L’académie de Versailles recrute en partie ses enseignants via de courts entretiens oraux. Jean-Rémi Girard, président du SNALC, dénonce la pratique dans un débat “Pour” ou “Contre” face à la rectrice de Versailles.
Jean-Rémi Girard, président du SNALC, syndicat de l’école au supérieur, débat dans La Drenche du 6 juin 2022
Jean-Rémi Girard.
Ces « job dating » sont une honte
Le point de départ de tout cela, c’est le manque d’attractivité du métier d’enseignant, qui s’est terriblement aggravé cette année. Depuis longtemps, on a du mal à remplir les places au concours dans certaines disciplines (mathématiques, allemand, lettres classiques, plusieurs disciplines de la voie professionnelle…).
Et, depuis quelques années, cette crise des recrutements concerne aussi les professeurs des écoles. Mais elle touche bien au-delà du seul métier de professeur : on n’arrive pas non plus à recruter des médecins ou des accompagnants d’élèves en situation de handicap.
Afin de mettre des personnes devant les classes, l’Éducation nationale a donc de plus en plus recours à des personnels contractuels, qui n’ont pas le concours. Ces collègues sont par nature précaires, très mal payés, très peu formés. Ils sont mis dans les pires conditions imaginables, et si certains tiennent, beaucoup craquent avant la fin de l’année scolaire. On est donc dans un système qui a institutionnalisé la précarité.
Il ne s’agit plus de recruter des contractuels dans des situations d’urgence : c’est quelque chose de structurel, qui est un révélateur très clair de la crise qui nous touche. Et c’est aussi un révélateur du manque d’éthique dans la gestion des ressources humaines : c’est en fait très pratique de pouvoir payer moins cher des gens qui, de surcroît, n’ont qu’une protection limitée, et n’ont aucune garantie individuelle d’être réemployés d’une année sur l’autre.
Ce phénomène contribue évidemment à la dévalorisation de notre métier. Quelle image de notre profession donne-t-on si n’importe qui ou presque peut devenir professeur après un entretien de 30 minutes ? Imaginez si je prétendais devenir vétérinaire parce que j’ai un chat… Cela laisse penser à la société qu’il n’y a pas besoin de compétences réelles pour devenir enseignant, et donc qu’on peut rogner un peu plus chaque année sur notre pouvoir d’achat.
Et c’est ainsi que des personnes, certes pleines de bonne volonté, mais qui ne connaissent rien à nos conditions de travail et à ce qui constitue notre professionnalité, viennent postuler parce qu’elles ont bien aimé faire des devoirs de maths avec leurs enfants.
Le pire dans tout cela, c’est que le rectorat de Versailles en a fait toute une mise en scène. On se retrouve avec la lie de la com’ : on se réjouit de la réussite d’un « job dating », alors même que c’est un terrible aveu d’échec que de se retrouver à devoir organiser une telle mascarade. On a l’impression d’être chez Orwell, et on cherche sciemment à tromper les citoyens sur ce que constitue cette opération.
Ce n’est pas parce qu’on utilise une expression anglaise pour faire « in » et « monde de l’entreprise » que le processus est positif. Au contraire, on se sert de ce langage comme d’un cache-misère. Pour résumer, la maison brûle, et le rectorat de Versailles se félicite du fait que ça lui permet de faire des économies de chauffage.