Selon les déclarations de notre ministre, les groupes de niveau/besoins seraient maintenus en 6e et 5e, et devaient être étendus à la rentrée en 4e et 3e. Sur cette question qui touche directement votre charge et vos conditions de travail, votre parole doit compter. C’est pourquoi, le SNALC avait adressé une enquête à l’ensemble des professeurs de collège.
La première période de l’année étant passée, le SNALC propose une photographie de la situation des groupes mis en place en sixième et en cinquième.
Sommaire
QUI SONT LES CONTRIBUTEURS DE CETTE ENQUÊTE ?
Plusieurs milliers de collègues de collège ont répondu à nos questionnaires, l’un concernant exclusivement les professeurs de français et de mathématiques, l’autre, les professeurs des autres disciplines.
Les réponses apportées ont un bon degré de représentativité (à l’exception de l’EPS peut-être moins affectée compte tenu du caractère généralement prioritaire des emplois du temps dans cette discipline) car la distribution est plutôt :
— équilibrée entre les professeurs de français et les professeurs de mathématiques :
— et assez représentative en ce qui concerne les autres disciplines :
COMMENT A ÉTÉ APPLIQUÉE LA RÉFORME ?
Avant une analyse plus fine des conséquences de la mesure, il convient de se pencher sur la manière dont elle a été appliquée sur le terrain. Les réponses apportées par les professeurs des disciplines concernées sont en parfaite adéquation avec celles des professeurs des autres disciplines.
Dans l’immense majorité des cas, les établissements semblent avoir appliqué la réforme telle qu’elle a été souhaitée par le Ministère (85 %).
7 % des établissements ont fait un choix auquel le SNALC s’attendait et qui peut s’entendre du point de vue organisationnel : établir des classes de niveau afin de ne pas perturber davantage les emplois du temps. 8 % semblent avoir suivi les préconisations du SNALC et avoir simplement défini des groupes correspondant aux classes.
Le SNALC rappelle qu’à partir du moment où le Ministère a retiré l’idée d’une homogénéité des groupes, ceux-ci n’ont plus aucun intérêt intrinsèque.
Cela explique sans doute que, même si 85 % des établissements ont mis en place des groupes que l’on peut qualifier de conformes, ils ont pris des libertés avec la clause concernant les changements de groupes.
Le SNALC considère que 38 % ont fait le choix le plus raisonnable, et qui peut permettre d’éviter les barrettes : ne jamais changer les groupes. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que seuls 12 % ont fait le choix de changer plusieurs fois par trimestre.
LES CONSÉQUENCES ORGANISATIONNELLES ET PÉDAGOGIQUES DE LA MESURE
En français et en mathématiques
Trois conséquences prévisibles ont été scrutées prioritairement par le SNALC.
La première concerne les emplois du temps : la mise en place de barrettes les affecte nécessairement. La deuxième a trait aux services avec la prise en charge de tous les niveaux par les professeurs de français et de mathématiques et le risque de multiplication des compléments de service. La troisième étudie le risque d’un alourdissement (inutile) de la charge de travail des collègues.
Sur ces deux thématiques qui touchent aux conditions de travail des professeurs, les réponses sont sans appel :
Ainsi, les professeurs qui ont constaté des effets positifs sur leur emploi du temps ou sur leur service, ne dépassent pas 15 %. En revanche, 60 % des collègues de collège déplorent des effets négatifs et la dégradation de leurs conditions de travail.
À la lecture du verbatim de notre enquête, les raisons de l’insatisfaction des collègues concernant les emplois du temps et les services vont dans le sens des mises en garde que le SNALC avaient faites au Ministère avant la mise en place de la réforme.
Les professeurs de mathématiques et de français doivent désormais être souvent présents sur tous les niveaux, avec la mise en barrettes comme mode de fonctionnement le plus répandu. Dès lors, nos collègues se plaignent d’emplois du temps lacunaires, et donc plus chargés. En termes de services, les professeurs doivent accepter plus d’heures de cours (pour intervenir sur tous les niveaux dans les différentes barrettes), ou bien l’établissement est contraint de faire appel à des compléments de services : soit des professeurs sont en service partagé, soit par recrutement de contractuels qui, d’après les répondants, sont souvent « mal formés », « novices », « recrutés à la va-vite ».
Et la situation est encore aggravée par l’augmentation – qui était prévisible – de leur charge de travail : ajout de réunions afin de constituer, défaire puis refaire les groupes, et évaluations nécessaires pour cela. Ce sont 65 % des professeurs qui constatent un accroissement de leur charge de travail quand 19 % ne voient pas de changement.
