Les enseignants se mobilisent, de nouveau, ce samedi 25 mai en opposition au “Choc des savoirs”, à l’appel de l’intersyndicale éducation. Selon les acteurs de l’éducation, les mesures prévues “ne seront pas généralisables” et ne concerneront finalement que “peu d’élèves”, diluant d’autant l’effet promis par les annonces. Des inquiétudes en partie confirmées par les chiffres. Explications.
Gabriel Attal, Premier ministre et ex-ministre de l’Éducation nationale, s’est emparé du dossier collège ces derniers mois. Il a multiplié les annonces de réformes censées pallier la baisse de niveau, la préparation à intégrer le lycée, voire la violence juvénile dans l’espace public.
Certaines font l’objet de questionnement sur le fond comme sur la forme : c’est le cas des groupes de niveau désormais nommés groupes de besoin, et de l’accueil des élèves de 8 heures à 18 heures. Mais ces mesures sont-elles réalistes et faisables ?
Groupes de besoin : l’Éducation nationale voit double
Sur le fond, “on part d’une idée tout à fait louable, celle que l’hétérogénéité des classes à 30 élèves avait ses limites. Dans les faits, on crée l’usine à gaz de toutes les usines à gaz”, analyse Jean-Rémi Girard, président du SNALC.
“Usine à gaz”, c’est d’ailleurs l’expression employée unanimement par les acteurs syndicaux, du SNPDEN au SNALC. Elle décrit une réforme dont les proviseurs et enseignants ont encore du mal à saisir les contours.
Quant à la mise en œuvre : “On travaille déjà sur le sujet”, décrypte Olivier Beaufrère, secrétaire national pédagogie et éducation au SNPDEN, qui évoque le format similaire existant dans l’enseignement professionnel.
“En théorie, on sait faire : on a des volumes de trois classes avec un enseignant supplémentaire, et avec ça on recompose des groupes de besoins évolutifs, en alternant avec le groupe classe”, explique-t-il par ailleurs.
Mais l’Éducation nationale a-t-elle les effectifs suffisants pour mettre en place cette réforme à la rentrée 2024 ? Pour le SNALC et le SNPDEN, la réponse est “non” et ce, malgré les premiers effets de la baisse démographique : le second degré n’est pas armé pour une généralisation de cette mesure.
Un taux d’encadrement des élèves stable
Crise du recrutement et suppression de postes d’enseignants
La tendance du recrutement ne permet pas non plus de s’assurer que les effectifs s’ajusteront à court terme aux besoins, dans un contexte de pénurie de candidats et de perte d’attractivité du métier d’enseignant.
D’autant que, dans un contexte d’effort budgétaire, l’Éducation nationale se voit privée de 692 millions de crédits. En réponse, le ministère fait savoir, auprès du Web Pédagogique en février 2024, que ces crédits annulés sont “des crédits ‘gelés’ en début d’année pour faire face à des aléas” et n’aura donc pas “d’impact sur les emplois” ni “sur les annonces déjà faites concernant la rentrée scolaire ou sur le Choc des savoirs”.
Cependant, un risque pèse sur la création de postes enseignants promises dans le cadre du Choc des savoirs qui ne figurait pas dans le budget de l’Education nationale voté à l’automne 2023.
Quant au pacte enseignant et aux enveloppes d’heures supplémentaires, Jean-Rémi Girard doute qu’ils permettent à eux seuls de combler les trous dans un contexte d’effort budgétaire. “On a toujours 700 millions d’euros à trouver pour le prochain budget”, rappelle-t-il. En 2024, le Pacte a lui seul a pesé pour 623 millions d’euros, 332 dans le second degré public.
Accueil des élèves de 8 heures à 18 heures : “une mesure d’urbains”
Par ailleurs, la mesure phare de Gabriel Attal qui prévoit l’accueil dans les collèges de 8h à 18h “pour les jeunes qui le désirent” pour lutter contre l’insécurité et les violences chez les jeunes, laisse aussi les syndicats et professionnels de l’éducation “dubitatifs”.
“Arriverons-nous à toucher les élèves que l’on souhaite, quand on sait que certains d’entre eux ne viennent déjà pas en classe ?”, interroge Olivier Beaufrère. Quant à généraliser cet accueil à tous les collèges, il juge cette mesure impossible à mettre en œuvre : “nous sommes déjà en tension sur le personnel non-enseignant, est-ce que c’est le proviseur qui va devoir accueillir les élèves le matin et les garder le soir ?”, pointe-t-il aussi.
En effet, le manque d’assistants d’éducation pour permettre la prise en charge de ces élèves, “quel que soit leur nombre”, reste la principale zone d’ombre sur la mise en œuvre de cette mesure.
Autre caillou dans la chaussure, le transport scolaire hors des zones urbaines. “Devant la plupart des collèges ruraux, après 18 heures, vous n’avez plus de cars scolaires, soutient Olivier Beaufrère. Comment faire rester des jeunes sans leur donner de solution pour rentrer ensuite chez eux ?” Du côté du SNALC, on n’hésite pas à parler d’une “mesure d’urbains”.
Les régies de transports scolaires gérées par les collectivités devront-elles s’adapter à cette nouvelle réalité, et à quel prix ?
Des mesures qui ne peuvent pas être généralisées
Olivier Beaufrère, secrétaire national pédagogie et éducation au SNPDEN, abonde dans le sens d’une non-généralisation des mesures annoncées par Gabriel Attal.
En ce sens, il salue le passage de groupes de niveau en groupes de besoin. Cette nouvelle formule portée par la ministre de l’Education nationale, Nicole Belloubet, permet aux établissements de reprendre la main sur l’application de la mesure, et de faire du “cas par cas”. Une souplesse jugée “indispensable” : “Il faut que les établissements soient maîtres dans l’application des mesures, ce sont eux qui savent comment accompagner les élèves et lesquels sont dans ce besoin. Ils le font déjà !”
Il note toutefois la versatilité de la parole politique sur ces dossiers sensibles, fustigeant des “effets d’annonce pour le grand public”. “Lorsque les annonces sont faites, elles semblent généralisées à tous les établissements. Puis, à la suite de ces propositions, des détails, des exceptions viennent se glisser, et là où le grand public pensait qu’une mesure allait concerner des millions d’élèves, elle ne devient applicable que pour quelques milliers d’entre eux. Nécessairement, les effets seront moindres.”
“Le calendrier politique a pris le pas sur le calendrier éducatif”, entérine Jean-Rémi Girard.