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Plaidoyer pour un retour à l’humain

© iStock_FatCamera

 

 

“TOUT NUMÉRIQUE”

PLAIDOYER POUR UN RETOUR À L’HUMAIN

 

 

 

Par Hervé GARLET, vice-président du SNALC de l’académie de Toulouse et professeur agrégé, et Edgar ZEIDLER, professeur agrégé de l’académie de Strasbourg

 

« Ils étaient si bien éduqués qu’il n’y avait parmi eux homme ni femme qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer, tant en vers qu’en prose ». (Gargantua 1534, chapitre 57 – L’abbaye de Thélème, traduit en français moderne par M.-M. Fragonard, éd. Pocket)

Que nous reste et surtout que nous restera-t-il bientôt de cet encouragement à l’éducation si et quand d’outil qu’elle ne devrait cesser d’être, la numérisation – appelée également digitalisation – devenait bien tôt la maîtresse de tout, brûlant ainsi les étapes de la dialectique du maître et de l’esclave, établissant le règne de la machine dite « intelligente », supprimant tout besoin de progresser, sinon dans l’obéissance au clavier ? Il en restera des élèves constamment radioscopés, transparents, mis sous tutelle de logiciels destinés à les formater pour les besoins de l’économie. Il en restera des classes où l’entité socialisante aura quasiment disparu, où le vis-à-vis social se réduira à un écran parlant piloté par des algorithmes.

Nous ne sommes certes pas les premiers à sonner l’alarme, mais quand bien même nous serions mille fois plus nombreux, seuls les sages (ceux qui savent, riches de sapience) donneront suite, voire montreront le chemin comme ces patrons de la HighTech qui inscrivent leurs enfants dans les écoles Waldorf non connectées (New York Time, 24 octobre 2011, David Gardner).

« Lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer tant en vers qu’en prose ».

Lire : l’illettrisme frappe 9% de la population (contrairement aux idées reçues : sans corrélation avec l’immigration !) et 20 % à l’entrée en sixième (Danièle Sallenave, Académie française, 20 décembre 2012). Le recul de la lecture est général. Il est illustré par ces chiffres en Allemagne : le taux d’enfants n’ayant jamais eu un livre entre les mains était de 7 % en 2005, 17% en 2007, 25% en 2014 (MPFS 2013, 2014).

Écrire : frère jumeau pour ainsi dire de Lire, l’un ne va pas sans l’autre. « Jeux vidéos et autres loisirs numériques dès le plus jeune âge ont dévalorisé la lecture aux yeux des jeunes » (AgoraVox, 12 décembre 2013). Nous ajoutons : et l’écriture ! Précisons : l’écriture manuelle. Donc exit l’écriture au profit des heures passées devant l’écran et qui exposent l’enfant et l’ado à une sur-stimulation permanente entraînant des troubles du sommeil et des difficultés croissantes à fixer l’attention. Pis, cette génération est exposée comme aucune autre à des prévalences pour des dépendances, des troubles d’apprentissage et de comportement. Le psychiatre et thérapeute des médias, Bert te Wildt, décrit dans son ouvrage « Digitale Junkies » (Toxicomanes du numérique) le smartphone comme un produit addictif et une drogue passerelle.
Autre problème de santé publique : les adolescents et les jeunes adultes voient de moins en moins bien. C’est ce que révèle le baromètre 2017 de la santé visuelle réalisé par Opinion Way pour l’Association nationale pour l’amélioration de la vue (Asnav) et relayé par France Inter. En cause ? La surexposition aux écrans. Le baromètre révèle que les 16-24 ans passent en moyenne 9 heures et 57 minutes par jour devant les écrans, contre 6 heures et 22 minutes pour l’ensemble des Français. Et sans surprise, c’est le smartphone qui est le plus plébiscité par les jeunes, puisqu’ils l’utilisent quatre heures par jour. Cette omniprésence des écrans a évidemment des conséquences sur leur vision : 41% des adolescents et des jeunes adultes interrogés ont ainsi des difficultés à voir de loin, contre 29% en 2016. Les 16-24 ans sont également de plus en plus nombreux à souffrir de fatigue visuelle (40% contre 36% en 2016), de myopie (30% contre 25% en 2016) et d’astigmatisme (18% contre 14% en 2016). Avec le tout numérique à l’école, nul besoin d’être visionnaire ! Cette situation ne pourra que s’aggraver !

