La publicité scande auprès des enfants, ces cibles de choix, le fait qu’il faille être « vrai », « soi-même », « authentique » etc. Ce culte de l’égo matraqué en permanence dans notre société a fini par déferler à l’école. Pire, il est venu renforcer le choix ayant consisté à faire de l’élève le seul maître de ses apprentissages. Cette association malheureuse a contribué à transformer les élèves en individus narcissiques, incapables de se plier aux demandes du système scolaire, même les plus élémentaires.
Comme dans un magasin où il est roi, l’élève-Narcisse est dispensé de respecter les règles communes dans les établissements (comportement, vêtements, rapport au travail). Sommé par le monde marchand d’être entièrement libre partout où il se trouve, Narcisse fait ce qu’il veut à l’école et ne se remet jamais en question. Sa parole fait généralement foi et implique de fait une soumission complète à son égard. C’est pourquoi, en cas de confrontation, c’est souvent le même narratif : c’est sur nous professeurs que pèse une présomption de faute et notre parole est remise en question.
Dans cette galaxie de l’enfant-roi, plus question de discipline, de connaissances ou d’efforts. Des floppées d’élèves ne travaillent pas, ne font pas leurs devoirs, rendent copies blanches, répondent, soupirent, se tiennent mal, lèvent les yeux au ciel, invectivent, insultent voire agressent lorsque nous leur demandons de se comporter… comme des élèves. Ainsi, par crainte de froisser Narcisse, on affranchit ce dernier de ce que l’école est censée lui apporter. Et si jamais une sanction finit par miraculeusement tomber, Narcisse ne comprend pas : n’est-il pas totalement libre de faire ce qu’il veut, biberonné par tant de publicités l’incitant à l’être urbi et orbi ?
Imbibé d’écran à la maison, Narcisse s’ennuie en classe. Et comme il doit s’épanouir aussi sur sa chaise, il faut que l’école soit divertissante. Acquérir des savoirs fondamentaux n’est pas très alléchant et est donc assommant. Nous sommes alors incités à lui donner des activités-jeux pour passer le temps. C’est ce qui a entraîné une inflation conséquente de gadgets en classe – notamment numériques. Il n’existe plus une seule recommandation ne mettant pas en avant telle démarche ou tel objet « ludique », ou encore « collaboratif » puisqu’être seul face à son travail est source d’embêtement. Le travail en classe doit être un amusement permanent et chaque cours conçu et animé dans un esprit « ludifiant » par de gentils accompagnateurs que nous sommes désormais.
Le SNALC ne veut plus de Narcisse à l’école mais des élèves, avec leur personnalité, inscrits dans un groupe avec des règles collectives à respecter. C’est à ce prix que l’on pourra remettre l’effort et le travail au cœur du système scolaire. C’est la condition sine qua non pour pouvoir former de futurs citoyens capables d’empathie et de vie en société.