Le SNALC a interviewé Léon Ribas, qui a enseigné en jungle française à la frontière surinamaise pendant huit ans, à Twenké, commune de Maripasoula. La jungle est belle, mais l’exotisme requiert des qualités d’adaptation hors normes, comparé au quotidien en métropole. En voici un aperçu.
SNALC : Aviez-vous souhaité être affecté en jungle ?
Léon Ribas : J’ai passé le concours PE en Guyane où cela me paraissait plus accessible, tout en évitant les académies d’Ile-de-France. Je me suis dit « Pourquoi pas la Guyane profonde ? ». J’ai pu arriver quelques jours avant par avion jusqu’à Maripasoula contrairement aux malheureux tardivement désignés qui débarquent la veille ou l’avant-veille. Après deux heures de pirogue, j’étais enfin sur place. Le transport a été à ma charge avec un coût conséquent pour un stagiaire. On ne m’attendait pas spécialement sur place. Je me suis installé dans le seul logement correctement équipé, celui qu’occupait le précédent professeur des écoles.
Là-bas, les maisons sont sans douche mais avec chauves-souris incluses, ce qui est mieux pour les moustiques ! J’ai enseigné à des élèves de CP alors qu’on n’est pas censé avoir ce niveau quand on débute.
SNALC : Quelles étaient les difficultés spécifiques d’enseignement en Guyane ?
En tant que directeur, je faisais face à des recommandations complétement hors-sol, qui nous arrivaient péniblement au compte-gouttes avec une liaison internet chaotique. Je me suis aussi fait « taper sur les doigts » parce que je n’utilisais pas le manuel souhaité. Encore aurait-il fallu qu’on me fasse parvenir le bon rapidement ! Les dernières années, l’inspecteur de circonscription s’était rapproché. Il n’était plus qu’à deux heures de pirogue et non dans le rectorat climatisé, à Cayenne, tellement loin de nos préoccupations quotidiennes.
Le climat tropical était sans pitié pour la photocopieuse, qui tombait en panne une semaine après sa réparation alors que le technicien avait mis deux mois pour venir. Mais ce qui me préoccupait surtout, c’était de trouver comment bien préparer mes élèves pour leur futur, avec le peu de débouchés possibles. Après le CM2, on envoie ces enfants dans des structures inadaptées, en manque de personnel, loin de leur famille. Pour contextualiser les choses, si un élève réussit sa scolarité, à 11ans il quitte sa famille pendant 7 ans et ne rentre chez lui qu’une fois par mois. Cela crée une véritable souffrance avec une perte de repères, si bien que ces enfants ne se sentent chez eux ni dans la jungle, ni dans la ville. Le taux de suicide là-bas est vingt-cinq fois supérieur à celui de la métropole. Et pour ne rien arranger, l’alcoolisme est endémique à cause du cachiri, un alcool autochtone qui se boit très facilement et socialement en Guyane. Il y a aussi la pollution au mercure due à l’orpaillage illégal ; elle cause de réels dommages en empoisonnant les poissons dont se nourrissent les Wayanas. Les conditions de réussite sont vraiment difficiles avec tous ces facteurs cumulés.
SNALC : Quels sont les points positifs, les bons souvenirs que vous gardez du métier de PE dans cette région ?
L.R. : Le contact avec les Amérindiens, les Wayanas était facile. Les enfants, très sages, avaient une autre culture, ils étaient allophones pour la plupart. J’ai pu mettre en place des ateliers fort intéressants pour valoriser la langue et la culture locales, en voie de disparition, avec l’aide des auxiliaires locaux. Ils sont là pour faire la liaison entre l’enseignant et les enfants, essentiellement en maternelle. Comme j’étais loin de tout et que les volontaires pour venir jusqu’à moi ne couraient pas les rues, j’ai apprécié d’avoir une certaine tranquillité pour exercer mon métier. L’inspectrice est restée en tout et pour tout dix minutes sur place lors de sa visite au début de ma carrière.
Et puis, la Guyane et sa jungle sont une partie bien particulière de la France. La découvrir est une richesse à part entière, c’est vraiment magnifique !
Article publié dans la revue du SNALC Quinzaine universitaire n°1496 – École du 20 décembre 2024