Chanter : quelle est désormais la place du chant dans nos écoles, dans la formation de l’élève en tant que personne humaine ?

Jouer d’instruments de musique : Un professeur d’éducation musicale certifié en collège a la charge de 18 classes ! Restent les écoles de musique et aussi, là comme ailleurs : les parents (d’après PISA, les résultats des élèves de France affichent le plus fort taux de déterminisme social).

Cinq ou six langues : le français, (le grec ancien et le latin, cités ici pour mémoire), l’allemand, l’anglais, l’italien, l’espagnol… Généralement, d’après les enquêtes internationales et nationales, les jeunes Français sont avant-derniers en Europe en apprentissage de langues étrangères – les Anglais sont les derniers – (Le Monde de l’Éducation, 22.07.2012). La communication virtuelle par Facebook ou Whatsapp inhibe l’acquisition du langage : une étude américaine présentée au Congrès des pédiatres américains de 2017 établit le lien existant entre l’inhibition de l’acquisition du langage et la « durée de consommation » de médias numériques.

Composer : Réduire les expériences sensorielles au seul fait de balayer un écran, de taper du doigt sur un clavier réel ou virtuel mine le développement des capacités intellectuelles. Ceci ne va en rien améliorer les difficultés croissantes de composer des jeunes générations constatées depuis des années par des professeurs chargés d’évaluer des productions écrites aux divers examens et concours. Vous avez déjà « corrigé » suffisamment de copies pour vous faire une idée…

Voyons maintenant les « solutions » du numérique, ce médicament miracle qui affaiblit le malade.

Le mimétisme naturel des enfants les pousse à reproduire les attitudes et les actions de leurs parents mais « l’élève » les dépasse rapidement en certains domaines, tout particulièrement dans le maniement des machines électroniques et nombreux sont les parents désormais dépassés. Quel rôle peuvent-ils encore jouer dans cette concurrence impitoyable – et que dire des grands-parents ?
Pourquoi lire des livres ? On ne peut les montrer (trop lourds et volumineux) pour se faire admirer alors que la dernière machine suscite tant d’envies !
Pourquoi s’appliquer à calligraphier, à respecter l’orthographe, la grammaire, les usages, alors que la machine fait tout cela bien mieux – malgré quelques confusions regrettables qui font bien rire nos jeunes (quand ils comprennent).
Chanter, oui, mais en karaoké (tout est sur l’Internet) et en espérant devenir « vedette comme à la télé » à la façon des joueurs professionnels de balle au pied.
Pour ce qu’il en est des instruments de musique, l’électronique est à la disposition de tous. Pourquoi apprendre le solfège qui est ringard et supporter Beethoven (prononciation ?) alors que la boîte à rythme (électronique) sait se montrer infatigable ?
Quant aux langues, tout est merveilleux dans le monde du numérique : Google est votre ami et il traduit tout (les professeurs de langue apprécient beaucoup la qualité de cette aide à l’apprentissage…).
Enfin, composer. N’hésitons plus, l’accès aux œuvres est illimité, copions et pillons l’existant mais attention toutefois à PlagScan, efficace détecteur de plagiat : Karl-Theodor zu Guttenberg, ministre démissionnaire de la Défense en RFA (1er mars 2011) fut ainsi pris la main dans le sac ; bel exemple pour nos jeunes qui présentent du Power Point au lieu de rédiger et maîtrisent le copié-collé en lieu et place de créer.

Quelles conséquences du passage au tout numérique ?