Dans un deuxième temps, le SNALC a étudié l’impact de la mesure sur le climat de travail entre disciplines et la possibilité d’assurer la mission de professeur principal.
Pour le SNALC, il s’agit de deux données importantes. La première touche aux conditions de travail car une mesure qui crée des tensions en salle des professeurs génère de la souffrance au travail. La seconde concerne à la fois les conditions de travail et la rémunération. En effet, empêcher des collègues d’exercer une mission qui les intéresse ou de l’exercer dans de bonnes conditions peut être source de mal-être. Sans compter qu’il serait injuste que le ministère interdise à certains professeurs l’accès à la part modulable de l’ISOE.
Concernant l’entente entre disciplines, les professeurs de mathématiques et de français ne constatent pas massivement de dégradation. En effet, ils sont 49 % à constater des évolutions positives à nulles contre 44 % à constater une détérioration des relations. Mais, même si les professeurs témoignant d’une dégradation ne forment pas une majorité, le chiffre de 44 % doit tout de même interroger le ministère.
Les chiffres concernant la mission de professeur principal sont plus inquiétants. Les professeurs des deux disciplines concernées qui ont pu la conserver et qui sont à même de l’exercer dans de bonnes conditions sont extrêmement minoritaires (5 %). 18 % essaient d’accomplir cette mission, mais dans des conditions qu’ils estiment dégradées alors que 41 % ont dû se résoudre à abandonner l’idée d’être professeur principal dans le système mis en place.
Certes, les différentes manières de mettre en place la réforme ont nécessairement un impact sur les conditions d’exercice des professeurs. Cependant, un autre élément ne peut être omis. Il s’agit de la question des moyens. En effet, si des moyens en heures et en postes sont attribués, la réforme peut aboutir à des groupes restreints ; ce qui est réclamé depuis des années par les professeurs. Or, l’on constate que ce n’est majoritairement pas le cas, avec 55 % des professeurs considérant que les moyens sont insuffisants.
D’aucuns pourraient s’étonner que 41 % des professeurs de français et de mathématiques estiment avoir eu des moyens suffisants pour mettre en place la réforme. D’ailleurs, dans le verbatim de notre enquête, une grande part de collègues signalent que l’avantage premier de la réforme est de pouvoir enfin travailler avec des effectifs réduits. Nous reviendrons plus tard sur cette question des moyens, en nous intéressant au devenir des autres disciplines.
Dans les autres disciplines
La SNALC s’interrogeait sur les effets que la mise en place des groupes aurait sur les conditions d’enseignement dans les autres disciplines. Afin d’analyser ces conséquences, nous avons pris en compte quatre indicateurs : les emplois du temps, le climat entre les disciplines, les dispositifs existant avant la réforme et les projets entre disciplines.
Clairement, les emplois du temps sont massivement touchés par la mise en place des groupes, encore plus massivement que pour les professeurs de français et de mathématiques.
1 % des professeurs voient des effets positifs quand 22 % ne constatent pas d’évolution et 70 % sont touchés par une dégradation. Certes, les dommages étaient prévisibles, mais l’étendue des dégâts a de quoi inquiéter.
Le verbatim de notre enquête nous donne des éléments concrets quant à cette dégradation : « les professeurs des autres disciplines bouchent les trous », « les heures des autres disciplines sont soit les premières heures de la matinée, soit les dernières heures de la journée. Nous avons des trous béants entre »…
Il n’est donc pas étonnant que les relations entre les disciplines s’en trouvent affectées. Ainsi, seuls 1 % de nos collègues témoignent d’une amélioration des relations, 29 % ne voient pas de changement alors que 61 % remarquent une hausse des tensions ou, à tout le moins, une dégradation du climat.
Les conséquences sont assez attendues : avec des emplois du temps plus compliqués, une entente fragilisée et une réforme coûteuse en heures sans dotation supplémentaire dans la majorité des cas, il devient plus difficile de financer des dispositifs et de mettre en place des projets :
Ainsi, 64 % de nos collègues signalent que des dispositifs comme les dédoublements dans d’autres disciplines (langues vivantes, sciences…) ont dû être abandonnés et 63 % se plaignent de l’impact négatif de la réforme sur la possibilité de faire des projets.
Lorsque, plus tôt, nous nous intéressions aux conditions d’exercice des professeurs de français et de mathématiques, nous nous posions la question des moyens et signalions qu’il pouvait paraître étonnant que 41 % estiment disposer des moyens idoines pour mettre en place les groupes. Quelques réponses apportées par ces collègues pouvaient nous mettre sur la voie : « En français, nous avons eu plus de moyens, mais cela a été au détriment des groupes d’anglais et d’espagnol ».
