C’était une question incongrue semble-t-il et qu’on ne m’a pas remerciée d’avoir posée. Un grain de sable dans la mécanique bien huilée d’une formation Éducation nationale. Tout était pourtant sur les rails. Il y eut d’abord l’« atelier brise-glace » – particulièrement bienvenu dans un amphi glacial non chauffé pour cause de restrictions budgétaires- consistant à répondre (pour « oui », on lève les mains, pour« non », on se met debout) à des questions plus ou moins insidieuses telles que « Êtes-vous un homme ? Une femme ? » « Êtes-vous content d’être là ? », « M’occuper du harcèlement entre élèves ce n’est pas mon métier ? », « La formation est-elle pour moi une reconnaissance professionnelle ? ».
Engourdis, les personnels présents (essentiellement des professeurs et des AESH) hésitaient comme toujours entre répondre sincèrement ou se débarrasser le plus vite possible de ce pseudo-défouloir à la fois vain –puisque leur mécontentement éventuel de se voir imposer une formation ne changerait de toute façon rien- et injustement désagréable pour des formateurs tout aussi gelés qu’eux et d’une évidente bonne volonté.
Vinrent ensuite les précautions oratoires aussi contrites que convenues : « Pendant 3h, on ne va pas faire des miracles » -d’autant moins après avoir passé une demi-heure à se présenter- ou encore « Vous allez peut-être trouver cette formation descendante » -traduire « on va peut-être vous apprendre des choses, on est vraiment désolés ».
La suite de la formation était nettement plus roborative : effectivement, il y avait du contenu théorique intéressant. Définition précise du concept de harcèlement, analyse sémantique du terme en opposition à ses traductions dans d’autres langues, description du protocole pHAre, de la méthode de préoccupation partagée, des résultats obtenus après expérimentation. Ces apports théoriques furent en outre enrichis par des vidéos émouvantes réalisées par des classes ayant participé au prix « Non au harcèlement ».
Parmi d’autres réalisations inspirées, mention spéciale pour le sobre et bouleversant court-métrage « La photo de classe ».
Bref, l’auditoire était mûr pour s’engager à lutter contre ce fléau qui fait des ravages et ne peut que toucher le citoyen doté d’un minimum d’empathie, ce qui était a priori le cas de personnels engagés auprès d’un jeune public au quotidien.
C’est alors qu’a été posée la question qui fâche : « On parle de formation de 8 heures sur 2 ans, de 10 h d’enseignement, d’entretiens à mener, de coordination à superviser, d’organisation de trois temps forts dans l’année… Qu’en est-il de la rémunération prévue ou d’une éventuelle décharge horaire ? »
La question n’était semble-t-il pas prévue tant les réponses apparurent lunaires. Pour commencer, le propos rassurant, consistant à rappeler que les missions du programme pHAre sont réservées à des volontaire n’était guère convaincant : d’abord parce que « volontaire » n’est pas synonyme de « bénévole » –quoique dans l’Éducation nationale …- et ensuite parce que le programme pHAre est désormais obligatoire sur tout le territoire national. On balbutia ensuite que ce travail était déjà peu ou prou effectué dans nos cours. Enfin, les chefs d’établissement pourraient prévoir d’attribuer des IMP voire une brique de Pacte dans le cadre de l’autonomie de l’établissement.
Il était déjà tard, on pouvait lire la détresse dans les yeux des formateurs… Je n’ai pas insisté. Inutile de les laisser s’enferrer dans leur propos : comment, même à l’approche de Noël, y accorder un quelconque crédit alors que rien n’est prévu dans le Pacte pour une rémunération des équipes ressources de pHARe et que les chefs d’établissement jonglent déjà entre leur maigre dotation d’IMP et l’inflation de coordinateurs et référents (coordinateur de discipline, de niveau, référent numérique, référent culture, référent orientation, référent environnement, référent laïcité, référent égalité homme/femme etc.) ? Il aurait été cruel aussi de rappeler le taux de base d’une IMP (1 250 € brut quel que soit l’établissement) voire de déplorer que tous les personnels n’y soient même pas éligibles comme le montre une question posée en novembre à l’Assemblée nationale au nom des AESH.
Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que certaines équipes ressources pourtant rodées s’épuisent et en arrivent à démissionner comme récemment dans un collège de la Marne.
Énoncer de vertueuses priorités sans se donner les moyens de les mettre en œuvre est dangereux pour l’équilibre de l’École comme le montre la gestion calamiteuse de l’École inclusive. En outre, une telle inconséquence entame la crédibilité de nos politiques et met à mal la cohésion nationale. Le SNALC ne peut se résoudre à constater les dégâts de cette posture schizophrénique et réclame que toute cause érigée légitimement en priorité nationale repose sur des moyens réalistes et non sur le bénévolat de personnels déjà épuisés palliant tant bien que mal le manque criant de personnel médico-social dont souffre depuis trop longtemps notre ministère.
Article publié dans la revue du SNALC Quinzaine universitaire n°1496 du 30 décembre 2024