Remplacer les manuels scolaires par des smartphones ou des tablettes revient à équiper chaque élève d’un super espion. Les données collectées par ceux qui les analysent leur permettent de suivre en continu des informations relatives à chaque individu et abrogent la sphère privée. Les générations des lycéens et de collégiens d’établissements estampillés 4.01 grandiront dans une démocratie d’un nouveau type, celle de la surveillance absolue que Harald Welzer qualifie en 2016 de « smart dictature. »
Les spécifications des logiciels élaborés par Google & Co. exigent des compétences programmées d’avance. On enseigne un comportement et des savoirs utiles à l’économie, point crucial de l’orientation dite par compétences.
La notion de « formation numérique » est un miroir aux alouettes. Elle est imprégnée de l’idée de la mesurabilité du monde, de la croyance que tous les êtres vivants, y compris les processus cognitifs et sociaux, peuvent être manipulés.
Sous couvert d’enseignement individualisé grâce à la technologie du numérique, on tente de dissimuler que « la technologie cause plus de dégâts qu’elle n’apporte d’avantages dans nos écoles » (Andreas Schleicher, chef du programme PISA de l’OCDE).
L’idéal de la formation selon Humboldt (« Théorie humaine de l’éducation » 1793) est détourné et entraîne une perte de la dimension humaine dans l’enseignement avec de multiples effets négatifs sur l’apprentissage et les élèves.

La dictature du clavier et l’uniwification

La main de l’élève manipule la machine. En apparence.
La réalité est bien différente : la machine accepte ou refuse ce que la main tape. Si ce n’est dans la machine, cela n’existe pas.
Les exercices à choix multiple illustrent cette réalité. Juste ou faux.
Les élèves (et leurs professeurs animateurs) ont le même choix que les trois boules de billard : liberté de rouler mais pas de sortir du cadre.

Ainsi, la machine maîtrise parfaitement les tests et le fait très démocratiquement : pas de piston possible ! Certes, mais avec les seuls critères entrés en machine ; pas de surprise, pas d’imprévu.

L’être humain, cet imprévisible ?

Dans le monde numérisé, pas de place pour l’imprévu ! La machine dument programmée a prévu des milliards de situations mais elle est encore bien loin de l’infini qui nous habite : les rêves, les projets, les émotions, le charme, l’enthousiasme, la foi, le génie, l’amour, empathie… Quoi que : ne parle-t-on pas désormais de plasticité du « cerveau » de la machine à cet égard, d’intelligence artificielle désormais supérieure à celle de l’Humain ? « Celui qui deviendra leader en ce domaine, sera le maître du monde » (V. Poutine, 5 septembre 2017).

Quand la main de l’élève ne saura plus tracer et retracer les pleins et déliés jusqu’à la satisfaction du beau dessin de mot achevé, tourner et retourner les pages du livre, du cahier, surgir parmi les autres pour répondre à la question du professeur, ranger le cartable et accomplir bien d’autres gestes humains, lorsque cette main aura « acquis la compétence » d’obéir à toutes ces machines, que restera-t-il du cerveau qu’elle façonnait autant qu’il la conduisait génération après génération ? Nous retrouvons ici la dialectique du maître et de l’esclave : se croit le maître celui qui tape sur le clavier mais en réalité, il obéit au clavier qui ne tolère rien qui ne soit déjà tout tracé, arrêté, défini.

Nous ne sommes pas contre l’emploi raisonné d’outils nouveaux, quand ils peuvent apporter un plus à l’enseignement traditionnel. Bien au contraire !
Mais nous nous élevons contre toute tentative de captation, d’asservissement de la pensée par les médias numériques et leurs promoteurs. Nous lutterons contre toute tentative de prise de contrôle par Google & Co. des systèmes d’enseignement et de leurs contenus.

1 Dans l’industrie 4.0, des robots dirigent de manière autonome la production et les ordinateurs. Développer des algorithmes pilotant de manière autonome l’enseignement est l’étape suivante incarnée subrepticement par le tout numérique à l’école.