C’est bien là que les établissements sont allés chercher les moyens dans de nombreux cas, et c’est exactement ce que confirme le verbatim de notre enquête. De nombreux collègues signalent la disparition des groupes en physique-chimie et/ou en SVT, alors qu’il s’agit de disciplines expérimentales. Les collègues de langues vivantes font les mêmes remarques.
On aura compris que l’impact de cette réforme sur les conditions de travail des professeurs est loin d’être positif. Au-delà de ces considérations qui touchent la profession, qu’en est-il de ses effets sur les élèves ? Cette question intéresse peut-être davantage le public et le ministère
LES EFFETS SUR LES ÉLÈVES
Les groupes n’ayant que quelques semaines d’existence, il est peut-être trop tôt pour tirer des conclusions définitives.
Pourtant, force est de constater que les professeurs de français et de mathématiques ne sont pas satisfaits des résultats.
Ils sont 56 % à s’exprimer négativement à ce sujet quand seuls 33 % sont plutôt satisfaits à très satisfaits.
Par ailleurs, comme ces deux disciplines sont dites fondamentales, les progressions qui peuvent y être réalisées sont censées ruisseler vers les autres disciplines.
Là encore, le SNALC remarque que les professeurs ne voient pas d’amélioration rapide.
56 % estiment même que les groupes ont un impact négatif sur les élèves.
Dans le verbatim de notre enquête, ce sont principalement les pertes de dédoublements dans les autres disciplines qui sont pointés comme des vecteurs négatifs
AVENIR DE LA MESURE : LES SOUHAITS DES PROFESSEURS
Le SNALC a interrogé les professeurs de collège sur l’opportunité de maintenir les groupes en sixième et en cinquième et sur l’idée de les étendre à la quatrième et à la troisième.
Chez les professeurs de français et de mathématiques, le maintien de la mesure n’est pas plébiscité. En effet, ils sont 68 % à y être défavorables à très défavorables.
Le SNALC s’intéressera plus finement aux différents chiffres pour voir si les 29 % de professeurs étant plutôt favorables à très favorables à ce maintien sont distribués dans des établissements ayant disposé des moyens idoines. Pour l’heure nous le supposons assez fortement
Quoi qu’il en soit, si environ un quart des répondants dans les deux disciplines concernées ne sont pas opposés au maintien des groupes en sixième et en cinquième, la proportion tombe à 17 % lorsqu’ils sont interrogés sur l’opportunité d’un élargissement aux classes de quatrième et de troisième. La part des « très défavorables » monte même à 66 %.
Les réponses des professeurs des autres disciplines sont encore plus probantes.
84 % d’entre eux sont défavorables – dont 64 % très défavorables) au maintien des groupes en sixième et en cinquième alors que moins de 7 % verraient ce maintien d’un bon œil.
Et, lorsqu’ils sont interrogés sur l’opportunité d’étendre la mesure aux classes de quatrième et de troisième, l’opposition n’est plus majoritaire, elle devient écrasante. Ce sont en effet 89 % des professeurs n’enseignant ni le français ni les mathématiques qui sont opposés à cette extension. Ils ne constatent pas d’effets bénéfiques sur les élèves, mais perçoivent bien les implications négatives sur leurs conditions de travail. Ce résultat est donc parfaitement logique.
EN CONCLUSION
Pour le SNALC, la conclusion s’impose : le ministère doit supprimer cette mesure.
Les groupes mis en place, vidés de tout intérêt intrinsèque ont entraîné des dommages collatéraux incontestables sans aucun bénéfice pédagogique, si ce n’est celui, relevé par de nombreux collègues de français et de mathématiques, d’avoir permis d’avoir des effectifs moins importants – mais à quel prix pour les autres disciplines…
L’idée d’une extension aux classes de quatrième et de troisième a été abandonnée, depuis la parution de notre enquête. Le SNALC ne manquera pas d’interroger les collègues sur la mesure nouvellement annoncée d’une heure dédoublée entre les deux disciplines, sans ajout de moyens. Pour le SNALC, cette heure dédoublée pourrait avoir un intérêt si – et seulement si – on ajoutait une heure à l’emploi du temps tout en abondant en moyens. Ce n’est pas ce qui est prévu et le SNALC – sans jouer les Cassandre – imagine déjà combien les professeurs vont trépigner d’impatience à l’idée de tirer le meilleur parti de cette nouvelle trouvaille
Article à paraître dans la revue Quinzaine universitaire n°1495 du 29 novembre 2024