Parcoursup et le lycée 2018 – une lune de miel qui n’en finit plus…
et dont ni les enseignants ni les élèves ne sont les héros
Depuis la réforme du lycée en 2018 et l’adaptation de Parcoursup, de nombreuses données ont été collectées pour analyser les conséquences de cette réforme, un data de Parcoursup est notamment disponible directement en ligne sur le site du ministère de l’enseignement supérieur.
Plusieurs conséquences de la réforme, qui étaient dès de le départ annoncées et dénoncées par les professionnels (par professionnels nous entendons « les enseignants sur le terrain ») sont déjà bien connues, d’autres sont plus insidieuses. Néanmoins, même parmi les problématiques les mieux identifiées, la situation, actuellement s’apparente de plus en plus à une impasse.
Nous vous proposons ici un petit tour d’horizon (sans classement ni hiérarchie) de diverses questions qui reviennent régulièrement sur le sujet.
Diminution des filières scientifiques devenues optionnelles
L’un des premiers effets annoncé puis constaté de la réforme du lycée fut la diminution du nombre d’élèves suivant diverses options scientifiques, on peut citer à titre d’exemple les mathématiques, la SVT et la SI.
Mathématiques :
La baisse en mathématiques fut constatée dès 2021 et s’est stabilisée depuis sur un état qui est bien loin de satisfaire les exigences des formations du supérieur. Si les informations initialement données aux élèves par le ministère lui-même ont pu être corrigées, l’existence de la très légère et insuffisante option maths complémentaire et du tronc commun de mathématiques continue de dissuader des élèves ayant besoin des mathématiques dans le supérieur de prendre cette spécialité.
Un véritable dilemme puisque pour une grande part des formations scientifiques les élèves se rendent compte qu’ils auront besoin de compétences dans au moins trois domaines correspondant à des spécialités proposées !
Sciences de la vie et de la terre :
Les SVT donnent un très bon exemple de matière négligée par la réforme, alors même que les questions d’actualité donnent tort à cette logique. Les quatre plus grosses doublettes de Terminales impliquant des SVT regroupaient, dès la mise en place de la réforme, un peu plus d’un quart des élèves là où près de 50% des élèves pouvaient suivre cet enseignement en terminale en filière scientifique. La tendance se confirme depuis.
Mesdames et messieurs, sous vos yeux ébahis, ce n’est pas une chute mais bien un abandon institutionnalisé.
Sciences de l’ingénieur et Numérique et sciences informatiques :
Le bulletin n°22 de novembre 2023 de la société informatique de France fait un constat sans appel. Non seulement la situation est dramatique, mais elle perdure. Comment ne le pourrait-elle pas alors que cette situation a été institutionnalisée par la réforme ?
Cette gestion qui se teinte de rigueur pour raboter chaque année un peu plus un système éducatif qui fut en son temps parmi les plus performant au monde s’installe un peu partout depuis 2016 (réforme du collège). Ce que nous constatons sur les sciences fut aussi vrai pour les langues anciennes et pour les langues étrangères et l’est aussi actuellement pour les enseignements généraux des lycées professionnels. Un tournant rigoriste sans précédent.
Le baccalauréat général dans lequel les sciences sont maintenant optionnelles regroupe la moitié des élèves. Ainsi dans la France de demain, trois français sur quatre ne seront pas allés au-delà du niveau seconde en mathématiques, seul un sur huit aura fait des SVT jusqu’au niveau terminale.
Il n’y a pas de petite économie, mais il y a de grosses conneries.
Les petites spécialités et le mur de la gestion par défaut :
L’écueil ne s’arrête bien entendu pas à cette gestion centralisée par défaut. Les établissements sont invités à s’autogérer avec des marges horaires toujours plus réduites, et les petites spécialités optionnelles (qui incluent SI et NSI) sont soumises aux mêmes pressions que les enseignements optionnels de collège : l’établissement peut les finances sur sa DGH, mais il est tentant de les supprimer pour récupérer un peu de marge et faire tourner presque normalement son établissement pendant un an, avant de nouvelles coupes dans la DGH. Actuellement le nombre de lycée proposant chaque spécialité reste globalement stable, mais à l’aube d’une baisse démographique assez large, nous devrons rester vigilants pour éviter que de larges zones géographiques voient complètement disparaître certains enseignements.
Place des filles dans les sciences :
S’il y a bien une autre statistique qui inquiète, c’est la réduction importante du nombre de filles dans les filières scientifiques alors qu’elles représentaient environ la moitié de l’effectif en filière S (qui était avant tout une filière généraliste avec de nombreux enseignements littéraires et scientifiques).
Dès 2021, la chute a été instantanée, il y a par exemple désormais deux fois moins de filles que de garçons suivant la spécialité mathématique à 6h en terminale.
Cela a bien entendu des répercutions dans le supérieur. Le vivier féminin à forte vocation scientifique semble pour le moment préservé et les écoles d’ingénieurs continuent d’afficher environ un quart de femmes parmi leurs diplômés selon l’enquête nationale d’IESF (Ingénieurs et Scientifiques de France), toutefois les formations nécessitant un niveau intermédiaire en sciences ou mathématiques sont plus touchées.
En CPGE économiques et commerciales, ce sont 1000 candidates qui ont disparu lors de la mise en place de la réforme (soit une perte de 20% de filles dans la filière, quand les garçons restaient stables), si la situation s’améliore depuis, le pourcentage de filles dans la filière reste très inférieur aux attendus.
