches sérieusement. Parce que ce n’est pas avec des mots, ni avec l’idée d’avancer le concours d’un an, qu’on changera la donne.
Les profs ont perdu un pouvoir d’achat délirant en 30 ans. Et on est maintenant en train de cumuler nos trimestres pour finir à 67 ans, sur les rotules.
France info – Camille Grenu
Il faudrait presque une prime de risque ?
Jean-Rémi Girard
C’est ce qu’on appelle la « pénibilité », en fait.
Et à l’Éducation nationale, ça n’existe pas. Il n’y a aucune reconnaissance légale de la pénibilité de nos métiers.
Et pourtant, je peux vous assurer que les accompagnants d’élèves en situation de handicap, eux, ils connaissent bien la pénibilité au quotidien.
Beaucoup d’enseignants, de CPE, d’assistants d’éducation aussi.
Et on parle là d’un métier essentiel, un des piliers de la République.
S’il n’y a plus d’école, il n’y a plus de République.
On a laissé tout ça s’effriter, doucement mais sûrement. Pas seulement le gouvernement actuel ou François Bayrou, non, c’est plus large.
Et aujourd’hui, on regarde ce qui commence à ressembler à un champ de ruines, en se disant : « ah oui, il faudrait peut-être faire quelque chose… »

France info – Camille Grenu
Parce qu’il y a aussi un cercle vicieux : dans certains endroits, comme le 93, il y a beaucoup de profs absents à cause des conditions de travail. Moins d’encadrement, des jeunes livrés à eux-mêmes, des parents qui se démobilisent…
Jean-Rémi Girard
C’est pour ça que l’Éducation nationale est nationale : l’objectif, c’est d’avoir des fonctionnaires sur tout le territoire.
Mais notre fameux système de mutation peut poser problème. Vous habitez en Bretagne, vous passez le concours… et vous savez que vous n’y reviendrez peut-être jamais. Dans certaines disciplines, 20 ans, c’est optimiste.
Et les académies les plus en difficulté, celles avec le plus de problèmes, les classes sociales les plus défavorisées — Créteil, Versailles, certains DOM comme Mayotte — ce sont justement les endroits où l’on recrute en urgence, sans formation, parfois du vendredi pour le lundi.
Moins de remplaçants disponibles, ou avec des délais bien plus longs.
Donc on ajoute des difficultés à des difficultés déjà existantes.
Mais la crise, aujourd’hui, elle dépasse ces quelques zones. On est sur une crise globale, à l’échelle du pays.

France info – Camille Grenu
Jean-Rémi Girard, êtes-vous favorable à la fouille des élèves ?
Jean-Rémi Girard
Cette proposition contient des éléments très intéressants, notamment la mise en place automatique de la protection fonctionnelle. Et ça, nous la demandons depuis longtemps pour l’Éducation nationale.
Journaliste
Vous pouvez expliquer rapidement de quoi il s’agit ?
Jean-Rémi Girard
Oui, bien sûr. La protection fonctionnelle, c’est un dispositif de la fonction publique. Les policiers le connaissent bien.
Quand vous êtes victime d’une agression, vous pouvez demander cette protection. Si elle est accordée, il y a deux choses : d’une part, les frais de justice (avocat, etc.) sont pris en charge ; d’autre part, votre employeur s’engage à vous protéger concrètement.
Cela peut vouloir dire : vous n’allez pas en cours, vous restez chez vous, ou encore qu’une protection policière est mise en place autour de l’établissement.
Au SNALC, nous en faisons beaucoup la demande, surtout depuis Samuel Paty. Malheureusement, elle est encore trop souvent refusée.
Concernant la fouille, on est vraiment dans des cas très spécifiques : menace, danger imminent, situation exceptionnelle.
Dans ces cas-là, que le chef d’établissement puisse ouvrir un casier ou regarder dans un sac, ça ne nous semble pas délirant.
Mais il faut s’assurer que ce soit légal, que ce soit constitutionnel.
Et surtout, ce ne doit pas être une obligation. Il ne faut pas que le chef d’établissement soit en tort s’il n’a pas fouillé lui-même.
Il doit garder la possibilité d’appeler la police. Il faut que ce soit à son appréciation.

