Un nouveau ministre de l’Éducation nationale est espéré, selon Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des collèges et lycées, en congrès aujourd’hui à Nice. (2 & 3 mai 2022)
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, répond aux questions de Nice-Matin le 02 mai 2022
Comme Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer vient de réaliser un quinquennat à la tête du ministère de l’Éducation nationale. Comme lui, il se verrait bien continuer cinq ans de plus. « Il a déjà battu le record, il ne faut pas s’entêter, s’agace Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des collèges et lycées (SNALC), en congrès académique aujourd’hui à Nice et ce mardi à Toulon. La remontée du terrain c’est qu’il suscite un très fort rejet. S’il était maintenu, ce serait un très mauvais signal et cela susciterait des réactions assez rapides».
Nice Matin- Le dégel annoncé du point d’indice, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?
Jean-Rémi GIRARD. On attend, on a des doutes sur le fait qu’il rattrape l’inflation. Le point est resté gelé pendant les cinq ans de laprésidence Macron. On est, pour la plupart des enseignants, sur une perte de pouvoir d’achat. Il faut rappeler aussi que les
enseignants et assimilés (CPE, psychologues) sont en décrochage très fort par rapport aux autres fonctionnaires de même niveau en France, et en Europe. Les enseignants sont des fonctionnaires de catégorie A, mais ils perçoivent en moyenne 900 à 1 000 euros de moins par mois que les autres fonctionnaires de catégorie A. C’est la raison principale de la crise de recrutement des enseignants : des études longues, un niveau de concours très élevé, un métier pas facile en début de carrière. Ce sont des bac +5 très mal rémunérés. Il faut rattraper tout ça. On sait qu’on n’aura pas ces 900 euros d’un coup mais on demande une loi de programmation pour augmenter les salaires sur un certain nombre d’années, au pire 10 ans.
Nice Matin- Quelles sont les autres raisons de cette crise des recrutements ?
Jean-Rémi GIRARD. – Les conditions de travail. Il y a deux choses à retenir du quinquennat Macron. La première c’est le ” pas de vague “. Nous, on se bat pour que la parole du personnel soit crue en première instance, pour qu’il y ait un soutien systématique de toute la chaîne hiérarchique, en cas de personnel agressé, lorsqu’il est jeté à la vindicte populaire sur les réseaux sociaux, ou dont l’enseignement est remis en cause. Sachant qu’ensuite, si une erreur a été commise, on a suffisamment de procédures internes pour le gérer.
L’assassinat de Samuel Paty a beaucoup marqué et a fait bouger les choses. On souhaite aussi une automaticité de la protection fonctionnelle, une aide au dépôt de plainte, et qu’on arrête avec ce qui existe toujours aujourd’hui. À savoir que la parole de l’élève est mise au même niveau que celle de l’enseignant. Le principe doit être de nous faire confiance. Les familles ont pris de plus en plus de place, certaines sont très revendicatives. Aujourd’hui dans le primaire, les enseignants ont davantage d’incidents avec les parents qu’avec les élèves. À Strasbourg, un collègue a vu l’inspectrice débarquer dans sa classe parce que la famille a écrit à Brigitte Macron ! On ne veut plus voir ce genre de situations.
Nice Matin- Et le deuxième point à retenir ?
Jean-Rémi GIRARD. – Les recrutements et les effectifs. Entre 2017 et 2022, le nombre d’élèves a augmenté et on a supprimé 7 900 postes dans le second degré, alors qu’on mettait en place des réformes structurelles comme celle du lycée. À l’arrivée, cela crée une dégradation des conditions de travail des personnels et d’apprentissage pour les élèves.
Nice Matin- L’enseignement des mathématiques a, semble-t-il, souffert de cette réforme.
Jean-Rémi GIRARD. – Malgré tout ce qu’a tenté de faire croire le ministre, il y a un chiffre qui dit tout : en première générale, dans les anciennes sections S, ES et L, 90 % des élèves faisaient des maths avec un enseignement consistant. On est tombé aujourd’hui à 60 %. D’où cette tentative d’y remédier avec l’annonce d’ 1 h30 de maths à la rentrée, sauf que ça va se faire dans l’urgence et on ne sait pas comment, car on manque de profs de maths. On est là encore dans de la communication politique, comme pour la gestion des protocoles sanitaires… Les enseignants ont le moral dans les chaussettes. On a de plus en plus de mal à recruter. Dans le second degré, des disciplines sont en pénurie structurelles : maths, latin, allemand. Et on voit de plus en plus ce problème chez les professeurs des écoles. La précarisation des nouveaux entrants aggrave la situation.
Nice Matin- Le dédoublement des classes en REP (réseau d’éducation prioritaire) et REP + en CP-CE1 est-elle une réussite ?
Jean-Rémi GIRARD. – Ça se met en place sur la grande section de maternelle aussi. C’est une bonne idée, les collègues voient une réelle différence. Et en même temps, ceux qui ne sont pas en REP et REP + voient leurs effectifs stagner et même augmenter. On a souvent des maternelles à trente élèves. Cette question continue de se poser. Quand il n’y a pas de remplaçant, on répartit les élèves dans les autres classes. La crise de recrutement fait boule de neige et ça dégrade les choses encore plus.
Nice Matin- Que serait un bon ministre de l’Éducation nationale ?
Jean-Rémi GIRARD. – Quelqu’un qui ne veut pas laisser son nom à une réforme ou une loi et qui ne part pas de ses préjugés mais du réel. On sait que le prochain ne pourra pas améliorer la situation d’un claquement de doigts. Mais en l’état de la crise réelle de l’Éducation nationale, il faut quelqu’un qui essaie d’y remédier, notamment dans son gouvernement pour avoir des arbitrages budgétaires, et qui évite de communiquer constamment contre les « enseignants fainéants ». Il ne faut pas oublier qu’on s’est débrouillés tout seuls, avec notre matériel personnel et notre seule implication pendant le confinement pour faire fonctionner l’école…
L’inclusion des enfants en situation de handicap : un sujet sensible
Selon Jean-Rémi Girard, l’inclusion est un sujet sensible : « Ce sont des élèves avec des troubles de l’apprentissage et/ou des handicaps très différents. Le problème, là encore, c’est la gestion budgétaire et bureaucratique et de moins en moins humaine. L’inclusion en soi n’est pas une mauvaise chose, on est à plus de 400 000 élèves, mais les droits sont notifiés par les Maisons départementales pour les personnes handicapées, qui prévoient des AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), souvent des personnes à temps partiel imposé, payées 800 euros par mois et qu’on a du mal à recruter. Pour gérer cette pénurie, des pôles d’inclusion ont ét créés avec des AESH mutualisés. On se retrouve avec un adulte qui suit plusieurs enfants et passe de l’un à l’autre dans une même demi-journée.
On a eu le cas à Montpellier d’un AESH qui suivait 20 élèves sur la semaine. En outre, ces personnes manquent de formation. Quand on n’y met pas les moyens financiers et humains, la conséquence ce sont des enfants qui se retrouvent sans accompagnement, des difficultés importantes pour les enseignants, qui doivent gérer des enfants avec des problèmes psychiques, des troubles de l’attention plus ou moins sévères, des psychotiques…
On a vendu du rêve aux familles avec l’inclusion mais la réalité, souvent, c’est que l’élève en inclusion est en souffrance, les autres élèves sont en souffrance, les enseignants sont en souffrance. Cela peut “foutre” en l’air toute une classe, surtout dans l’élémentaire, où il n’y a pas la possibilité de confier l’élève qui fait une crise à la vie scolaire ou à l’infirmier » .