Quelques statistiques de CPGE ECG avec les datas des entrants Parcoursup :
Le paradoxe des formations scientifiques :
Certains sont sans doute tentés de se satisfaire de cette crise « modérée » des sciences lors de la dernière réforme du lycée. Mais il faut prendre en compte l’état des lieux actuel de la formation des ingénieurs : la France forme chaque année 37.000 ingénieurs, il lui en faudrait au moins 10.000 de plus, le double dans l’idéal. A titre de comparaison l’inde forme 1,5 millions d’ingénieurs chaque année. Pour nous aligner sur ce pays au prorata de notre population, il nous faudrait former… 70.000 ingénieurs par an.
Dans ce contexte il est difficile de se satisfaire des 25% de femmes dans l’ingénierie, ce taux fut il, par miracle, stable, ou bien encore du faible pourcentage d’étudiants de lycée constituant le vivier des écoles d’ingénieurs française. Comment en effet augmenter le nombre d’ingénieurs formés quand l’état ne cherche pas à ouvrir de places dans le supérieur (les écoles d’ingénieurs sont, pour une grande part, publiques), et est plutôt dans une démarche de désengagement et quand le vivier même de recrutement n’y suffirait pas.
Les rares ouvertures Parcoursup sont en général des conversions de formation (changement de nom ou d’étiquetage, licences remplacées par des cupge, des écoles d’ingénieurs intégrées aux universités ou ré-étiquetage en CMI) ou bien des formations privées hors contrat, qui s’adaptent à la situation en n’hésitant pas à proposer à la demande des formations d’ingénierie sans maths mais pour lesquelles il faudra débourser entre 10 et 15.000 euros l’année, en plus bien entendu des frais alimentaires et de logement.
C’est le paradoxe d’un système qui a tous les atouts pour réussir mais empêche ses acteurs de faire, tout simplement, leur travail.
La touche finale Parcoursup
Comment conclure cette thématique sans aborder un dernier, et non des moindres, handicap, autant pour les formations que les pour les élèves.
Parcoursup a marqué l’avènement du classement généralisé pour toutes les formations, mais il a laissé perdurer et a même largement accentué le premier problème de ce système : l’information.
Comment classer des élèves quand on ne dispose d’aucun moyen fiable de comparer deux dossiers de deux lycées différents et que l’on reçoit des candidatures de plus de 500 lycées distincts ?
Un véritable dilemme pour les formations du supérieur qui font de plus face à une large inflation des notes de terminale où les moyennes de classes flirtent souvent avec les 14, voir plus dans certaines disciplines, et ce pour des classes où cela est parfois justifié, parfois non !
Un problème qui touche particulièrement les lycées « sérieux » qui veulent continuer de noter honnêtement leurs élèves, ce qui est un des combats du SNALC, mais ne peuvent compter que sur le nom de leur établissement, s’il est connu, pour que ceux-ci trouvent facilement un point de chute dans le supérieur.
Alors on sait, les gens se parlent, un dossier à 9 de moyenne au lycée machin vaut en réalité bien plus. On dispose en effet des autres informations : lettre de motivation, appréciations de la fiche avenir avec avis du directeur, description de son parcours par l’élève, mais que d’absurdités pour en arriver là !
Les élèves aux dossiers surnotés sont tout autant pénalisés par ce système. Le risque est réel pour eux d’une affectation qui ne corresponde pas à leur qualification et les mette en échec, d’autant qu’ils n’ont souvent pas conscience de leur niveau réel.
Last but not least, Parcoursup s’avère tout aussi opaque pour les étudiants que pour les formations. Les conseillers d’orientation se font de plus en plus rares depuis que la circulaire du 10 Octobre 2018 a généreusement octroyé cette responsabilité aux professeurs principaux (sans les former, et bien entendu sans contrepartie financière : un PP peut-il connaître toutes les spécificités des cpge BL, D1, D2, ECG et DCG ? ).
Dans les salons d’orientation Infosup ou Studyrama, sur internet, dans les publicités et les communications, les formations privées hors contrat règnent en maîtres : l’état paie des formations publiques et privées sous contrat, mais n’a en aucun cas prévu d’en faire la promotion, c’est la première et insidieuse sélection. Avant de pouvoir lister toutes les formations publiques et privées sous contrat du domaine de formation visée, l’étudiant devra parfois compter une semaine (très active) de recherche, parfois plus, quand il y arrive (il est bien entendu que la recherche par mot clef dans la carte parcoursup est au mieux très approximative).
Il n’y a ici qu’un seul message à faire passer à nos gouvernants :
Laissez-nous travailler et donnez-nous-en les moyens (et le salaire) !
Conclusion :
Si le système Français était fragile avant 2018, la réforme du lycée l’a déstabilisé et a engendré de nouveaux problèmes, sans apporter de solution aux véritables problématiques qu’il rencontre.
Le système actuel est en souffrance et l’impuissance, l’absence de réaction, voir de simple prise de conscience de nos gouvernants est plus qu’inquiétante.
Inlassablement, il nous faut continuer, au sein du SNALC, d’alerter, de militer et de défendre une formation solide et exigeante pour tous, une orientation transparente et une offre ambitieuse pour le supérieur public et le privé sous contrat, car le jour où nous subirons les conséquences des choix d’économies peu avisés fait sur notre jeunesse, il faudra des années pour réparer les dégâts.r